Kung Fu Panda

Le film d’animation le plus ambitieux des studios DreamWorks met en scène le héros le plus improbable qui soit : un panda adepte du kung fu ! Rodolphe Guenoden, un « Frenchie » Superviseur d'animation chez Dreamworks et pratiquant de kung fu, nous détaille ce travail d'animation et de chorégraphie.
Et en bonus, en galerie ci-jointe, des VFX breakdowns très détaillés : 5 scènes avec chacune 8 à 15 étapes intermédiaires depuis le storyboard jusqu'à l'image finale.

 

Quand on pense à un panda, on visualise un animal à la douceur extrême, qui se déplace avec lenteur et qui semble vivre au ralenti. Pas vraiment le candidat idéal pour être le héros d’une aventure de kung fu. C’est pourtant le défi qu’ont relevé les animateurs de DreamWorks avec Kung Fu Panda, une réalisation de John Stevenson et Mark Osborne. Le film raconte les aventures de Po, un panda amateur de kung fu. Son physique grassouillet et sa nature placide ne se prêtent pas vraiment à la pratique de cet art martial. C’est pourtant lui qui est choisi, suite à une prophétie, pour devenir le sauveur des habitants de la vallée. Son maître aura fort à faire pour le transformer en machine de guerre…
Après Shrek et Madagascar, DreamWorks nous propose un nouveau personnage atypique, un antihéros contraint par les événements à devenir héroïque malgré lui. Le décalage entre les aspirations du personnage et les situations dans lesquelles il se retrouve se prête à de nombreux gags. Une fois encore, le studio a fait appel à une distribution éclatante pour interpréter les voix des personnages : rien moins que Jack Black, Dustin Hoffman, Angelina Jolie, Jackie Chan et Lucy Liu ! La version française n’est pas en reste avec, entre autres, Pierre Arditi, Marie Gilain et Marc Lavoine.
Pour l’ambiance du film, les cinéastes choisissent une esthétique très particulière, inspirée des graphismes épurés de l’art asiatique. “Depuis le début, les réalisateurs voyaient le film en CinémaScope, en grand format, ce qui nous a donné la possibilité de faire un film plus épique, parfait pour le genre kung fu,” raconte la productrice Melissa Cobb. “Cela nous a aussi donné la possibilité d’explorer une certaine vision de la Chine. Notre but était de faire un film avec une image vraie, une identité visuelle, et d’utiliser les dernières technologies de l’animation pour arriver à nos fins. Un de nos principes était basé sur l’art chinois appelé  « la beauté du vide ». Nous avons essayé d’être disciplinés dans le design et dans la mise en image. Nous voulions que les dessins soient simples, afin de permettre aux yeux de se concentrer sur les personnages et sur les décors.”
Au sein du studio, pas moins de 448 personnes sont mobilisées sur le projet, lequel demandera en tout quatre ans et demi de travail. Le département animation représentait une bonne quinzaine de nationalités différentes. Parmi celles-ci, de nombreux Français, dont Rodolphe Guenoden, superviseur de l’animation et chorégraphe des séquences d’action. Pour Pixelcreation, il raconte l’aventure de longue haleine qu’a représenté le film.

Pixelcreation – Pour commencer, pourriez-vous nous dire quel a été votre parcours ?
Rodolphe Guenoden
– Je suis diplômé des Gobelins, la meilleure école d’animation au monde ! À l’époque (1988), le film Qui veut la Peau de Roger Rabbit ? venait de sortir et tout le monde voulait faire de l’animation. J’ai été embauché par Amblimation, un studio d’animation traditionnelle monté à Londres par Steven Spielberg et Universal. J’y ai passé sept ans, jusqu’à ce que toute l’équipe soit transférée à Los Angeles pour le lancement de DreamWorks Animation en 1995. Notre premier projet a été Le Prince d’Égypte. J’ai donc fait toute ma carrière chez Spielberg…
Pixelcreation : Quelle était votre spécialité ?
Rodolphe Guenoden :  Au départ, j’étais animateur traditionnel, puis je me suis mis à faire du story-board en parallèle. J’aimais bien participer à un projet dès ses premières étapes et le suivre jusqu’à la fin.
Pixelcreation : Quel a été votre rôle sur Kung Fu Panda ?
Rodolphe Guenoden :  J’étais l’un des six superviseurs de l’animation. Chacun de nous était responsable de plusieurs séquences et disposait d’une équipe entière. Au-dessus de nous se trouvait le directeur de l’animation. C’est lui qui définissait le style d’animation, le jeu des personnages, etc. Les séquences étaient réparties selon la sensibilité des superviseurs. Personnellement, j’ai pratiqué les arts martiaux pendant vingt ans. En toute logique, je me suis retrouvé en charge de toutes les séquences de kung fu du film. Cela m’a incité à franchir le pas vers l’animation 3D…
Pixelcreation : Pourquoi ? Vous n’aviez jamais travaillé en 3D ?!
Rodolphe Guenoden :  Non… Étant issu de l’animation traditionnelle, j’avais toujours résisté ! [Rires] Sur tous les films en 3D du studio, je n’ai jamais animé quoi que ce soit. Je m’occupais du story-board et de la conception visuelle. Mais là, je me suis dit que c’était le projet idéal pour me lancer. Après tout, quelle chance j’avais de me retrouver un jour à travailler sur un autre film d’animation basé sur les arts martiaux ?! C’était l’occasion ou jamais. J’ai donc littéralement appris à animer en 3D sur ce film…
Pixelcreation : Et alors, vous en pensez quoi ?…
Rodolphe Guenoden :  J’ai trouvé ça très intéressant, même si je persiste à penser que la 3D n’arrivera jamais à la qualité d’animation qu’on obtient en 2D. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est en fait l’ambiance au sein de l’équipe. Contrairement aux autres projets du studio, tous ceux qui travaillaient sur le film étaient volontaires. On s’est donc retrouvé avec une équipe très enthousiaste et incroyablement motivée. Il y avait notamment toute une vague de jeunes animateurs français, des artistes dont c’était le premier film. La plupart d’entre eux étaient issus des Gobelins.
Pixelcreation : DreamWorks semble compter une belle communauté de Français à présent !
Rodolphe Guenoden :  Absolument. Ça date de l’époque du studio de Londres où il y avait déjà beaucoup de Français. Et depuis le début, DreamWorks Animation a entretenu des liens privilégiés avec l’École des Gobelins. Pour vous dire, l’un des vétérans de l’animation au sein du studio est Christophe Serrand : il était mon professeur aux Gobelins ! Il garde toujours un œil sur ce qui se passe à l’école, sur les nouveaux talents…

Pixelcreation : Pour en revenir à Kung Fu Panda, racontez-nous les grandes étapes du processus de réalisation.
Rodolphe Guenoden : On a commencé par concevoir le film sur le plan visuel. Mon rôle consistait à story-boarder toutes les scènes. Avec ce film, le studio a tenté une nouvelle approche : au lieu d’écrire un scénario, puis de le visualiser en story-board, nous sommes partis d’un simple résumé de l’histoire pour développer l’action visuellement. De fait, le film s’est construit au story-board pendant à peu près deux ans, puis ce travail a été retranscrit sous forme de scénario. Il faut bien comprendre qu’en animation, le story-board, c’est le film, bien plus que le scénario. C’était donc passionnant parce que nous avons vraiment élaboré en images tout le film et les personnages ! Ensuite, il y a eu un an de modélisation et de rigging, puis encore un an et demi pour l’animation avec un groupe de 30 animateurs. Pour moi, l’un des aspects les plus excitants de ce projet était que je devais développer toute la chorégraphie des scènes de combat, ce qui était très excitant.
Pixelcreation : Comment avez-vous procédé ?
Rodolphe Guenoden : J’ai dessiné sur papier le déroulement de l’action, les principales poses clés, etc. L’animation a donc été préparée en 2D, puis retranscrite en 3D. Certains animateurs avaient besoin de plus d’informations visuelles que d’autres à ce niveau. Notre référence principale était les films de Jackie Chan, ; il a su mieux que quiconque associer arts martiaux et comédie. Les animateurs ont même suivi des cours d’arts martiaux afin de bien comprendre la mécanique des mouvements. Sur le plan de l’animation, l’idée était de baser le style de combat de chaque animal sur le style réel que celui-ci représentait dans le kung fu. Il faut savoir que cet art martial comporte cinq styles principaux dont les mouvements s’inspirent de ceux d’un animal particulier. Comme vous pouvez l’imaginer, dans la réalité, le panda ne fait pas vraiment partie de ces animaux… [Rires]
Pixelcreation : Quel était votre pipeline logiciel ?
Rodolphe Guenoden :  L’animation a été réalisée dans EMO, notre logiciel maison. Un outil beaucoup moins élaboré que Maya, mais il ne fait que de l’animation. Son avantage, c’est donc qu’il est bien moins lourd. Par contre, nous avons utilisé Maya Cloth pour les simulations de vêtements.
Pixelcreation : Les animaux présentés dans le film ne se prêtent pas forcément à des mouvements de kung fu. Comment avez-vous géré cet aspect du projet ?
Rodolphe Guenoden :  Nous avons fait énormément de recherches, notamment sur deux animaux qui étaient différents de tout ce qu’on avait pu faire par le passé. Il y avait la grue pour laquelle nous avons créé un rig qui empêchait les plumes de s’interpénétrer. Nous avions aussi la vipère, une morphologie comme on en avait encore rarement vue dans l’animation 3D. Ce personnage nécessitait un rig tout à fait spécial.

Pixelcreation : Quels étaient les défis techniques posés par le serpent ?
Rodolphe Guenoden :  Le rig était exceptionnellement complexe. Pour que le corps puisse se contorsionner dans tous les sens, il fallait une quantité phénoménale de points de contrôle, ce qui se traduisait par un modèle très lourd. Le plus difficile était de parvenir à former avec ce corps une simulation de membre humain, par exemple lorsque le personnage donne un « coup de poing » ou un « coup de pied ». Ce type de plan était un sacré défi.  Nous avons même été amenés à tricher sur un plan particulier. Il fallait montrer la vipère s’enrouler autour d’un autre personnage, puis attraper son bras avec la queue et l’obliger à se frapper lui-même. Nous avons réalisé que la vipère n’était pas assez grande pour faire tout ça… Même en l’étirant, ça ne marchait pas : le surfacing craquait. Nous avons donc ajouté une deuxième vipère, dont nous avons caché la tête, pour réaliser la moitié de l’animation ! [Rires]
Pixelcreation : Est-ce que la grue représentait aussi de gros défis techniques ?
Rodolphe Guenoden :  Oui, au niveau des plumes. Il y avait très peu de simulation, en fait. Le rig disposait de contrôles qui permettaient d’ouvrir plus ou moins les plumes en fonction de leur emplacement sur l’aile. Il fallait aussi être capable de lui faire replier les ailes en un seul mouvement… Heureusement que nous avons eu beaucoup de temps pour tester les rigs et développer des outils vraiment maniables.
Pixelcreation : Avez-vous utilisé une simulation pour animer les mouvements de queue sur les félins et le singe ?
Rodolphe Guenoden :
  Oui, mais seulement lorsque les personnages étaient statiques. Dès lors qu’ils entraient en action, on passait à une animation en poses clés.
Pixelcreation : La petite taille de la mante religieuse a dû poser son lot de difficultés…
Rodolphe Guenoden :  C’est vrai. Il fallait faire très attention à ce qu’elle ne passe pas inaperçue dans les plans larges. C’était difficile de mettre au point des cadrages qui la plaçaient au même niveau que les autres personnages et qui paraissaient néanmoins naturels. Le plus souvent, on la posait sur une épaule ou bien sur une portion de décor placée à hauteur de la caméra.
Pixelcreation : Et le Panda, comment l’avez-vous animé ?
Rodolphe Guenoden :  Pour les scènes d’action, c’était très compliqué. Quoi qu’il fasse, on se retrouvait toujours bloqués par son énorme ventre au milieu. Et comme il a des pattes très courtes, ça n’arrangeait rien. Il nous fallait souvent casser le rig pour pouvoir lui lever la jambe comme on le souhaitait !
Pixelcreation : D’une manière générale, comment fonctionnait le département animation par rapport aux personnages ?
Rodolphe Guenoden :  Jusqu’à récemment, nous avions un animateur par personnage. C’est comme ça que Disney fonctionnait. Chaque personnage était attribué à un animateur dont la personnalité et la sensibilité correspondaient. C’était un vrai « casting ». Mais pour des raisons de logistique, on fonctionne maintenant avec un animateur par plan, c’est-à-dire qu’un animateur va faire tous les personnages au sein d’un même plan. Ce n’est pas toujours idéal, car on court le risque que les personnages ne soient pas homogènes d’un bout à l’autre du film.
Pixelcreation : Comment avez-vous réalisé les effets de destruction sur le décor, notamment dans la scène du pont suspendu ?
Rodolphe Guenoden :  L’animation principale a été réalisée en poses clés, puis les effets de destruction secondaires ont été ajoutés en simulation.
Pixelcreation : Quel regard portez-vous sur ce projet à présent ?
Rodolphe Guenoden :  Depuis vingt ans que je travaille dans l’animation, c’est le film qui m’a procuré le plus de plaisir. Je me suis vraiment investi à fond dans ce projet. Même chose pour l’équipe. Sincèrement, je n’avais jamais vu des gens aussi motivés, aussi enthousiastes pour un projet. Quand on se retrouve dans une ambiance pareille, on n’a qu’une seule envie : donner le meilleur de soi-même !


ALAIN BIELIK  Juillet 2008
(commentaires images : Paul Schmitt)

Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 17 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.

Pixelcreation : Quels étaient les défis techniques posés par le serpent ?
Rodolphe Guenoden :  Le rig était exceptionnellement complexe. Pour que le corps puisse se contorsionner dans tous les sens, il fallait une quantité phénoménale de points de contrôle, ce qui se traduisait par un modèle très lourd. Le plus difficile était de parvenir à former avec ce corps une simulation de membre humain, par exemple lorsque le personnage donne un « coup de poing » ou un « coup de pied ». Ce type de plan était un sacré défi.  Nous avons même été amenés à tricher sur un plan particulier. Il fallait montrer la vipère s’enrouler autour d’un autre personnage, puis attraper son bras avec la queue et l’obliger à se frapper lui-même. Nous avons réalisé que la vipère n’était pas assez grande pour faire tout ça… Même en l’étirant, ça ne marchait pas : le surfacing craquait. Nous avons donc ajouté une deuxième vipère, dont nous avons caché la tête, pour réaliser la moitié de l’animation ! [Rires]
Pixelcreation : Est-ce que la grue représentait aussi de gros défis techniques ?
Rodolphe Guenoden :  Oui, au niveau des plumes. Il y avait très peu de simulation, en fait. Le rig disposait de contrôles qui permettaient d’ouvrir plus ou moins les plumes en fonction de leur emplacement sur l’aile. Il fallait aussi être capable de lui faire replier les ailes en un seul mouvement… Heureusement que nous avons eu beaucoup de temps pour tester les rigs et développer des outils vraiment maniables.
Pixelcreation : Avez-vous utilisé une simulation pour animer les mouvements de queue sur les félins et le singe ?
Rodolphe Guenoden :
  Oui, mais seulement lorsque les personnages étaient statiques. Dès lors qu’ils entraient en action, on passait à une animation en poses clés.
Pixelcreation : La petite taille de la mante religieuse a dû poser son lot de difficultés…
Rodolphe Guenoden :  C’est vrai. Il fallait faire très attention à ce qu’elle ne passe pas inaperçue dans les plans larges. C’était difficile de mettre au point des cadrages qui la plaçaient au même niveau que les autres personnages et qui paraissaient néanmoins naturels. Le plus souvent, on la posait sur une épaule ou bien sur une portion de décor placée à hauteur de la caméra.
Pixelcreation : Et le Panda, comment l’avez-vous animé ?
Rodolphe Guenoden :  Pour les scènes d’action, c’était très compliqué. Quoi qu’il fasse, on se retrouvait toujours bloqués par son énorme ventre au milieu. Et comme il a des pattes très courtes, ça n’arrangeait rien. Il nous fallait souvent casser le rig pour pouvoir lui lever la jambe comme on le souhaitait !
Pixelcreation : D’une manière générale, comment fonctionnait le département animation par rapport aux personnages ?
Rodolphe Guenoden :  Jusqu’à récemment, nous avions un animateur par personnage. C’est comme ça que Disney fonctionnait. Chaque personnage était attribué à un animateur dont la personnalité et la sensibilité correspondaient. C’était un vrai « casting ». Mais pour des raisons de logistique, on fonctionne maintenant avec un animateur par plan, c’est-à-dire qu’un animateur va faire tous les personnages au sein d’un même plan. Ce n’est pas toujours idéal, car on court le risque que les personnages ne soient pas homogènes d’un bout à l’autre du film.
Pixelcreation : Comment avez-vous réalisé les effets de destruction sur le décor, notamment dans la scène du pont suspendu ?
Rodolphe Guenoden :  L’animation principale a été réalisée en poses clés, puis les effets de destruction secondaires ont été ajoutés en simulation.
Pixelcreation : Quel regard portez-vous sur ce projet à présent ?
Rodolphe Guenoden :  Depuis vingt ans que je travaille dans l’animation, c’est le film qui m’a procuré le plus de plaisir. Je me suis vraiment investi à fond dans ce projet. Même chose pour l’équipe. Sincèrement, je n’avais jamais vu des gens aussi motivés, aussi enthousiastes pour un projet. Quand on se retrouve dans une ambiance pareille, on n’a qu’une seule envie : donner le meilleur de soi-même !


ALAIN BIELIK  Juillet 2008
(commentaires images : Paul Schmitt)

Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 17 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.