CARS, Quatre Roues : voitures et années 50 revisitées par Pixar

Enfin, le nouveau film de Pixar est en salles. Avec son lot de nouveautés : des voitures comme personnages, des décors western, un rendu en raytracing. Le tout baignant dans la nostalgie de l'Amérique profonde des années 50-60. On vous dit tout, avec en prime une interview exclusive de trois des principaux responsables du film en fin d'article!

Dix-huit mois depuis la sortie des « Indestructibles »! Pixar dispose pourtant de trois « pipelines » de production, permettant de travailler sur 3 films à la fois. Mais voilà, on aime peaufiner chez Pixar, et un projet dure environ 5 ans de bout en bout : deux ans de développement (histoire, design) et trois ans de production. D'où une sortie tous les ans et demi (contre presque deux par an chez Dreamworks Animation).

Le film

Deux heures, 2000 plans, environ 300 intervenants (dont 120 pour la technique et plus de 50 animateurs), « Cars » ne le cède en rien aux autres productions Pixar. Le démarrage au box-office américain est d'ailleurs plus que satisfaisant : un peu inférieur aux Indestructibles ou à Nemo (60M$ le premier week-end au lieu de 70M$), mais quand même le septième meilleur démarrage pour un film d'animation. Le public européen y trouvera peut-être un peu moins son plaisir que les Américains, faute de se reconnaître dans cette revisite de l'Amérique profonde, celle des petites villes de l'Ouest avant que le décollage des grandes métropoles comme New York et Los Angeles ne les laisse définitivement sur la touche.
Le gros de l'histoire se passe à Radiator Springs, petite ville endormie sur la mythique Route 66, celle qui reliait la côte Est et Chicago à Los Angeles avant la construction des autoroutes. Flash McQueen, une jeune voiture de course promise au plus bel avenir, s'y retrouve coincé contre son gré. Son arrogance de gagneur se transforme peu à peu en tendresse pour les habitants de Radiator Springs.. et en grand amour pour Sally, une ravissante Porsche 911! Ses nouveaux amis en retour sauront aider McQueen à gagner le Grand Prix décisif pour asseoir son statut de champion.
John Lasseter fait ici son retour comme réalisateur pour la première fois depuis 1999 (« Toy Story 2 ») sur un film presque autobiographique : il a grandi à Whittier, petite ville de Californie, dans le service pièces détachées d'une concession Chevrolet dirigé par son père... En gestation depuis 1998, le concept du film s'est précisé dans sa tête après un voyage familial en camping-car en 2001. Du coup, il a organisé une randonnée de découverte en voiture de la Route 66 pour plusieurs responsables du studio et le projet s'est lancé.

Le design du film : les voitures

Tous les personnages du film (même les insectes) sont des voitures : presque une centaine, sans compter celles vues de loin dans les stades de courses automobiles (120 000 au total). Et John Lasseter n'a pas voulu trop les humaniser : « L’acier doit ressembler à de l’acier, le verre au verre. Ces voitures doivent donner l’impression de peser leur poids, une tonne et demi ou deux tonnes. On doit le ressentir lorsqu’elles se déplacent. On ne doit pas pouvoir les prendre pour des jouets en plastique. Certaines sont des voitures de sport et elles ont une suspension plus raide. D’autres sont des vieux modèles des années 50, et elles ont des suspensions bien plus souples, élastiques. Nous voulions obtenir cette authenticité, mais aussi nous assurer que chaque voiture avait sa propre personnalité spécifique ».
Bob Pauley, le chef décorateur qui a supervisé le design des personnages automobiles, explique un second choix plus atypique : « Dès le tout début de ce projet, John avait en tête cette idée de mettre les yeux sur le pare-brise. Cela avait l’avantage de séparer nos personnages de l’approche plus communément répandue où les voitures de dessins animés ont les yeux à la place des phares. Par ailleurs, il pensait que situer les yeux à hauteur de la bouche à l’avant des voitures les aurait fait un peu ressembler à des serpents. Les yeux sur le pare-brise conféraient quelque chose de plus humain, et on avait ainsi l’impression que toute la voiture serait impliquée dans l’animation du personnage. »
Comme ces personnages consistent essentiellement en une tête sur roues, et ne peuvent pas se déformer ou s'étirer l'animation est peu cartoonesque (pas de « squash and stretch »), plus subtile comme le souligne Scott Clark, Superviseur de l'animation : « Nos personnages n’ont peut-être ni bras ni jambes, mais nous pouvons incliner les pneus vers l’extérieur ou l’intérieur pour donner l’impression de mains qui s’ouvrent ou se ferment. Nous pouvons utiliser le mécanisme de direction pour désigner un axe. Nous avons aussi conçu des paupières spéciales (et asymétriques – ndlr) et des sourcils pour le pare-brise qui nous permettent de communiquer une expressivité dont ne disposent pas les voitures. » Exception à la règle : Martin (Tow Mater en anglais), la dépanneuse, ami et faire-valoir de McQueen. Bâti en deux parties (cabine et arrière), plus quelques accessoires comme des rétroviseurs, il bénéficie de plus de liberté pour l'animation : « Il y a une scène où Martin rampe à travers un champ de tracteurs, et il ressemble tout à coup à un lion en Afrique qui ramperait vers sa proie. On éprouve alors un sentiment différent pour le personnage, le rapport avec lui est modifié. »
Reproduire chromes et les peintures ont aussi été deux grandes difficultés de ce film. Dixit Thomas Jordan, Superviseur des matières et textures des personnages :« Nous avons essayé de disséquer les éléments qui entrent dans la création d’une vraie peinture et de les recréer informatiquement. Nous avons décidé qu’il fallait une base qui donne la couleur, et le vernis qui lui donne son reflet. Nous avons ensuite ajouté des choses comme l’éclat métallisé, ou une qualité nacrée qui peut modifier la couleur selon l’angle, et même une couche de fines rayures comme pour le personnage de Ramone. »

Le design du film: les décors

Un des must de ce film: des environnements désertiques plus que détaillés avec un ciel et une lumière très travaillés. Dans le détail, les décors sont surréalistes : les falaises comme les nuages prennent des formes de pièces automobiles. Une chaîne de montagnes singe une oeuvre d'art réellment présente le long de la Route 66 : des Cadillac plantées à la verticale dans la terre. La directrice technique Lisa Forsell.dévoile quelques trucs : « Les transparences numériques, utilisées pour le ciel, sont un moyen d’obtenir une complexité visuelle sans forcément avoir à construire une géométrie complexe ou à écrire des shaders (logiciels de texture) compliqués. Nous avons consacré beaucoup de temps à travailler sur les nuages et leurs différentes formations. Ils sont en général constitués de plusieurs épaisseurs et bougent les uns par rapport aux autres. »
La petite ville de Radiator Springs a aussi été soignée : un look années 50, délavé, des immeubles dont la peinture s'écaille, et des trottoirs usés, avec des mauvaises herbes sortant du pavage. Que du bonheur pour l'équipe en charge des matières et textures! Nos hôtes vous en disent plus en fin d'article sur certaines finesses employées à ce sujet.

Les innovations technologiques

Avoir un film où les personnages sont métalliques et ont des lignes courbes et profilées signifie qu’il a fallu trouver de nouveaux moyens de traiter les peintures et reflets. Eben Ostby explique : « John voulait voir des reflets réalistes, et une mise en lumière encore plus poussée que dans nos films précédents. Pour nos autres films, nous utilisions principalement des maps d’environnement et autres technologies basées sur les transparences pour tricher avec les reflets, mais pour Cars, Quatre Roues, nous avons ajouté à notre programme Renderman existant la capacité de « ray tracing », qui permet d’obtenir des reflets totalement réalistes. » Jessica McMackin, responsable du rendu détaille : « En plus de la création de reflets exacts et réalistes, nous avons utilisé le ray tracing pour d’autres effets. Pour créer par exemple des ombres précises, comme quand il y a plusieurs sources de lumière et que vous voulez traiter la superposition des ombres. Ou pour les phénomènes de réflexions variables et d’occlusion, qui se manifeste en cas d’absence de lumière ambiante entre deux surfaces, comme avec un pli dans un tissu, par exemple. Une quatrième utilisation a été le traitement des phénomènes de radiance, comme lorsque vous placez un morceau de papier rouge devant un mur blanc : la lumière qui arrive sur le mur est teintée de rouge. »
L’ajout de reflets dans quasiment chacun des plans du film a considérablement rallongé la durée de calcul des images. Le temps de calcul moyen pour une seule des images de ce film est de 17 heures… Même avec une « render farm » de 3000 ordinateurs (sous Linux-ndlr), et des processeurs qui fonctionnent jusqu’à quatre fois plus vite que sur « Les indestructibles », il a fallu quand même près d’une semaine pour calculer une seule seconde du film final.
Autre innovation : un « ground-locking system », qui permet de garder la voiture fermement plantée sur la route, sauf lorsque l’histoire en décide autrement. Un gain de temps pour les animateurs qui avaient cela en charge auparavant. Et toujours pour gagner de la productivité, le rig (l'articulation du squelette) est pratiquement le même pour les 100 personnages, avec environ 1200 points de contrôle (là encore, Martin se distingue en en ayant plus).

« Bonus » de cet article, nous avons profité du festival d'Annecy pour questionner plus en détails Eben Ostby, Superviseur technique, Bob Pauley, Production designer, et Angus MacLane, Animateur, dont nous vous livrons les commentaires ci-dessous. Pour leur biographie détaillée, voir les commentaires en cliquant sur leur photo dans la galerie.

Sur les personnages :

Bob Pauley : Il ya plusieurs classes d'âge et catégories dans ce film : des voitures des années 50, 60, 90, des berlines; camions, station-wagons...
Eben Ostby
: Ces catégories se distinguent par leur aspect. Par exemple le jeune et fringant McQueen a un châssis carré et la suspension rigide, tandis que le vieux shérif a une carrosserie plus ronde, qui traduit l'obésité, et ses pneus sont moins gonflés pour lui donner une allure plus « soft ». Mais l'architecture de tous est commune, avec un rig similaire et des animations génériques partagées.

Bob Pauley : Avoir les yeux sur le pare-brise donne plus de surface avec laquelle travailler, la voiture devient ainsi une tête montée sur roues. Et l'asymétrie des paupières donne une allure plus organique, plus crédible au personnage.
Eben Ostby : Les yeux ne sont pas seulement peints. Un shader capture la lumière pour leur donner de la profondeur. On a aussi triché avec la perspective pour les garder ronds à l'oeil du spectateur : la forme dépend de l'angle de la caméra, et les yeux sont ainsi plus ou moins allongés.

Sur les foules de voitures :
Bob Pauley: Pour les scènes de course de voitures, les foules de spectateurs sont faites de modèles plus simples : une simple boîte avec des textures et des maps pour simuler la forme. On varie les couleurs et accessoires (fanions, etc.), et on applique des cycles d'animations simples : en haut, en bas sur les supsensions, les yeux qui roulent, etc.
Eben Ostby : Nous avons utilisé le logiciel Behaviour de Softimage pour chorégrapher les mouvements de foules de voitures : entrée dans le stade, etc. Nous n'avons pas utilisé Massive car à l'époque,il était trop récent et  n'avait encore été utilisé que pour « le Seigneur des Anneaux ». A l'avenir peut-être?

Sur l'animation :
Bob Pauley : L'idée de base est de récréer un sentiment de film « live », et aussi de rendre naturel ce qui est en fait soigneusement planifié!
Angus MacLane : C'est très important que les personnages restent crédibles et cohérents pendant tout le film; heureusement Pixar dispose d'équipes d'animateurs expérimentés et qui travaillent ensemble avec les autres départements.L'animation est faite sans les réflections, vous devez faire confiance aux autres départements pour s'en occuper. Le jeu d'acteur est difficile dans ce film, plus encore que dans « Nemo »: pas de jambes, pattes ou nageoires, pas d'oreilles ou de poils, juste des têtes posées sur des roues...
Bob Pauley : Tout est dans des inclinaisons, des poses plutôt subtiles. C'est pour cela que les yeux sont si importants.
Angus MacLane : La tendance naturelle des animateurs était d'en faire trop, et John Lasseter de s'écrier : « Non, non, ce n'est pas crédible », jusqu'à ce que les animateurs deviennent meilleurs en acting facial. Notez que Martin par contre a plus d'éléments pour l'animation : l'avant, l'arrière, les rétroviseurs, le câble. Plus généralement, les modèles s'optimisent avec le temps : ils répondent plus vite aux commandes de l'animateur, pas de retard d'1/8 de seconde comme sur « Geri's game » (le court de Pixar oscarisé en 1998 - ndlr)
Eben Ostby : Et nous avons fixé les voitures au sol pour libérer les animateurs de cette contrainte.
Angus MacLane : Synchroniser une roue et le sol est difficile, cette solution est un point de départ, plus réaliste, et on l'utilise comme base de travail.

Sur les décors et la lumière :
Bob Pauley : Rythme, couleurs et lumière sont liées à l'histoire. Les images de courses sont très contrastées, avec des couleurs brillantes et saturées, et un montage rapide. Quand McQueen arrive à Radiator Springs dans le désert, les couleurs sont désaturées pour donner cette impression de chaleur et de soif. Au fur et à mesure qu'il apprécie la ville, il y a plus de couleurs, moins de brume atmosphérique, le montage est plus lent : la ballade avec Sally par exemple. Le top est quand tous les néons de la ville se rallument pour accueillir les visiteurs vers la fin.
Par ailleurs, la caméra est utilisée comme un oeil dans ce film plutôt que comme une caméra : quand on est avec McQueen dans son garage, on voit les détails à la fois à l'intérieur (sombre) et à l'extérieur (très éclairé). Une caméra de film montrerait l'un ou l'autre.
Eben Ostby : Les immeubles dans Radiator Springs doivent avoir l'air vieux : la peinture pèle, craquèle, on a peint des textures pour cela. Cette ville a une personnalité: le côté rude, pas aligné, surtout dans les détails, est aussi organique. Pour les pelures de peinture les plus marquées, nous ne sommes pas allés jusqu'à les modeler; nous avons eu recours à du matte painting.
Les paysages de désert très détaillés ont eux été modelés, avec plusieurs niveaux de détail (LOD) gérés par le système de façon continue et stochastique.
Il y a beaucoup de complexité aussi dans l'éclairage dans ce film. Les scènes de course comptent des milliers de voitures, qui projettent des ombres, etc. Bien que nous ayons optimisé fortement le rendu, avec une seconde passe pour soulager le processus, il a fallu en moyenne une demi-journée par image pour le rendu, et certaines ont nécessite des jours entiers.

Sur le futur de Pixar et le leur:
Bob Pauley : Rien n'a changé depuis le rachat par Disney, nous restons une société séparée dans un endroit différent (Pixar est aux environs de San Francisco, Disney Animation à Los Angeles – ndlr). John Lasseter par contre passe plus de temps à Disney. Nous-mêmes avons commencé à travailler sur un projet qui devrait déboucher en 2010.
Eben Ostby : Le prochain film de Pixar est « Ratatouille », l'histoire d'un rat qui vit à Paris et veut devenir un grand chef de cuisine. Vous devriez aimer, non? La sortie est prévue pour l'été 2007.

Entretemps, Pixar va sortir un nouveau court cet automne (après « One Man Band » et avant un autre en développement). Mais il ne sera projeté qu'en festivals d'ici la sortie de Ratatouille. Par exemple en sélection à Annecy 2007?

Paul Schmitt- 06/2006
Sortie en salles : 14 juin 2006 Durée : 2h00
Réalisateur : Joe Lasseter
Coréalisateur : Joe Ranft Producteur : Darla K. Anderson
Idée originale et scénario : John Lasseter, Joe Ranft et Jorgen Klubien
Production : Pixar Animation Studios

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