M'enfin?! Franquin

Gaston, Spirou et autres héros de BD, mais aussi recherches personnelles : les mondes imaginaires d’un génie de la BD.

Belge à l’instar d’Hergé, André Franquin est né à Bruxelles en 1924 et commence sa carrière de dessinateur aux Editions Dupuis en 1946. Joseph Gillain, dit Jijé, créateur de Spirou, le fait dessiner quelques planches pour son héros dans le Journal de Spirou avant de le lui repasser complètement :  c’est le début de la célébrité. Le Marsupilami fera son apparition en 1952 dans Spirou et les Héritiers, puis prendra son autonomie à partir de 1987, alors que Franquin  a abandonné lui-même les aventures de Spirou depuis 1967. La fin des années 50 est une période féconde en BD pour Franquin, qui crée la série comique – trop méconnue – de Modeste et Pompon pour le journal de Tintin (1955 - 1959) et surtout le personnage de Gaston Lagaffe en 1957. Gaston, garçon de bureau aux Editions Dupuis et initialement personnage « bouche-trou » dans le Journal de Spirou, connait un tel succès que Franquin, assisté du dessinateur Jidéhem, continuera ses aventures jusqu’en 1996, peu avant son décès.

Avec Gaston, Franquin révèle la plénitude de son talent de dessinateur, d’humoriste et aussi de critique sociétal. Son trait acéré, son sens de l’humour ravageur, doublé d’anticonformisme, s’y épanouissent, mieux que dans les aventures de Spirou, genre héroïque plus contraint, plus « tintinesque ». On découvre ainsi au fil des semaines dans le Journal de Spirou son hostilité à l’ordre établi (les militaires, mais aussi l’agent Longtarin et le businessman De Mesmaeker), son amour de la nature et sa haine de la pollution, un éloge du bonheur simple. Des thèmes toujours actuels et qui expliquent que la série Gaston n’ait pas pris une ride en 50 ans…

A partir de 1977, Franquin développe ses critiques de façon plus sombre, à tous les sens du terme, avec ses bien nommées Idées Noires parues dans le Trombone Illustré et Fluide Glacial. Cette série intensifie la critique de notre monde, en souligne graphiquement les absurdités, avec un dessin qui abandonne la « ligne claire » (et les couleurs avec) pour devenir travaillé et fouillé au point d’en devenir angoissant. Un trait déjà présent dans ses dessins de monstres, personnels ou parus épisodiquement dans Gaston, et qui se donne là libre cours. Se révèle ainsi la personnalité complexe, voire duale de Franquin, amoureux de la technologie dans les premiers Spirou avant de la rejeter, chantre de la nature humaine avec Gaston et doutant de la civilisation dans Idées Noires. Et angoissé et doutant de son propre talent au point de rejeter ses dessins après parution…

La BD n’est pas forcément un univers simpliste, c’est ce que montre fort justement l’exposition de dessins M'Enfin?!, Franquin au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris, juste en face du Centre Pompidou, jusqu’au 17 février 2013.

Paul Schmitt, janvier 2013