Hergé, six traits méconnus

Que retenir de cette grande rétrospective ? Six vérités que vous ne connaissez (probablement) pas.

Hergé est célébrissime, considéré comme le fondateur de la BD moderne avec les premières planches de Tintin en janvier 1929. On sait ou croit tout savoir de lui : son amitié avec Tchang qui fait du Lotus Bleu une œuvre imprégnée de culture orientale et éminemment politique, son attitude ambigüe pendant la guerre, etc.

Après le Centre Pompidou en 2007, un autre temple de la culture officielle, le Grand Palais célèbre Hergé jusqu’au 15 janvier 2017. Nous avons retenu de cette grande exposition six traits de la personnalité d’Hergé qui méritent le détour

Boy-scout toujours : Renard Curieux, Totor et…Tintin
Georges Rémi, né dans un milieu catholique traditionnel, intègre les scouts en 1921 où il reçoit le nom de Renard Curieux en totem. « Comme j’étais boy-scout, raconté Hergé, je me suis mis à raconter l’histoire d’un petit boy-scout à d’autres petits boyscouts. Et ça a donné Les aventures de Totor, C.P. des Hannetons. Ce n’était d’ailleurs pas encore de la véritable bande dessinée : il s’agissait d’une histoire écrite et illustrée avec, de temps en temps, un timide point d’exclamation ou d’interrogation.” Totor lui permet non seulement d’apprendre les ficelles du métier, mais sert aussi de modèle à Tintin : « C’est dans Le Petit Vingtième qu’en janvier 1929, j’ai créé Tintin. C’était un peu le petit frère de Totor. Un Totor devenu journaliste mais ayant toujours l’âme d’un boy-scout. »

Héros sans famille, c’est mieux
Tintin est certes imprégné de sens moral, mais sa personnalité, contrairement aux héros actuels, est pour le reste aussi vide que possible. Un reporter qui n’écrit ou ne photographie jamais, qui n’a ni doutes ni passions, sans parents ou attaches autres que son chien Milou jusqu’à ce qu’il rencontre les autres personnages de ses aventures : le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, les Dupondt.

Ce vide fait de Tintin un pur agent, vecteur de la narration, et un miroir dans lequel le lecteur aussi bien qu’Hergé se retrouvent. Et quand on lui commande une autre série, Jo, Zette et Jocko en 1936, Hergé s’exécute à contrecoeur : « La série des Jo & Zette m’avait été demandée par les directeurs de la revue Coeurs Vaillants. Ils m’avaient dit: “On aime bien Tintin, mais voilà, il n’a pas de parents, il ne va pas à l’école, il ne gagne pas sa vie. Ne pourriez-vous pas créer une série du même genre mais où le héros aurait un père et une mère et un petit chien ou un petit chat, etc…?” Et c’est comme ça que j’ai été amené à créer Jo, Zette et Jocko mais je n’ai jamais été très à l’aise dans cette série. »

La folie, pierre angulaire de l’œuvre de Hergé
Affecté par la mauvaise santé mentale de sa mère, internée à plusieurs reprises, Hergé introduit le thème de la folie dans nombre d’albums de Tintin. Folie souvent provoquée par du poison, mais dont on finit par guérir : Les Cigares du Pharaon (1934), Le Lotus Bleu (1935), Les 7 Boules de Cristal. Hergé exorcisait-il ses craintes ? Il est vrai qu’il a lui-même été victime à plusieurs reprises de dépressions sévères au cours de sa vie.

Hergé dessinateur laborieux
Ligne claire, mais précédée de crayonnés acharnés. Les brouillons de planches exposés montrent Hergé revenir sur son dessin, insister encore et encore jusqu’à parfois percer la feuille de son propre aveu… « Vous ne pouvez pas savoir à quel point c’est long et difficile : c’est un véritable travail manuel ! » avoue-t-il en 1971.

Hergé publicitaire
Dans les années 30, l’Atelier Hergé-Publicité publie nombre d’affiches et autres documents publicitaires. Une activité qui séduit alors Hergé plus que la BD si on en croit son épouse Germaine Remi-Kieckens. Et de fait l’Atelier Hergé produit de la « réclame » de bonne facture, marquée par l’Art déco et l’influence des grands affichistes français comme Cassandre et Loupot. Mais la BD n’est jamais loin, comme le montre entre autres Les Aventures de Tim l’Ecureuil (1931), fascicules publicitaires réalisés pour les grands magasins A l’Innovation. Après guerre, les Studios Hergé perpétueront cette tradition en mettant les personnages de Tintin au service d’annonceurs publicitaires.

Hergé et l’art contemporain
Se disant homme d’image plutôt que d’écriture, Hergé s’inspire de la peinture classique puis moderne pour ses décors et gammes chromatiques. Il s’essaie lui-même à la peinture abstraite au début des années 1960 et abandonne au bout d’un an, après avoir produit une quarantaine de toiles. Mais il reste collectionneur d’artistes de son temps, parmi lesquels Lucio Fontana, Hans Hartung, Serge Poliakoff. Et déclare alors qu’il faut choisir : ou la peinture, ou la BD, mais faire les deux correctement est chose impossible. Et sa vocation à lui était au service du 9ème Art, qu'il prédisait art reconnu à l'horizon des années 2000: mission accomplie !

Paul Schmitt, octobre 2016

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