Le Roi et l'Oiseau

Le chef d’œuvre de Paul Grimault revient en salles restauré et numérisé.

Le Roi et l’Oiseau (1979) est en quelque sorte un pilier fondateur de l’animation française. Il continue d’inspirer créateurs français et même japonais (Miyazaki entre autres) pour son mélange de poésie et de critique sociale.

Synopsis : Le Roi est amoureux d’une charmante et modeste Bergère qu’il veut épouser sous la contrainte. Mais celle-ci aime un petit Ramoneur. Tous deux s’enfuient pour échapper au Roi et, réfugiés au sommet de la plus haute tour du palais, sauvent un petit oiseau imprudent pris à l’un des pièges du Tyran. Le Père Oiseau reconnaissant promet en retour de les aider. La police retrouve la trace des fugitifs. Une folle poursuite s’engage jusque dans la ville basse, celle du peuple.

Réalisé en France par Paul Grimault (1905-1994) avec la collaboration du poète Jacques Prévert pour le scénario adapté d’un conte d’Andersen, Le Roi et l’Oiseau a connu deux vies. Initié en 1947 déjà, il sort en salles en 1953 sous le nom de La Bergère et le Ramoneur malgré Paul Grimault qui y voit une trahison en dépit des Grands Prix glanés en festivals.  Ayant récupéré les droits du film en 1967, il se remet au travail dans les années 70, toujours avec Jacques Prévert, et sort Le Roi et l’Oiseau en 1980 après la mort de Jacques Prévert (1977). Laissons-lui la parole pour parler de ses « 30 ans de combat » :

Quand le projet du film Le Roi et l’Oiseau est-il né ?
Paul Grimault : Nous avons eu l’idée de ce film, Jacques Prévert et moi, en 1946, au moment où je terminais Le Petit Soldat qui avait marqué les débuts de notre collaboration. Nous avions été très heureux de travailler ensemble, et nous avons donc décidé de continuer. Après avoir hésité, nous nous sommes décidés pour le conte d’Andersen, La Bergère et le Ramoneur, qui n’a d’ailleurs été qu’un tremplin car nous l’avons complètement transformé en lui donnant des résonances plus actuelles

Comment travailliez-vous avec Jacques Prévert ?

Paul Grimault : La création du scénario s’est étalée sur une année environ. On ne travaillait pas tous les jours mais par plages de plusieurs semaines que nous entrecoupions d’un temps de réflexion. Nous avons d’abord échangé des idées et discuté beaucoup en imaginant des personnages et des décors, croquis à l’appui. Quand notre histoire a commencé à prendre forme, Jacques Prévert a entrepris la rédaction du scénario définitif qu’il dictait en même temps que les dialogues. Après cette première frappe, nous avons repris l’ensemble et, de séances en séances, fixé les dialogues définitifs.

La Bergère et le Ramoneur est sorti sur les écrans français en 1953 dans une version qui ne correspondait pas à votre projet initial. Treize ans plus tard, vous avez récupéré vos droits et le négatif, ce qui vous permettait de reprendre le film comme vous le souhaitiez. A la vision du film Le Roi et l’Oiseau, il est pratiquement impossible de reconnaître les séquences anciennes.

 Combien de minutes avez-vous gardé de votre premier travail ?
Paul Grimault : J’ai été écarté de la réalisation de La Bergère et le Ramoneur en 1950. La version à laquelle je me suis opposé avait une durée de 62 minutes dont j’ai coupé 20 minutes. Aujourd’hui, dans sa version définitive, Le Roi et l’Oiseau fait 87 minutes, nous avons donc repris la moitié du film, mais à travers des séquences très morcelées, ce qui a exigé un travail extrêmement minutieux. Techniquement, nous avons dû faire face à de multiples problèmes. Le film La Bergère et le Ramoneur avait été tourné autrefois en Technicolor. Sur le négatif Technicolor, chaque image faisait l’objet de trois photographies successives à travers des filtres de couleur, bleu, rouge et vert. Le négatif était donc trois fois plus long que la longueur normale du film. Or, ce négatif ayant rétréci avec le temps, et étant, de ce fait, inutilisable, il nous a fallu, grâce à des appareils qui ont été modifiés pour la circonstance, reconstituer un nouveau négatif, en Eastmancolor cette fois, procédé que nous avons aussi utilisé pour tourner les séquences nouvelles. Personnellement, je n’ai jamais été inquiet pour les rapports de couleurs. Je n’avais pas oublié les harmonies dont je m’étais servi pour colorier personnages et décors. Un bon étalonnage pour finir, et nous avons réussi à obtenir une unité d’image très satisfaisante.

Combien de temps a duré la réalisation de votre film ?
Paul Grimault : J’ai commencé en 1947 avec une petite équipe d’une vingtaine de personnes. Progressivement, nous avons formé de nouveaux animateurs jusqu’en 1950. Nous étions alors une centaine lorsque le film m’a échappé. De 1977 à 1979, nous avons travaillé avec une équipe réduite mais soigneusement sélectionnée, d'une trentaine de personnes mixant anciens et nouveaux animateurs.

Comment avez-vous conçu les personnages ?
Paul Grimault :
Ce n’est pas tellement le réalisme que j’ai recherché, c’est plutôt la réalité des personnages. Je voulais qu’ils existent. Chacun d’eux a été élaboré soigneusement, son aspect physique et son comportement, en partant de souvenirs, d’observations, de comparaisons… Par exemple, le baron Mollet, qui avait été secrétaire d’Apollinaire, et Pierre Brasseur, interprétant Robert Macaire dans Les Enfants du Paradis, ont inspiré le personnage de l’Oiseau. La photographie d’un officier de l’entourage d’un dictateur, que j’avais vue autrefois, m’était présente à l’esprit lorsque j’ai esquissé puis affiné le visage du Roi. C’était un homme à la narine dilatée, satisfait de lui-même, portant beau, avec un peu de ventre, mais serré par une ceinture qui donne l’illusion qu’on possède des pectoraux. Tous les personnages de mon film ont des sentiments   à exprimer et ne peuvent se contenter du registre classique limité du cartoon.

Comment s’est déroulé le montage ?
Paul Grimault : La première chose que j’ai faite a été de démonter complètement, plan par plan, une copie standard de La Bergère et le Ramoneur et j’ai mis à l’écart tout ce que je désapprouvais. J’ai alors commencé le prémontage du Roi et l’Oiseau. Sur de longues bandes d’amorce blanche, je notais à leur place toutes les indications concernant les départs et les fins de tous les plans, anciens et nouveaux, du début à la fin du film. Avec de grands traits de feutres de couleurs différentes, je figurais les grands mouvements du film, des notations de rythme. En somme, je réalisais une maquette de l’ensemble du nouveau film avec des indications où j’étais seul à me retrouver. Puis j’ai incorporé à leur place les plans que j’avais réalisés il y a trente ans et qui intervenaient dans le découpage actuel du Roi et l’Oiseau. Quand l’animation des nouvelles séquences a commencé, et au fur et à mesure d  leur avancement, nous procédions à des prises de vues d’essai pour contrôler la qualité des mouvements. Dès que le résultat s’avérait satisfaisant, les plans étaient insérés dans la copie de travail, et ainsi, au fur et à mesure de la réalisation, la bande image prenai tforme, un peu comme un puzzle.

Supervisé par STUDIOCANAL, la restauration du film s'est repartie sur deux ans et demi (de janvier 2001 à juillet 2003) à a partir de deux éléments : une pellicule CRI tirée en 1977 (fortement dégradée), issue des 3 sélections monochromatiques pour les séquences et plans anciens repris du film La Bergère et le Ramoneur tournés dans les années 1950 ; et le négatif image des séquences nouvelles tournées en 1978-79sur Eastmancolor 5247 pour Le Roi et l’Oiseau.  Absent des salles depuis dix ans, Le Roi et l’Oiseau a bénéficié d’un nouveau « négatif » numérique pour cette reprise en 2013.

A ne pas manquer pour ceux qui ne l’ont pas vu, la beauté formelle du dessin comme la poésie de la narration sont sans égales.

Clémentine Gaspard, juillet 2013