Kung Fu Panda 3

La saga continue avec un troisième opus très réussi et auquel la Chine a largement contribué – à l’écran et en coulisses.

Avec 450 millions de dollars de recettes mondiales à ce jour, Kung Fu Panda 3 confirme la bonne santé de la saga clé des studios DreamWorks Animation. Les aventures du panda roi des arts martiaux sont toujours aussi populaires à travers le monde. Il est vrai que ces films, avec leur graphisme épuré et leur philosophie orientale basée sur le Yin et le Yang, se démarquent nettement du tout-venant animé. Dans un cinéma d’animation qui tend vers le photoréalisme des environnements, la stylisation assumée des Kung Fu Panda s’avère totalement rafraîchissante.

Ce que la plupart des spectateurs ignorent, c’est qu’il existe deux versions du film. Deux longs-métrages différents ont en effet été créés avec la même histoire et les mêmes personnages : un pour le marché chinois et un pour le marché international. Inédite dans le genre, cette idée a suscité une large vague de scepticisme lorsque le concept a été annoncé par DreamWorks Animation en 2012. Cette année-là, le studio de Jeffrey Katzenberg ouvrait une filiale chinoise en coproduction avec deux fonds d’investissement chinois. Le partenariat reposait sur un concept totalement novateur dans le genre : le film devait être animé deux fois – une fois en anglais par l’équipe hollywoodienne pour le public international, et une fois en mandarin par l’équipe chinoise pour le marché chinois. Pourquoi la Chine, spécifiquement ? Parce que l’action des Kung Fu Panda se déroule en Chine, et que les histoires puisent largement dans le folklore et la culture du pays.

Cette double animation est allée bien plus loin que la simple modification du mouvement des lèvres pour s’adapter aux phonèmes locaux. Les animateurs chinois ont réanimé les personnages principaux de façon à ce que leur langage corporel soit plus adapté à la culture chinoise. Certains gags ont aussi été réécrits pour mieux fonctionner par rapport à l’humour local. Ces changements se sont traduits par 7% de temps de rendu supplémentaire. En termes de rendu justement, ce projet illustre la complexité croissante des films d’animation : il avait fallu 20 millions d’heures de rendu cumulé pour réaliser le premier Kung Fu Panda en 2008, il en a fallu trois fois plus pour le troisième opus…

Des dizaines de pandas… avec fourrures

Dans son ensemble, le projet Kung Fu Panda 3 a généré près de 500 millions de To de données.  Parmi celles-ci figuraient des animations provisoires soumises aux réalisateurs. Sur un film d’animation de ce type, il est fréquent que les réalisateurs demandent plusieurs versions d’une même scène afin d’évaluer celle qui offre le meilleur résultat. Le problème avec cette approche est qu’il est difficile de calculer le temps de rendu de chaque version, celle-ci variant du tout au tout selon l’approche de la scène.
Sur Kung Fu Panda 3, DreamWorks a justement implémenté un nouvel outil qui permettait à l’équipe de calculer avec une précision inégalée le temps de calcul nécessaire à chaque version d’un plan, et donc son coût : Vertical Analytics de Hewlett-Packard. Le géant informatique est le partenaire privilégié du studio, tant sur le plan du hardware que du software. L’équipe travaille sur quelque 400 postes de travail HP connectés à un système de Cloud trans-pacifique lui aussi géré par HP.

La particularité de ce troisième opus, c’est qu’il met en scène des dizaines de pandas et non plus un seul, chacun avec sa fourrure calculée en 3D. Les interactions physiques entre ces personnages ont été l’un des grands défis techniques du film. À l’époque du premier épisode, les contacts physiques entre personnages à fourrure étaient excessivement coûteux en temps de rendu : les processeurs devaient tourner pendant des heures pour calculer la manière dont les poils devaient s’écraser ou se pencher sous leur pression mutuelle. Résultat, les embrassades avaient été limitées à une ou deux dans tout le film, au grand dam des réalisateurs.
Dans ce troisième épisode, les pandas s’enlacent à tout bout de champ, entourés de pelouses verdoyantes à perte de vue… et la technologie suit sans problème. C’est dire à quel point les capacités de calcul ont explosé en huit ans. Les simulations de poils et le coiffage ont été réalisés dans deux logiciels maison, puis importés dans Houdini.

Premo, nouvelle plateforme d’animation de Dreamworks
Pour travailler au quotidien, les animateurs disposaient de la nouvelle plate-forme d’animation du studio, Premo. L’outil a ceci d’unique qu’il permet à l’utilisateur d’afficher la séquence entière et non plus seulement le plan sur lequel il travaille. Et il le fait automatiquement : il suffit que l’utilisateur ouvre un plan pour que la séquence correspondante soit automatiquement chargée. Tous les plans de la séquence sont affichés dans leur dernière version, y compris un simple storyboard lorsque le plan n’est pas encore entré en production. Cela permet à l’utilisateur d’évaluer la séquence entière et de voir comment son travail s’intègre dans le flux général. De l’aveu même des animateurs, cela change énormément de choses dans leur vision de l’animation d’un plan. À noter que l’utilisateur peut afficher les plans d’autres animateurs, mais ne peut pas les modifier. Par ailleurs, Premo propose différentes options d’affichage de la séquence : final, layout, prévisualisation, etc. Il peut même isoler les couches d’image comme les effets visuels ou le lighting, lorsque cela est utile.

L’un des gros atouts de Premo est la possibilité qu’il offre à l’animateur de copier des données dans un plan A pour les coller dans un plan B avec les deux plans ouverts en même temps. Auparavant, il était obligé de fermer le plan A avant de pouvoir ouvrir le plan B. Cette innovation s’avère très utile pour copier exactement la partie que l’on veut en affichant les deux plans en parallèle, sans le faire « au jugé ». Autre atout précieux, la possibilité d’importer ou d’exporter vers d’autres suites logicielles. Ainsi, les rassemblements de personnages dans le village ont été réalisés dans un simulateur maison, puis importés dans Premo. L’animateur pouvait intervenir sur chaque individu pour retoucher l’animation au besoin. La séquence finale, avec ces centaines de personnages, a en revanche été simulée dans Massive à partir de cycles d’animation préparés dans Premo. Ensuite, les retouches individuelles ont été effectuées dans Premo.

Le Royaume des Esprits
Sur le plan artistique, le grand défi du film concerne la visualisation du Royaume des Esprits, une réalité alternative où le temps n’a pas de prise et où se joue la bataille entre le Bien et le Mal. Les réalisateurs ont eu la très belle idée de revenir à la séquence d’ouverture du premier Kung Fu Panda, où l’on découvrait le héros Po se rêvant en guerrier invincible dans un univers fantastique. Le Royaume des Esprits reprend exactement la même imagerie, bouclant ainsi la boucle de jolie manière et révélant que Po a enfin réalisé son rêve.

L’atmosphère éthérée de ce monde parallèle est renforcée par la « vision rouleau », un audacieux mélange d’animation en 2D et 3D. L’idée était de reprendre le graphisme d’une peinture ancienne très célèbre en Chine dont l’équivalent chez nous serait la tapisserie de Bayeux. L’animation a été réalisée en 2D, avec une colorisation inspirée des peintures sur papier de riz, puis un rendu 3D a été appliqué à l’ensemble afin de séparer les différents plans de l’image pour la stéréoscopie.

L’effet est saisissant car, bien que l’animation soit en 2D, l’image est paradoxalement tout en profondeur ; une audace atypique dans le cinéma d’animation hollywoodien et qui va bien au-delà du simple effet de style puisqu’elle s’intègre parfaitement dans l’esprit de la saga. Adobe After Effects a été l’outil principal d’intégration des éléments 2D. La séquence a ensuite été finalisée en deep compositing dans Nuke, de même que le très gros travail de saturation des couleurs.

À l’arrivée, le pari asiatique de DreamWorks Animation s’est avéré plus que gagnant : le film est le plus grand succès de l’histoire du cinéma d’animation en Chine ! Plus fort encore, les recettes chinoises ont dépassé le box-office nord-américain du film… La Chine, nouvel eldorado des films d’animation ?

Alain BIELIK, mars 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.