Ender's Game

Confier à des enfants la flotte spatiale pour sauver l’humanité : ce formidable roman de science-fiction devient enfin un film. Et Digital Domain s’est totalement investi dans le projet au point de le coproduire.

Publié en 1985, La Stratégie Ender (Ender's Game en vo) a valu à son auteur Orson Scott Card les deux prix les plus importants de la littérature de science-fiction, le Hugo et le Nebula, un doublé rarissime. Il raconte une guerre interplanétaire que les humains sont en train de perdre. Pour renverser la situation, les militaires décident de sélectionner des enfants aux aptitudes particulières pour les former pendant des années à devenir des officiers d’exception. L’un d’entre eux, Ender Wiggins, se révèle être un génie de la stratégie militaire…

Une fois n’est pas coutume, cette superproduction, confié au réalisateur Gavin Hood (X-Men Origins: Wolverine entre autres) n’est pas un film de studio, mais un projet indépendant financé par plusieurs sociétés. L’une d’entre elles n’est rien moins que Digital Domain, le prestigieux studio d’effets visuels. Celui-ci s’est investi dans le projet au point de participer directement à son financement, en en réalisant la majorité des effets visuels. Matthew Butler a été chargé de superviser le film.

Pixelcreation : Combien y a-t-il de plans à effets visuels dans La Stratégie Ender ?
Matthew Butler : Le film comporte 941 plans qui font intervenir des effets visuels. Digital Domain en a créé plus de 700, le reste a été confié – sous notre supervision – à des prestataires répartis dans trois pays différents.

Pixelcreation : Quel était le principal défi de ce projet ?
Matthew Butler : La plus grande difficulté était la variété des techniques à mettre en œuvre. Ce n'était pas comme sur la plupart des films où il « suffit » de résoudre un problème particulier pour être capable de réaliser 1000 plans, car le même type d’effets se répète de scène en scène. Là, il y avait beaucoup de disciplines différentes en jeu.

Par exemple, nous avons créé la salle d’entraînement à gravité zéro avec quatre environnements d'éclairage différents, puis développé des outils afin de corriger les mouvements des acteurs qui ne respectaient pas la dynamique de l’apesanteur.

Nous avons également créé la salle de simulation militaire où les élèves officiers s’entraînent à diriger la flotte spatiale – cela comprenait l’animation de quatre situations distinctes au sein d'un environnement entièrement holographique. Ces batailles faisaient intervenir des simulations gigantesques.

Parallèlement, il fallait créer et animer une créature extraterrestre en images de synthèse, ainsi que plusieurs séquences complètement animées en 3D. C'était la plus large gamme d’effets visuels sur laquelle j’aie jamais eu à travailler dans un seul projet.

Pixelcreation : Dans le film comme dans le roman, les scènes d’entraînement en apesanteur dans la salle de « zéro-G » sont particulièrement spectaculaires. Comment avez-vous abordé ces plans très techniques ?
Matthew Butler : L'environnement zéro-G a été l'un des plus grands défis créatifs car il n'y a nulle part sur Terre où l’on puisse recréer un environnement pareil. Les combats se déroulent dans toutes les directions, il n’y a pas de haut, ni de bas, etc. Nous avons eu beaucoup de chance sur ce film puisqu’il s’avère que mon ancien colocataire du M.I.T. est l’astronaute Gregory Chamitoff. Il a passé un an et demi dans l’espace, ce qui en faisait un conseiller technique parfait. Il a bien voulu collaborer avec nous pour enseigner aux jeunes acteurs et à nos animateurs la physique des mouvements dans l’espace.

L’idée initiale était de filmer les acteurs avec des câbles et des harnais pour leur permettre de simuler la gravité zéro, et d’utiliser l’animation 3D uniquement pour les plans les plus larges. Cependant, nous avons découvert qu’il était impossible aux acteurs d’avoir des mouvements toujours naturels sur la durée, on sentait rapidement qu’ils n’étaient pas vraiment en apesanteur. Le problème est notre centre de gravité : il n’est pas le même sur Terre et dans l’espace. Il a donc fallu corriger ça en postproduction.

Pixelcreation : En retouchant les images des acteurs ?
Matthew Butler : Non, nous sommes allés plus loin que ça. Notre équipe a développé des outils qui ont permis aux animateurs de projeter l’image réelle du visage des acteurs sur une doublure numérique. Autrement dit, les corps étaient animés en 3D afin que la sensation d’apesanteur soit la plus crédible possible, et le visage était celui du vrai comédien placé dans la même situation. Les acteurs ont été scannés en costume dans le « Light Stage » de l’université USC, et à partir de là, nous avons modélisé et texturé une réplique parfaite de chaque personnage.

Cela nous a permis d’obtenir le meilleur des deux mondes : l’interprétation initiale de l’acteur et un effet d’apesanteur parfaitement réaliste sur le corps. Dans les plans larges, on faisait intervenir des personnages entièrement animés en 3D. Comme ces scènes exigeaient un registre très limité d’expressions, on a pu se contenter d’un rig d’animation faciale assez simple. Sur ce projet, notre pipeline logiciel reposait sur Houdini, Maya, Nuke et V-Ray.

Pixelcreation : La flotte extraterrestre se déplace de manière très particulière, comme une nuée d’oiseaux en vol. Comment avez-vous procédé ?
Matthew Butler : C’était une idée du réalisateur Gavin Hood. Pour différencier les vaisseaux ennemis de la flotte terrienne, il voulait un mouvement organique comparable à celui des nuées d’oiseaux. À l’inverse, les navires terriens se déplacent de manière très disciplinée et ordonnée.

Pour créer ce genre de grouillement organique, nous avons analysé beaucoup d'images de référence de nuées d’étourneaux. Ensuite, nous avons créé notre propre système d'algorithmes et utilisé Houdini, ce qui nous a permis de reproduire ce mouvement d’ensemble en simulation. Les vaisseaux qui étaient le plus près de la caméra ont été animés à la main. Dans la séquence de la bataille finale, il y a plus de 100 millions de navires simultanément à l'écran ! C’était gigantesque.

Pixelcreation : Avec un tel nombre d’éléments en mouvement, comment avez-vous fait pour conserver une image « lisible » ?
Matthew Butler : Bonne question ! Nous avons commencé avec un plan de bataille conçu en prévisualisation par Phil Cramer, notre directeur de l’animation. Ensuite, nous avons lancé les simulations pour observer le résultat, puis recomposé les plans à la main afin de réduire l'encombrement visuel et de clarifier certains points de l'histoire.

Le plus important était que le spectateur comprenne ce qui se passe à l’écran. Pour générer autant de navires, nous avons procédé couche par couche, en partant de la caméra jusqu’à l’arrière-plan. Cela nous permettait de réduire les temps de rendu, et d’avoir un meilleur contrôle sur la composition d’ensemble. Ces groupes de navires simulés ont ensuite été assemblés au compositing.

Pixelcreation : Quel regard portez-vous sur ce projet à présent ?
Matthew Butler : Cela a été très difficile. Tous les ans, la barre des effets visuels monte d’un cran, que ce soit par l'attente des spectateurs, la capacité technique ou le désir des réalisateurs. Comme la plupart des prestataires VFX, nous nous efforçons de rester à la pointe du progrès, et pour ce faire, nous brisons sans cesse nos machines et nos procédures. Il y a constamment de nouveaux records dans notre industrie, et nous ne sommes pas peu fiers d’en avoir établi quelques-uns sur ce film : plus de 27 milliards de polygones dans une seule image pour la bataille finale !

ALAIN BIELIK, Novembre 2013
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 22 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.