Histoire du graphisme en France

Historien du graphisme, père de la légendaire revue Signes, commissaire d'exposition, Michel Wlassikoff nous raconte deux histoires entremêlées : celle de son livre et celle du graphisme français. Echevelé et passionnant. Comme l'homme.

Cet ouvrage, une semi-première après Le Design graphique (Éd. Gallimard Découvertes, 2004) de l'iconoclaste mais néanmoins passionnant Alain Weil, vient combler un vrai manque. Enfin un grand et beau livre, richement illustré pour nous expliquer l'histoire du graphisme français. Jamais ennuyeux, aussi beau qu'intéressant, bien écrit, cette Histoire du Graphisme ressemble bel et bien au livre que tous les fanatiques du genre attendaient.
On doit sa naissance à l'envie concomittante de Michel Wlassikoff, de Marsha Emanuel (chargée de mission sur le graphisme d'utilité publique à la Délégation aux arts plastiques), de l'éditeur Dominique Carré et des équipes des Arts décoratifs. Une chance, donc, pour l'auteur. La volonté institutionnelle ayant été mobilisée, les fonds le furent aussi et Michel Wlassikoff pu plonger avec délectation dans de vastes et poussiéreuses archives aux ressources prolifiques. "J'ai 10 000 documents pour 900 publiés", affirme-t-il. 900 documents qui témoignent de l'évolution du graphisme en France et permettent à l'auteur de remettre certaines pendules à l'heure. "Ce livre me permet de tordre le cou à deux idées préconçues : les français se foutraient du graphisme et n'auraient produit que de l'affiche. C'est faux. Carlu, par exemple, faisaient des recherches typographiques, de la mise en page. Quant à l'intérêt porté au graphisme, les Français ont surtout cherché une autre voie que celle, Moderniste, des Allemands. Ainsi quand le Bauhaus rédigeait tous ses documents en minuscules, les graphistes français réunis au sein de l'Union des Arts Modernes répondaient par des documents tout en majuscules."
Né de l'apport des immigrés russes (tel Alexei Brodowitch), des suisses (Peter Knapp, Jean Widmer), de l'influence américaine et de la fascination polonaise, la véritable particularité d'un graphisme français souvent supposé ne pas exister, c'est justement sa capacité à intégrer les cultures différentes. Autre spécificité hexagonale : le rapport à l'art. Etonnant rapport pas toujours clarifié qui a créé une dernière spécificité française : le graphisme d'utilité publique ou graphisme culturel, radicalement non-commercial, incarné par les intransigeants Grapus au début des années 80. Clivé depuis lors, le monde graphique se partage entre "pubeux" et "cultureux". Deux mondes qui s'ignorent. Au désespoir de Michel Wlassikoff. "Cela a généré une paralysie. Les grandes entreprises auraient besoin de bons graphistes. Un fil doit être renoué entre graphistes et industriel", avance-t-il.
Quand les clivages s'ébattent dans le Landerneau français, que le grand méchant capital sautille dans le bain de l'ultra-mondialisme, une question s'impose : reste-t-il un graphisme français et cette Histoire ne pointe-t-elle pas, justement, la fin de l'histoire ? "Dans le livre, je pose la question de la santé du graphisme français. Je m'interroge sur son développement, son futur. Mais je suis très confiant car l'apparition d'une scène musicale française il y a une dizaine d'années (la fameuse French Touch - NDLR) a sauvé et servi les graphistes. Aujourd'hui, le design graphique français s'exporte bien", conclue un Michel Wlassikoff serein et rassurant.
Et si cet avant-goût vous a donné envie d'en savoir plus sur les soubresauts de l'histoire graphique française, il ne vous reste plus qu'une solution : vous ruer sur cette Histoire du graphisme en France...

Léonor de Bailliencourt - 10/2005

 

Histoire du graphisme en France de Michel Wlassikoff,
coédition Les Arts Décoratifs
Dominique Carré Editeur
324 pages, 650 illustrations en couleur, 250 en noir et blanc, 59 €.