
"La notion de projet est intimement liée à la problématique de la technique. Si je projette de tuer un mammouth et que j'ai constaté que je ne peux pas m'approcher trop près, j'essaye de trouver un moyen de jeter une arme de loin. Et j'invente la sagaie et 10 000 ans plus tard, l'arc... Et de fait, je suis dans un projet. Je me construis un outil avec un concept : c'est un problème de design. Par la suite, cet objet est investi de plusieurs fonctions, y compris symboliques et sociales. La possession de cette arme signifie que je suis un chasseur, voire un chef. On observe les mêmes phénomènes avec nos objets contemporains.
La table qui est dans mon bureau est typique des années 70. Elle possède des coins arrondis. Pourquoi ? Parce que dans l'esprit de son créateur, si l'on s'y cogne, c'est moins douloureux que des coins carrés. Le problème c'est que les êtres humains apprennent à ne pas se cogner dans des tables qui ont des coins carrés. La culture, c'est autre chose que des analyses de fonctions.
Assumer les paradoxes reste compliqué pour les êtres humains. A la limite, la dialectique est plus facile que la pensée paradoxale. Se dire qu'il y a du blanc, du noir et qu'il faut faire une synthèse, cela fonctionne assez bien. Le compliqué c'est que tout n'est pas dans un rapport dialectique. C'est le cas de la forme et du sens qui font corps ensemble et pourtant qui sont différents. Pour apprendre à maîtriser ce problème, je pense qu'il faut assumer ce paradoxe."