Père Castor

Père Castor, aussi éducatif qu’illustré, et nourri des convictions de ses fondateurs, les Faucher père et fils.

Une petite « madeleine » (au sens proustien du terme) pour vous attendrir sur votre enfance ? Quel que soit votre âge, vous avez forcément grandi en lisant des livres de la collection Père Castor de Flammarion. Roule galette, Faites votre marché, Bourru l’ours, Michka, Le petit poisson d’or, Les bons amis, Poule Rousse, La vache orange, etc. : près de 2000 titres sont parus en librairie depuis le début des années 30.

Avant de devenir le « Père Castor », Paul Faucher, né en 1898, occupe successivement plusieurs postes, dont celui de commis libraire chez Flammarion en 1921. Il crée aussi la librairie Flammarion rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris. Passionné par les problèmes que pose l’éducation, Paul Faucher adhère au mouvement de l’éducation nouvelle dès 1923 et se lie avec Piaget. Il crée le Bureau français d’éducation avec ses amis, Jean Baucaumont et Marguerite Reynier, ainsi que la collection « Éducation », publiée par Flammarion. Il participe à tous les congrès d’éducation, côtoie les grands éducateurs, Montessori, Decroly, et surtout Bakulé. En collaboration notamment avec Frantisek Bakule, Ladislas Havranek, Ferdinand Krch, éducateurs tchèques, Paul Faucher poursuit ses réflexions sur l’éducation en s’adressant directement aux enfants, au moyen d’albums qui leur sont directement destinés. C’est ainsi qu’il publie en 1931 les deux premiers albums du Père Castor. En 1932, il épouse Lida Durdikova, l’adjointe de Frantisek Bakulé qui deviendra l’auteur de la série « Le roman des bêtes » et sa principale collaboratrice.

En 1946, l’« Atelier du Père Castor » est créé à Paris. L’année suivante, sous le même toit, l’école expérimentale du Père Castor ouvre ses portes. En 1947, en collaboration avec Jean-Michel Guilcher, il lance la collection « Le montreur d’Images ». En 1948, il crée la collection « Les Enfants de la Terre » pour laquelle il reçoit en 1958 le prix européen de littérature enfantine. A son décès en 1967, Paul Faucher avait publié 320 ouvrages. 

François Faucher succède à son père et dirige la collection des « Albums du Père Castor », puis le Département Jeunesse aux Éditions Flammarion. On lui doit notamment le premier album du Père Castor en occitan et la création de la collection « Castor-Poche » en 1980. De 1967 à 1996, année de son départ   à la retraite, il a produit 1502 ouvrages.  Il lance à Forgeneuve, où ses parents s’étaient repliés sous l’occupation, l’idée d’une « Maison du Père Castor » qui rassemblerait les archives de leurs travaux et proposerait des animations aux enfants.

François Faucher était lui-aussi persuadé qu’une société harmonieuse doit soigner en priorité l’éducation de ses enfants : « Espérances à sauvegarder, public à respecter, dès lors qu’on s’adresse aux enfants, ils ont droit à plus d’attention, à plus de respect, et si possible, à plus d’art que tout autre public. La responsabilité de l’éditeur est engagée et cette responsabilité n’est ni infantile, ni mineure, elle participe de l’éducation des hommes et des femmes de demain. »

Art russe et nouvelle éducation
Education et art vont ensemble pour les Faucher. Avec des artistes russes émigrés pour commencer. Les deux premiers livres publiés par le Père Castor en 1931 sont Je fais mes masques et Je découpe, deux ouvrages signés Nathalie Parain. Née Natacha Tchelpanova, à Kiev, Nathalie Parain connaît les albums illustrés des meilleurs artistes soviétiques, parmi lesquels Lebedev. Formée au Vkhoutemas (les Ateliers supérieurs d’art et de technique, créés en 1920 à Moscou) à l’époque de la révolution culturelle, elle est intimement persuadée que le travail de l’artiste doit être socialement utile. Celui que lui propose Paul Faucher lui convient en tous points. Elle s’y adonne de 1930 à 1935, réalisant chaque année au moins deux albums. Elle est la première des artistes russes qui travaillent avec le Père Castor. Elle propose aux enfants un langage nouveau, avec une composition, simple, influencée par l’école constructiviste russe, et une économie de couleurs franches (4 ou 5). Elle joue dans l’espace blanc de la page. Hélène Guertik la rejoint bientôt. Née à Saint-Pétersbourg en 1897, elle arrive en France en 1923 et est ensuite présentée à Paul Faucher par son amie Nathalie. Elle illustrera une dizaine d’albums à partir de 1935.

Les sujets eux-mêmes font parfois appel au folklore russe : Baba Yaga, en 1932, illustré par Nathalie Parain, et le Conte du Petit Poisson d’Or, l’année suivante, illustré par Yvan Bilibine. Peintre, dessinateur et décorateur de théâtre, Bilibine est né en 1876 près de Saint-Pétersbourg. Il s’intéresse à l’art ancien de la Russie du Nord et devient un collectionneur averti d’artisanat et de photos de l’art paysan russe. Sans oublier les traditionnelles et pittoresques imageries populaires (loubok). Il y puise l’essentiel de son inspiration de peintre. Ces contes présentent, avec leurs couleurs brillantes, les chromolithographies semblables à des enluminures, les rehauts d’or, les ombres riches… une qualité de réalisation étonnante. Défenseur d’une ligne pure, exécutée au pinceau (il traçait lui-même les encadrements de ses oeuvres sans l’aide d’aucune règle, ni équerre), « Ivan-main-de-fer » comme il était surnommé, recherchait la perfection et la précision et l’exigeait de ses élèves.

Emmener les enfants découvrir le monde
La collection emblématique « Le Roman des bêtes », voit le jour en 1934, avec comme premier titre Panache, l’écureuil. Les 8 albums de cette collection sont écrits par Lida Durdikova, épouse de Paul Faucher, et illustrés par les lithographies de Fédor Rojankovsky, dit Rojan, artiste d’origine russe et féru d’animaux.  Ils donnent aux jeunes lecteurs des rudiments de sciences naturelles et témoignent également de la volonté du Père Castor de proposer le renouveau de l’ouvrage pour enfants (lien texte/image, séquençage du texte, rapport au réel…). Jusqu’en 1939, se succèdent Froux le lièvre, Plouf le canard sauvage, Bourru l’ours brun, Scaf le phoque, etc.

En 1948, Paul Faucher lance « Les Enfants de la Terre », une collection destinée aux enfants de 7 à 12 ans qui permet de montrer les enfants dans différents pays du monde et remportera en 1962 le Prix européen du livre pour enfants. Cette collection compte 20 titres de 1948 à 1983. Ces ouvrages cartonnés, en général de 32 pages, ont un format à l’italienne (21 x 27 cm). Le premier titre de la collection, Apoutsiak le petit flocon de neige est né en 1948 du manuscrit de Paul-Emile Victor, l’ethnologue, grand connaisseur du monde esquimau et qui choisit pour l’ouvrage un dessin presque naïf et proche d’un style inuit. Pour Amo le peau rouge, illustré par André Pec, et Mangazou le petit pygmée (1952) par Jean Cana, le Père Castor fait appel à un autre ethnologue, Jean-Michel Guilcher. On confie donc les premiers textes à des scientifiques. Cette collection s’attachera à concilier la qualité du récit (scientifique, littéraire) à la force des images qui devront restituer tant la vérité d’un enfant, ailleurs, dans son environnement, que ses émotions, son quotidien, dans un espace domestique plus intime.

Au début des années 70, François Faucher imagine quant à lui des jeux de lecture. Les premières « Histoires en images » sont destinées aux 4-6 ans, basées sur le principe des images séquentielles. La première boîte, Bonnes choses, est réalisée par Gerda Muller, illustratrice d’origine néerlandaise. Arrivée à Paris pour une année d’études dans l’atelier de l’affichiste Paul Colin, Gerda avait, tout en sillonnant Paris à pied, commencé à dessiner et soumis au Père Castor un petit album, Les Aventures d’un petit garçon hollandais à Paris, traduisant ses premiers étonnements, devant les marchands des quatre saisons, les rues qui montent et qui descendent.

 « La collection se présente sous la forme de cartes, à manipuler, à reconnaître, à comparer et à classer, pour reconstituer une histoire et la raconter, détaille François Faucher. Les mêmes personnages interviennent dans plusieurs images, à l’enfant de retrouver le lien logique qui unit certaines d’entre elles. Des histoires à reconstituer, d’abord en deux, trois images, puis quatre, cinq images et plus, aident l’enfant à prendre conscience des différences, à retrouver les enchaînements, à organiser son raisonnement. Le sujet de l’image joue un rôle de stimulant, provoque l’imagination et peut se prêter à des interprétations multiples. L’enfant dispose ainsi d’une marge de liberté dans le choix des significations de l’histoire qu’il peut raconter à l’adulte qui l’écoute. »

Une identité visuelle autour du… castor

Sans surprise, l’image du castor, animal bâtisseur, est au cœur de l’identité visuelle de Père Castor, collection qui se veut humaniste et constructive. Au fil du temps, on assistera ainsi à un dynamique défilé de castors en action : castor-marchand de ballons, castor-vendeur de journaux, castor-tambour de ville, castor-lecteur et surtout castor-chargé d’une pile d’albums…du Père Castor évidemment !   L’affiche de l’exposition en cours reprend d’ailleurs ce dernier visuel des débuts, remanié en 1952 par Pierre Belvès, professeur de dessin qui a illustré une cinquantaine d’albums dont le célébrissime Roule galette...

Et dès les années 30, Paul Faucher comprend la nécessité d’homogénéiser matériel de promotion et publications : images à distribuer chez les libraires et dans les écoles, cartes postales, affichettes, bons points, calendriers, catalogues et dépliants publicitaires doivent respecter la charte graphique des albums.

François Faucher nous a quittés il y un an, en octobre 2015. L’exposition au Musée de l’Illustration Jeunesse à Moulins (Allier) près du Massif Central, jusqu’au 4 janvier 2017, résonne comme un hommage rendu à son génie créateur et à celui de son père Paul Faucher. Et un hommage aussi à ces nombreux illustrateurs de talent auxquels le Père Castor a conféré une sorte d’immortalité.

Clémentine Gaspard, septembre 2016