Le vert paradis

Formé à partir de 1995, le quatuor AES+F est né de trois personnalités moscovites issues du monde de l’architecture et de Vladimir Fridkes, photographe. Enfants et adolescents sont les inquiétants supports de communication artistique du groupe, symboles de la société toute entière. Le Passage de Retz présente un concentré de ses travaux menés depuis 1997.

 

Jeu de la vérité

Après la cour intérieure du Passage de Retz, la galerie s’ouvre au visiteur à travers une énigme insolvable dédiée à ceux qui se laissent berner par les apparences. Photographiées en buste, à la manière de Rineke Dijkstra, les Suspectes (1998), soit quatorze portraits de fillettes russes d’environ 15-16 ans accueillent le spectateur afin de susciter en lui le doute. Parmi elles, sept jeunes filles ont commis des crimes, pour la plupart exécutés au couteau de cuisine… AES+F joue sur l’uniformisation des postures, des vêtements et de la lumière pour provoquer une instinctive enquête chez le spectateur. Laquelle est innocente, laquelle est dangereuse ? Tenues en joue, elles apparaissent toutes potentiellement coupables, leurs maquillages, coiffures s’élèvent comme des indices qui s’annulent les uns après les autres. Le groupe AES+F amorce ici le thème central de son travail : le monde cruel de l’adolescence comme métaphore globalisante de la société.

 

Un paradis infernal

Tatiana Arzamasova, Lev Evzovitch et Evgeny Svyatsky ont ainsi convoqué le photographe Vladimir Fridkes à partir de 1995, pour poursuivre leurs réflexions sur ce que représente le monde des enfants pour le sens commun. Last Riot (2007), la vidéo qui fait suite à la série Suspectes, cristallise tous les aspects de l’œuvre d’AES+F. Mêlant 2D et 3D, images de synthèse et mini-séquences filmées, elle modifie le champ binoculaire du spectateur en proposant une lecture sur trois écrans. Défilante ou simultanée, l’action se déroule dans un paysage virtuel où les nouvelles technologies et le monde industriel, symbolisé par les avions et les éoliennes, flirte avec une adolescence froide, maculée de codes vestimentaires et posturaux de l’armée. Les acteurs de cette histoire apocalyptique ne sont rien de moins que de jeunes gens, androgynes et sculpturaux qui s’en prennent les uns aux autres, adoptant les gestuelles de marbres antiques, tout en recréant, le temps d’un instant, les problématiques ethniques clichées, rencontrées dans toute schématisation des caractéristiques raciales.
Une série photographique du même nom succède à cette vidéo, la musique lancinante soustraite. On retiendra volontiers la sculpture de combat Last Riot 2 (2007), immaculée et curieusement contemporaine, où la lutte absurde se poursuit, avec quelques indices temporels en plus (une figurine Hello Kitty gisant au sol, une bouteille d’Evian pliant sous le poids d’une adolescente aux couettes amidonnées…). Ruée sur le corps d’un malheureux mâle, une jeune fille voit naître de son dos, une longue queue reptilienne qui renforce la référence à la sculpture antique.

 

Solitudes infantiles

Plus loin dans l’exposition, on retrouve les garçonnets et les fillettes figés dans des espaces aux connotations fortes : Mannhattan, centre du Caire, palais Ekaterininski de St Pétersbourg. Plus d’une vingtaine d’enfants est ainsi rassemblée au centre des compositions du groupe AES+F, qui joue sur les mouvements des corps et le statisme de certains enfants. Enfin, la série Rich Boy (2000) met en scène un garçon de quelques années, aux faux airs de James Dean, dans des situations luxueuses et autres mondanités, à l’ennui avéré et déprimant. Moues et regards charmeurs sont les reflexes déjà adoptés par ce garçon, mannequin malgré lui d’un rôle que l’on souhaite le voir jouer.
 
Après l’exposition Mutations I, présentée à la MEP l’an dernier, le groupe AES+F prend de l’ampleur et excelle davantage dans le façonnement d’une enfance mûrie trop vite.

Agathe Hoffmann - Novembre 2007.

Jusqu'au 7 janvier 2008.
Le vert paradis, Groupe AES+F
Passage de Retz, 9, rue Charlot, Paris 3ème.
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h à 19h.