Une gloire typographique

L’histoire en images du Futura, un caractère emblématique de la modernité.

Un livre de Michel Wlassikoff et Alexandre Dumas de Rauly aux Editions Norma et une exposition à la galerie Anatome retracent l’histoire du Futura, caractère omniprésent dans nos vies mais surtout emblématique du concept de modernité surgi au XXème siècle. Auteur et graphiste, Michel Wlassikoff n’en est pas à son premier livre, son Histoire du graphisme en France (2005) est devenu un ouvrage de référence dans le domaine. Avec l’aide  d'Alexandre Dumas de Rauly, maintenant (2009) diplômé de l’ESA de Cambrai, ils nous livrent Futura, une gloire typographique, livre très documenté et abondamment illustré, y compris d’affiches récentes. Et un des grands mérites de ce livre, selon nous, est de dépasser le cadre du traité réservé aux spécialistes de la typographie pour nous raconter une histoire en des termes attrayants pour tous ceux qui se réclament du graphisme et de la communication sans forcément se soucier trop de technique.

L’avènement du Futura est  d’abord celui des caractères sans empattement. Officiellement dénommés Linéales, ils sont aussi appelés Grotesk, Antique, Sans serif ou même Gothic (!) suivant les pays. Apparus dès le XIXème siècle ils s’imposeront au cours du XXème siècle, leur impact visuel étant jugé plus adéquat aux besoins de la publicité et de la communication. En Allemagne, le débat entre anciens et modernes est d’autant plus vif que le pays utilisera jusqu’en 1941 comme l’alphabet gothique (le vrai) comme alphabet officiel. Le Bauhaus, sous l’impulsion de Laszlo Moholy-Nagy, est à la pointe du combat et forge le concept de « Nouvelle Typographie » pour préconiser des mises en page et des caractères plus inspirés de l’esthétique moderne. De son côté, en 1924, Paul Renner, peintre de formation et directeur artistique de maison d’édition, commence à dessiner « l’écriture de notre temps » en s’affranchissant du rapport à l’écriture manuscrite et en s’inspirant des capitales romaines, dont la géométrie simple et la « noble sobriété » le séduisent, et en construisant des minuscules en harmonie avec les capitales. Les esquisses envoyées à la fonderie Bauer à Francfort séduisent son directeur Georg Hartmann qui accepte de financer l’évolution du caractère, un travail de plusieurs années: pour maîtriser les phénomènes optiques déterminant la lecture, il faut introduire dans la caractère des corrections qui déforment le tracé géométrique initial.

Le Futura est né et est utilisé pour la première fois en 1927 dans une manifestation culturelle à Francfort et publié officiellement par la fonderie Bauer. Les années suivantes verront son succès dépasser les frontières de la seule Allemagne tandis que Paul Renner affine le Futura et en décline toutes les variantes : italique, extrabold, etc. Gerd Arntz par exemple l’adopte vite en conjonction avec ses pictogrammes pour son système graphique d’information Isotype. En France, la fonderie Peignot & Deberny prend le Futura sous licence et le lance sur le marché en 1930 en l’appelant Europe pour masquer ses origines allemandes. Paradoxalement, les tenants du Bauhaus, d’abord réticents, assureront la propagation du Futura en Amérique quand ils s’y exileront après l’avènement du nazisme. Tout aussi paradoxalement, alors que Paul Renner s’est opposé au nazisme, celui-ci assurera le triomphe définitif des linéales et du Futura en Allemagne même en interdisant en 1941 l’écriture gothique pourtant traditionnelle de l’identité allemande…

L’après-guerre voit le succès commercial du Futura, mais aussi la montée d’une opposition de la part des tenants du style suisse qui préconisent l’usage de linéales moins géométriques, plus « humanistes » que le Futura : l’Helvetica (1954) de Max Miedinger, inspirée de l’Akzidenz Grotesk,  toujours utilisée par France Télévision, l’Univers (1957) et plus récemment l’Avenir (1987) d’Adrian Frutiger en seront les exemples les plus connus. Ce qui n’empêche pas le Futura de rester un caractère très utilisé dans la communication, notamment par Volkswagen, Swissair, Ikea (jusqu’en 2009), etc. Et aussi d’alunir en 1969 avec la plaque commémorative laissée sur place par  les astronautes américains. En France, Etienne Robial l’utilise pour l’identité visuelle de Canal Plus et en dérive même en 1992-94 le Canal+, un alphabet propre à la chaîne TV, toujours en vigueur aujourd’hui. Actuellement, le Futura est toujours dans le peloton de tête des ventes des fonderies. Décliné en versions numériques, il a été adapté au format OpenTypePro par la fonderie Neufville Digital héritière de la fonderie Bauer.

L’exposition à la galerie Anatome à Paris, jusqu’au 23 juillet 2011, est une excellente introduction au Futura et à son histoire. Avant de sortir, n’hésitez pas à vous offrir un cadeau : Futura, une gloire typographique, y est en vente au rayon librairie…

Paul Schmitt, mai 2011
 

Futura, une gloire typographique
Auteurs : Alexandre Dumas de Rauly et Michel Wlassikoff
Préface d’Etienne Robial
Norma Editions, 2011
190 pages, 45€ (vente en librairies et en ligne sur le site)

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