Godzilla

Non pas un ni deux, mais trois monstres géants qui détruisent tout sur leur passage ! Ou comment traiter le gigantisme en VFX…

Si les monstres de cinéma devaient avoir un roi, ce serait certainement Godzilla. Depuis sa création en 1954 dans les studios japonais de la Toho, cette créature est devenue une véritable légende. Son statut est complètement à part dans le genre car suivant les circonstances, Godzilla peut être un fléau pour l'humanité ou bien au contraire un sauveur. Son succès a donné naissance à un genre à part entière, celui des films de monstres géants. Guillermo Del Toro leur a d'ailleurs rendu hommage l'an dernier avec Pacific Rim. En 1998, Hollywood a proposé une version « américanisée » de Godzilla avec un remake signé Roland Emmerich où Godzilla détruit New York. Le succès n'avait pas été suffisant pour justifier le lancement d'une saga.

Aujourd'hui, Godzilla revient sur les écrans pour une nouvelle entreprise de séduction des spectateurs internationaux. Et cette fois-ci, ce sont Honolulu, Las Vegas et San Francisco qui font les frais de l’opération !
Afin de superviser sa renaissance numérique, le studio Warner Bros. a fait appel à Jim Rygiel, triplement oscarisé pour les effets visuels de la trilogie du Seigneur des Anneaux. “Le film comporte environ 900 plans d'effets visuels élaborés, plus une bonne centaine d’effets additionnels,” explique-t-il. “J’ai travaillé avec deux prestataires principaux, MPC Vancouver et Double Negative. MPC s'est chargé des plans du monstre les plus complexes, tandis que Dneg a travaillé sur ceux qui faisaient intervenir les environnements les plus élaborés. Par ailleurs, Scanline VFX a réalisé une scène de tsunami dans laquelle Godzilla n'apparaît pas. Ce type de simulation aquatique est leur spécialité, ils étaient parfaits pour cette séquence.”

Retour aux sourcespour le design de Godzilla
Le processus de design de la créature s'est étalé sur plusieurs mois. Après la vision très moderne de la version 1998, le studio a opté pour un retour à la silhouette originale, tellement reconnaissable. “Nous sommes partis du Godzilla classique, bien droit sur ses deux pattes, avec une très longue queue, et d'énormes épines sur le dos. Nous avons adapté cette anatomie pour lui donner une ligne plus animale. Les créateurs du design original étaient limités par le fait que le monstre devait être interprété par un acteur dans un costume, nous n'avions pas cette contrainte, le design pouvait donc être beaucoup plus organique. Pour sa taille, nous avons testé différentes versions et choisi celle qui fonctionnait le mieux par rapport aux bâtiments au milieu desquels il devait évoluer. Ça nous a donné une taille de 75 mètres – il s’agit du plus grand Godzilla jamais réalisé !”

Tout de suite, les premiers tests ont montré que l'animation de Godzilla allait être un point délicat. D'un côté, il fallait prendre en compte la masse titanesque du monstre et réaliser des mouvements lents et pesants. De l'autre, si l'action ralentissait trop, le monstre devenait ennuyeux, surtout dans les scènes de combat. “En fait, notre pire crainte était que Godzilla ait l’air de marcher « au ralenti ». Or, entre un monstre très grand à la démarche lourde et un monstre filmé au ralenti, la différence n’est pas évidente ! Au départ, nous avions projeté de baser l’animation sur des calculs savants qui prenaient en compte la taille de la créature, sa masse supposée, et la distance qu'elle devait parcourir dans le plan. Nous nous sommes rendus compte que, lorsque Godzilla bouge son bras, par exemple, ça représente une distance de trois blocs au sol. Or, pour couvrir une telle distance dans la réalité, il aurait fallu que le bras bouge à Mach 10 ! [Rires] La seule façon de gérer toutes ces contraintes a été de fonctionner au cas par cas. On retouchait l'animation encore et encore jusqu'à ce que le mouvement semble naturel.”

Pour insuffler une vraie personnalité au monstre, Jim Rygiel s'est assuré la participation de Andy Serkis, spécialiste de la performance capture. Les deux hommes avaient collaboré sur Le Seigneur des anneaux où l’acteur interprétait Gollum. Serkis a été filmé en studio en train de jouer les principales scènes de Godzilla. Ces images vidéo ont ensuite fourni une référence très utile aux animateurs pour comprendre l'esprit de la scène.

Travailler à une autre échelle

Une fois l'animation finalisée, l'équipe a intégré toutes les animations secondaires sur les muscles, les masses graisseuses, etc., puis a ajouté la simulation de la peau glissant sur ces volumes. La seule différence par rapport à un personnage classique, c'était qu'ils devaient travailler sur des muscles de plusieurs dizaines de mètres de long, ce qui a nécessité une période d’adaptation…

Animer Godzilla ne représentait qu'une partie du défi, le plus difficile était sans doute de l'intégrer à la perfection dans les environnements. “Le mot d'ordre était de rendre Godzilla le plus réaliste possible. Il fallait absolument convaincre les spectateurs que cette créature gigantesque se promenait réellement dans les rues de San Francisco. Pour y parvenir, la solution a consisté à réaliser un maximum d'interactions de la créature avec l'environnement. Dès que l'animation était intégrée dans le plan, on étudiait le parcours de Godzilla avec la plus grande attention et on décidait où ajouter des interactions : morceaux de bâtiments qui s’effondrent, chaussée qui s’enfonce, béton qui brise, explosions, projections de débris, etc. Une fois que toutes ces simulations dynamiques étaient finalisées, on passait aux simulations de fluide : panaches de fumée ou brouillard. Et là, ça devenait très compliqué, car chaque mouvement de Godzilla devait générer des turbulences. Les calculs étaient si complexes qu'on avait des temps de rendu de deux semaines par plan ! Autant dire qu'il fallait bien réfléchir avant de faire la moindre modification…”

La dernière touche aux plans de Godzilla a été peut-être la plus subtile : ajouter dans la scène un ou plusieurs éléments qui donnaient une référence humaine dans l’image. En plaçant des personnages au premier plan, ou bien un hélicoptère ou une voiture à côté du monstre, l'équipe s'assurait que les spectateurs avaient toujours un élément de comparaison pour évaluer la taille de celui-ci.

Les MUTOS
Comme dans les bons vieux films de la Toho, Godzilla est amené à affronter d'autres créatures tout aussi monumentales. « Nous avons conçu deux autres monstres, appelés MUTOS, pour le film, dont un (le mâle) capable de voler. Leur design a été excessivement difficile à mettre au point car le réalisateur Gareth Edwards voulait un look inédit. Avec Godzilla, nous savions au moins dans quelle direction aller ; là, on partait dans l’inconnu. Nous nous sommes donc retrouvés avec cette consigne incontournable : ‘Je veux un monstre comme jamais on n’en a vu au cinéma !’ On nous fait le coup à chaque film… [Rires] »

Au final, le design croise une gueule style Alien avec un corps de chauve-souris pour le MUTO mâle et de crevette géante pour le MUTO femelle. Mais avec 6 pattes chacun !

  Comme pour Godzilla, il a fallu travailler au jugé pour l'animation de ces monstres. Par exemple, le MUTO volant devait se déplacer dans les airs de manière assez agile pour que les plans soient intéressants, mais aussi assez lente pour qu'on sente sa masse énorme, comme un bombardier. L'équilibre n'était pas facile à trouver, car il n'existe aucune référence réelle pour des créatures de ce genre. On travaillait vraiment à l’instinct.”


Au final, Godzilla a été traité par l’équipe de Jim Rygiel comme la star qu'il était : “Il nous arrivait de l'agrandir pour améliorer la composition d'un plan, tout comme un réalisateur va demander à un acteur de monter sur une caisse pour obtenir le cadrage idéal. On travaillait également la lumière pour mettre ses yeux en valeur, et aussi pour souligner la texture très particulière de sa peau (un mélange de lave et de charbon). Nous avons eu de la chance avec notre réalisateur. Gareth Edwards savait exactement ce qu'il voulait, ce qui nous a évités de perdre du temps à tâtonner. Heureusement, car nous n’avons eu que quatre mois pour animer Godzilla une fois que le montage a été calé !”

Alain BIELIK, Mai 2014
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.