Témoignage d'un jeune illustrateur

Laurent Siffert est issu de l'Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg. Après cette formation, il a travaillé un temps comme graphiste dans une agence de publicité. Une expérience qu'il juge très formatrice : "On y travaille la composition non plus au niveau de l'image mais de la page entière. On remarque qu'une illustration trop complexe n'est pas forcément ce qui sera le plus parlant une fois intégrée dans une page. On tient compte du rapport texte-image, du choix de la typo qui doit s'accorder avec les visuels."
Aujourd'hui, Laurent travaille comme illustrateur free-lance pour des magazines et des clients institutionnels.

 

Formation

"Après un an passé aux Beaux Arts de Bordeaux, j'ai intégré l'Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, plus en rapport avec ce que j'envisageais de faire. Cette école était l'une des rares à offrir encore une formation "traditionnelle", c'est à dire basée sur l'apprentissage des bases du dessin académique, des théories de la couleur, et la perception du volume, plutôt qu'une mise sous cloche de l'"artiste" avec un grand A.
Trop d'écoles mettent la charrue avant les boeufs en obligeant les élèves à développer des théories axées sur un concept, sur leur propre personnalité, alors qu'à la sortie de l'école un illustrateur travaille en osmose avec une équipe, et qu'il est bon de ne pas avoir un égocentrisme trop développé dans ce milieu, surtout au départ. Après deux années de formation générale, j'ai intégré l'atelier d'illustration, alors dirigé par CLaude Lapointe."

Débuts dans le métier

"Beaucoup de porte à porte au départ. Il faut dire que mon style était encore un peu trop inabouti pour pouvoir s'affirmer aux yeux des créatifs. j'ai donc continué à peaufiner mon dessin, cela m'a pris encore pas mal de temps. Je suis passé des techniques traditionnelles aux outils PAO. Mais les D.A. ne se sont mis que depuis très récemment aux illustrations finalisées sous ordinateur;

Au début tout le monde trouvait cela "trop froid". En fait, je pense qu'il faut du temps pour qu'une nouvelle technique s'implante. On me reprochait le fait qu'on sentait trop l'ordinateur dans mon travail. C'est un peu absurde, c'est comme si on reprochait à quelqu'un qui fait du pastel d'avoir des illustrations qui sentent le pastel! Mais la patience paie, il faut savoir dompter une nouvelle technique pour l'imposer. Il est normal de devoir attendre plusieurs années pour vivre de son travail. 5 ans, parfois plus..."

Démarcher les agences

"Imposer son travail n'est pas évident, car on débarque avec ses affaires dans un milieu qui n'a pas vraiment besoin de nous ; Trop personnel le travail fait peur, même si les gens le trouvent interessant, trop dans la mouvance, il risque de passer totalement inapperçu et de se noyer dans la masse. Certains créatifs voient des centaines d'illustrateurs par an et vous oublient dès le lendemain de votre entrevue. Il faut savoir se remanifester régulièrement, sans harceler non plus. Beaucoup d'illustrateurs, même très doués, se découragent assez vite.

 
Parfois on rencontre aussi des D.A. qui n'ont aucune formation artistique; Il arrive même que certains D.A. aient eu une formation de commercial. Certains ne remarquent pas votre style mais uniquement le type d'objets représenté; Ainsi, une fois j'ai montré une série d'illustrations qui avaient pour thème l'espace. Le D.A. m'a répondu "je penserai à vous si j'ai besoin d'une fusée". Heureusement tous ne pensent pas de la même façon et savent

Il est parfois très difficile de prendre rendez-vous avec certaines agences; par acquit de conscience, certaines demandent d'envoyer des dossiers imprimés. Ce que je ne fais plus, car je sais par expérience que l'on n'a pratiquement jamais de retour; ça coûte cher à envoyer, et votre dossier est vu par on ne sait qui, en quelques minutes. Mieux vaut demander si on peut rappeler plus tard dans l'année et se rencontrer.

 
Certaines agences parisiennes mettent plus de 6 mois à vous recevoir. Avoir un site web peut être une bonne idée, à condition d'assurer à ce niveau : pas de liens coupés, pas de choses trop longues à télécharger; Il faut savoir être simple et concis, tout en étant original. Un lien direct en signature de son adresse mail ne mange pas de pain et ça a déjà fait ses preuves. Lors d'une entrevue, prévoir absolument une planche d'illustrations que l'on laissera au client. En avoir plusieurs et faire choisir peut être sympa. Il est fondamental de laisser des traces sur places... sans y laisser la peau des fesses!"


Book et tarifs

"Surtout rester soi-même et developper tranquillement son travail tout en étant conscient de tout ce qui se fait; C'est toujours bon de rester perméable aux travaux des autres sans être trop influençable. Soigner son book est très important et surtout bien le cibler par rapport au client que l'on va rencontrer. Le dossier doit être concis par rapport au travail que l'on aimerait faire, y ajouter quelques éléments qui s'en détachent peut être un plus : ça montre que l'on sait aussi varier son travail et que l'on n'est pas trop obtu; Mais il ne faut pas trop s'éparpiller, car cela risquerait de déconcerter le D.A. qui nous reçoit; Rajouter quelques roughs préliminaires avec l'image finalisée peut-être un plus et montre que vous savez travailler par étapes. L'idéal serait de refaire son book à chaque fois.

Il est parfois utile de retirer certaines pages et de les remplacer par d'autres si on les sent plus en rapport avec le client. Moi j'en suis venu à préparer 2 books différents : un pour la pub et la presse adulte, et un autre pour la presse et l'édition enfant. A l'arrivée tout le monde y gagne. Beaucoup de jeunes illutrateurs se lancent sur le marché sans savoir négocier un prix (ce fut mon cas et ca reste problématique aujourd'hui) et travaillent à moitié prix sans le savoir. Car un client pour qui on a travaillé pour presque rien la première fois refusera de payer d'avantage la fois suivante et c'est la mort du petit cheval! Et les clients sont rares au début!

 
Il faut savoir aussi adapter son travail aux tarifs que le client peut fixer : passer mons de temps sur une illustration à 150 euros que sur une illustration à 450 euros me semble tout à fait normal. Même si on aimera toujours en faire un peu plus pour étonner le client. Il peut être utile de travailler avec un agent qui négociera à votre place; mais démarcher les agents est beaucoup plus ardu que de trouver des clients directs. Même épaulé par un agent, il est bon de démarcher aussi de son côté, pour des travaux parfois moins bien payés mais plus personnels".

 

Spécificités de l'illustration

"L'illustrateur apporte une plus-value dans un travail généralement créé par d'autres. Son but est de séduire, d'apporter une touche personnelle, un regard à des éléments de départ qui sont parfois très rébarbatifs. Mais il faut savoir aussi faire preuve d'humilité; L'illustration n'est que rarement l'élément central et on ne lui demande pas de phagocyter l"ensemble. Il faut savoir accorder son violon au discours général. Certains créatifs n'ont malheureusement pas le réflexe illustration : dans la conscience générale elle reste liée à l'âge de l'enfance et est assez peu valorisée pour un public adulte. On lui préfère souvent la photo, jugée plus rationnelle, plus sérieuse."

> voir le site de Laurent Siffert

Thierry Le Boité - 04/2004