Astérix et Obélix au service de Sa Majesté

Les coulisses d’une post-production compliquée par la faillite du principal studio, Duboi.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la saga Astérix et Obélix ne brille pas par sa continuité. Là où Luc Besson a pu faire quatre Taxi et trois Transporter avec la même équipe d'acteurs, les Astérix ont réussi « l'exploit » de changer quasiment tous les interprètes à chaque film : Astérix, Panoramix, Jules César, etc. Seul Gérard Depardieu maintient un semblant d'unité artistique à la saga, il est le seul à avoir fait les quatre films. Même jeu de chaises musicales derrière la caméra avec une équipe de production et un personnel technique complètement renouvelé à chaque film. Le résultat, c'est une franchise extrêmement inégale, dans laquelle les films semblent n'avoir aucun rapport les uns avec les autres. Cela dit, ce handicap ne les a pas empêchés d’attirer les spectateurs par millions à chaque fois…

Le studio Duboi met genou à terre
L'un des rares éléments de continuité dans la série, c'était le studio d'effets visuels parisien Duboi. Ils avaient réalisé tout ou partie des effets des trois premiers films, avec comme superviseurs Alain Carsoux (1 et 3) et Thomas Duval (2). Pour Astérix et Obélix: au service de Sa Majesté, la société avait une nouvelle fois remporté l'appel d'offres lancé par la production. Kevin Berger supervise le tournage, long et compliqué, mais à la fin 2011, c'est le choc. Suite à la faillite de sa maison-mère Quinta Industries, Duboi est placé en liquidation judiciaire. La production se retrouve sans prestataire, avec une date de sortie imposée et déjà un mois de retard sur le calendrier. Pour un film qui repose autant sur les effets visuels, c'est une catastrophe.

Mac Guff Ligne et Mikros Image au service d'Astérix et Obélix
Prise à la gorge, la production lance un nouvel appel d'offres. Celui-ci est remporté par Mac Guff Ligne et Mikros Image. Les nouvelles équipes doivent faire face à un défi insensé : prendre au vol un film sans aucune préparation, et traiter des centaines d'effets visuels très ambitieux en un temps record, avec le défi supplémentaire de les réaliser en stéréoscopie.

Chez Mac Guff Ligne, c’est Rodolphe Chabrier, directeur des effets visuels et président, qui a pris le projet en charge : “Nous nous sommes chargés des scènes les plus lourdes en animation full 3D, comme la séquence d'ouverture. Quand ce projet est arrivé, nous étions déjà à l'étroit dans nos locaux, nous ne pouvions pas accueillir une équipe supplémentaire pour ce film. Il se trouve que nous avions déjà une équipe en extérieur qui travaillait sur le film Kirikou, et ça fonctionnait très bien. Nous avons donc installé une troisième équipe dans un local qui a été aménagé spécialement pour l'occasion en trois semaines seulement. Il disposait d’une liaison en fibre noire avec le siège de Mac Guff et avec la production du film. Notre équipe s'est investie à fond dans le projet, un groupe de 40 artistes très efficaces placés sous la direction de Yann Blondel. Comme le film exigeait beaucoup de 3D et de simulations, il fallait une grosse puissance de calcul. Surtout que le film était, ne l'oublions pas, tourné en relief 3D, ce qui augmentait considérablement les besoins en la matière. Le projet a généré 40 To de données ! On a démarré en février 2012 avec un bouclage prévu en mai. Ensuite, on a eu trois mois pour des retouches de plan, des modifications, des plans additionnels, etc. Au final, nous avons réalisé 270 plans.”

Mac Guff s'est également chargé de la création du générique de début, lequel a été réalisé en deux versions différentes. Suite à un changement au niveau du montage, le générique a été déplacé dans la chronologie du film, ce qui rendait la première version obsolète. L'équipe a dû repartir de zéro pour créer une nouvelle animation. Les deux ont été produites en stéréoscopie, un processus que Mac Guff maîtrise déjà depuis plusieurs années pour l'avoir employé sur plusieurs projets, dont Moi, Moche et Méchant. “La stéréoscopie peut être un vrai piège si l'on n'y est pas préparé,” souligne Rodolphe Chabrier. “Ça peut facilement doubler les délais sur un film aussi compliqué. Heureusement, on avait l'expérience, les outils, les moniteurs 3D, etc.”
Mac Guff ne peut récupérer qu’un seul élément dans la base de données que Duboi avait créée, à savoir la géométrie des galères romaines. Pour le reste, les pipelines étaient trop différents pour que la nouvelle équipe puisse reprendre quoi que ce soit. Il a donc fallu repartir de zéro pour la modélisation et les textures de tous les autres éléments.

Refaire la mer en 3D
La scène d'ouverture avec l'armada romaine était la plus exigeante car dans la majorité des plans, l'image entière est une animation 3D. Le film avait beau être tiré d'une bande dessinée, le rendu devait être parfaitement réaliste. Seuls les scènes de baffes ou les effets de potion magique pouvait présenter un certain degré de stylisation. Tous les plans avec les personnages en mer, que ce soient les Romains, les pirates ou les Gaulois, ont été filmés aux studios de Malte. Bâti en bord de mer, le site est équipé d’un immense bassin à débordement, ce qui fait que, du point de vue de la caméra, l’eau se confond avec la mer qu’on voit à l’arrière-plan. Un dispositif qui permet d'obtenir tous les avantages d'un tournage en mer sans les inconvénients.
Le seul élément que la production n'avait pas prévu, c’était que cette illusion d'optique s'accordait mal avec la stéréoscopie… “Dans un film en 2D, ça marche parfaitement, mais en 3D, l'illusion ne fonctionne plus,” explique Rodolphe Chabrier. “Comme le relief permet d’apprécier les distances, on remarque tout de suite que l'eau du bassin est devant, que la mer est au loin et qu'il y a un espace vide entre les deux… Résultat, il a fallu remplacer systématiquement l'arrière-plan par une mer animée en 3D. Cela s'est avérée être un très gros projet, ces plans n’étaient pas censés comporter des effets visuels. Il a fallu détourer à la main des dizaines de cordages et autres équipements pour pouvoir intégrer la mer à l’arrière-plan. En théorie, ça n'a rien de compliqué, car on fait ça tout le temps, mais avec le relief, c'était incroyablement difficile. On pouvait avoir une rotoscopie parfaite sur l'image gauche et sur l'image droite, mais lorsqu'on les voyait ensemble avec des lunettes 3D, ça ne marchait plus, on voyait un décalage sur le cache… Avec le relief 3D, tous les problèmes sautent aux yeux, même ce qui passerait inaperçu en 2D. Heureusement, grâce à notre expérience en matière de stéréoscopie, on a pu identifier les problèmes rapidement et de livrer tous les plans en temps et heure.” Pendant la postproduction, Mac Guff sera amené à convertir plusieurs plans qui avaient dû être tournés en 2D pour des raisons pratiques.

La mer et les navires sont créés en 3D dans Maya et V-Ray associés aux logiciels maison de Mac Guff. Une fois encore, la stéréoscopie rend tout le processus très compliqué. Pour de nombreuses raisons, des simulations marines qui fonctionnaient parfaitement en 2D se révélaient beaucoup moins réalistes 3D. Pour obtenir une mer crédible à l'écran, l'équipe est obligée de recourir à de petites combines maison qui permettent au relief de fonctionner. Mais l'élément aquatique n'était pas le seul défi de cette séquence. Il fallait aussi créer des simulations complexes pour les personnages sur les navires, pour le mouvement des voiles, et aussi de grosses simulations dynamiques pour la destruction du bateau pirate. Même complexité pour le plan sous-marin où l’on voit par en-dessous un navire se faire briser en deux par un rocher.
 

Potion magique et grosse baffe
Signature visuelle de la saga Astérix, les effets de potion magique ont changé de look à chaque film. D’un côté, cela ne renforce guère la continuité de la série, mais de l’autre, cela permet aux animateurs d’innover à chaque fois. Pour Astérix et Obélix: au service de Sa Majesté, la décision a été prise de jouer sur le relief en « projetant » les effets vers les spectateurs. “On avait beaucoup de jaillissements en 3D en dehors du plan de l'écran. On a filmé les acteurs deux fois, une fois dans la position normale, et une fois avec la tête en position avancée. C'est cette deuxième prise qu'on a retravaillée en projetant l'image de l'acteur sur un visage 3D qu'on pouvait animer. On déformait le visage, on ajoutait des particules, des effets de couleur, etc.”

Mac Guff a également créé de nombreux autres effets pour le film, parmi lesquels la baffe que prend Astérix. “On a créé une doublure numérique de l'acteur pour le vol proprement dit, puis on a fait un morphing pour assurer la transition avec le vrai comédien qui était traîné au sol par des câbles. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la scène des Normands au bord de la falaise. Le décor réel a été remplacé par un environnement entièrement numérique. Suivant les plans, il s'agissait de matte-paintings 2D ou 3D.”

Baptème du feu pour Mikros Image Montréal
De son côté, Mikros Image s’investit dans le projet à partir de sa toute nouvelle filiale canadienne, basée à Montréal et dirigée par Pascal Laurent. Supervisée par Guillaume Terrien (VFX) et Laurent Taillefer (3D), l’équipe comprenait 82 personnes, dont une soixantaine de graphistes répartis à part égale entre spécialistes 2D et 3D. Au final, 350 plans seront réalisés à Montréal. Ils comprenaient, entre autres, l'ensemble des environnements terrestres – à savoir les villages bretons et gaulois, Londres, et le stade – la séquence finale de la bataille avec les Romains, et les scènes dans la cave avec les soldats romains.
Pour Mikros Image, les défis principaux étaient la stéréoscopie, les nombreux plans de foule, et bien entendu, la reprise en main d'un projet déjà commencé par un autre studio. L’équipe a travaillé à partir d’un pipeline logiciel Maya, miCrowd (logiciel propriétaire Mikros), Arnold, et Nuke. Mudbox a également été utilisé pour le modeling et certaines textures.
Très peu d’éléments ont pu être récupérés chez Duboi, comme le confirme Laurent Taillefer : “On a utilisé certains modèles, des textures et des rigs, les photos et les mesures de tournage, plus quelques éléments de matte. D’une manière générale, il a fallu tout rééditer, ne serait-ce que pour intégrer les assets à notre pipeline de rendu basé sur Arnold. La difficulté majeure a été de trier le matériel pour déterminer ce que nous pouvions réutiliser.”

Les simulations de foule étaient l’une des clés du projet pour l’équipe. “Ces simulations ont été utilisées en totalité ou bien en complément des acteurs réels qui étaient présents dans l’image. Nous avons travaillé à partir du logiciel miCrowd, une intégration maison des outils développés par Golaem (www.golaem.com). Pour créer les agents, nous avons utilisé des modèles, textures et animations capturées sur le tournage. Pendant la bataille, la majeure partie de l'environnement est un matte-painting, ce qui nous a conduits à traiter la scène comme essentiellement du full 3D. Les plans intégrant des acteurs ont été plus complexes à traiter, essentiellement à cause de problèmes liés à la stéréoscopie. On se retrouvait en effet avec des distorsions optiques atypiques entre les deux images (œil droit et œil gauche). Le compositing a dû intervenir pour réaligner les éléments de façon correcte.”

Matte paintings en stéréo
Les matte-paintings et extensions de décor ont été créés à partir de scans 3D au LIDAR de l'environnement fournis par la production pour la majorité des sites. L’équipe disposait en plus de nombreuses photos de référence de la partie réelle de l’image pour obtenir un modèle 3D précis. “Nous avons ensuite modélisé, texturé et éclairé les éléments à rajouter (maisons, villages, végétation, etc.) de manière à obtenir une image stéréo exploitable. Nos matte-painters ont corrigé certains éléments de l’image, et ceux-ci ont été reprojetés sur les modèles 3D. Pour l'essentiel, il s'agissait donc d'une approche principalement 3D. Les arrière-plans ont également été projetés, mais à partir d'une image unique, et donc de manière plus traditionnelle. À cette distance, l'impact sur la stéréo était plus limité.”

Pour Mikros Image Montréal, le film a été un véritable baptême du feu ! “Difficile d’imaginer un projet plus compliqué : travail entamé par un autre studio, aucun contrôle sur les sources, problèmes de désalignement stéréo, démarrage du studio à Montréal.…” conclut Pascal Laurent. “Malgré tout, nous avons réussi à livrer des images de belle qualité, tout en relevant tous les défis techniques du film. J’ai rencontré une équipe, encadrement et graphistes, qui s’est avérée remarquable. Une belle aventure et un beau départ pour notre studio montréalais !”

Même son de cloche chez Mac Guff : “C'était la première fois qu'on nous demandait de « faire le pompier » avec si peu de temps devant nous. Franchement, quand on a vu au départ tout le travail qu'il y avait à faire, qui plus est en stéréo, ça nous a fait peur. Mais à l’arrivée, il n'y a eu aucun retard et nos effets ont fière allure. Ça prouve qu’en France, on a les gens et le matériel pour répondre à des défis comme celui-là.”

ALAIN BIELIK, Octobre 2012
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis plus de 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


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