Big Hero 6

Les studios d’animation Disney révolutionnent le rendu avec Hyperion, un logiciel à la puissance inédite.

Son nom fait penser à celui d’une planète dans un film de science-fiction, ou à celui d’un royaume exotique dans une saga du type Game of Thrones. Mais l’origine d’Hyperion est beaucoup plus terre à terre : il s’agit du nom de la rue sur laquelle est établi, depuis près de 90 ans, le département animation des studios Walt Disney. Hyperion, c’est le nouveau moteur de rendu du studio, une innovation majeure qui renvoie fièrement au riche passé de Disney en la matière, à une époque où la firme de Mickey menait la danse dans le cinéma d’animation.

Le logiciel est entré en développement il y a quatre ans, lorsque les responsables techniques du studio ont réalisé que les exigences des films grandissaient bien plus vite que les capacités de traitement de RenderMan, le moteur de rendu maison. Les besoins en RAM augmentaient, les temps de rendu aussi, et le coût de production également. Il était donc nécessaire de franchir une étape technologique pour pouvoir reprendre de l’avance.

Le logiciel a été présenté aux professionnels lors de la conférence ESR en 2013, et cette présentation a reçu le Grand Prix de l’événement. Les spécialistes ne s’y étaient pas trompés : Hyperion avait la graine d’un grand. Malgré tout, de nombreux sceptiques ont exprimé à cette occasion leurs doutes quant à la capacité d’un tel outil à fonctionner de façon pratique dans le cadre exigeant d’une production de long-métrage. L’avenir allait leur donner tort…

Réinventer le rendu

Hyperion repose sur un tout nouveau concept de calcul des images. Dans une scène éclairée en 3D, le logiciel suit le trajet de la lumière dans le décor, puis le rebond de chaque rayon sur chaque surface, puis le rebond du rebond, etc. En deux ou trois rebonds, ce sont des centaines de milliers de rayons que le logiciel doit calculer. Et plus le décor est complexe et réaliste, plus le calcul est long (jusqu’à plusieurs jours, parfois). Pour accélérer le processus, les équipes évitent souvent d’aller au-delà de trois ou quatre rebonds.

Hyperion aborde le problème de manière différente. Il commence par regrouper les rayons de lumière en fonction de leur direction. Six directions principales équidistantes ont été définies. Lorsqu’un rayon frappe une surface, il est divisé en six nouveaux rayons équidistants qui rebondissent et repartent dans le décor. En frappant une nouvelle surface, chacun d’eux se divise à son tour en six rayons, et ainsi de suite. À chaque rebond, Hyperion identifie et rassemble tous les rebonds qui partent dans la même direction, ce qui accélère sensiblement le processus. Il est capable de suivre chaque rayon jusqu’au dixième rebond, soit quasiment jusqu’à sa dissipation totale.

Eclairer Baymax
Ce degré de précision peut sembler inutile pour un film d’animation dont le rendu n’est de toute façon pas photoréaliste, mais il s’avérait essentiel pour éclairer le personnage de Baymax, un robot gonflable à l’enveloppe de vinyle souple. Lorsque la lumière frappait ce matériau, une partie était réfléchie par la surface blanche, mais une autre traversait la matière et rebondissait plusieurs fois à l’intérieur. Les tests originaux ont montré que si l’équipe se limitait à deux ou trois rebonds comme sur un projet d’animation ordinaire, Baymax avait l’air d’être en plastique dur. Or, l’apparence du vinyle souple était capitale pour le côté chaleureux et accueillant du personnage. Ce n’est qu’en multipliant les rebonds de lumière sur la surface intérieure du robot que ce look subtil a été obtenu.

À partir de ces paquets de directions, Hyperion applique un autre algorithme qui calcule les rayons intermédiaires par interpolation. Résultat, un gain de temps considérable. Le rendu n’est calculé que sur les directions principales, le reste est une interpolation. Au cours de la période de test, l’équipe a comparé Hyperion à PRMan et à Arnold sur des images identiques, et le verdict était sans appel : la technique de tri initial des rayons permettait d’accélérer le temps de calcul par un facteur de… 70 !

L’autre innovation principale d’Hyperion, c’est sa chronologie des processus : le calcul de l’image ne démarre que lorsque le tri des rayons par paquets est finalisé. Grâce à cette méthode originale, il n’est plus nécessaire de mettre en cache les éléments en cours de calcul, une étape extrêmement chronophage. La gestion des données s’en trouve remarquablement simplifiée.
Bien sûr, d’autres moteurs de rendu ont déjà exploité cette approche « sans cache », mais ils nécessitent tous une limitation du nombre de rebonds et de shaders pour fonctionner. De son côté, Hyperion s’est avéré capable de traiter de multiples rebonds sur des géométries extrêmement complexes, comme le décor de la ville de San Fransokyo, cité fictive issue du rapprochement entre San Francisco et Tokyo.

San Fransokyo, métropole virtuelle
Cette ville constitue l’un des grands défis du projet. Fidèle reproduction de la métropole californienne, elle comporte 83.000 bâtiments créés de façon procédurale à partir de plusieurs modules architecturaux, ainsi que 100.000 véhicules, 250.000 arbres et pas moins de 216.000 réverbères ! À l’arrivée, l’ensemble des données représentait un volume de data trois fois supérieur à la totalité d’un film Disney habituel…

Aucun moteur de rendu n’était capable de traiter les scènes de nuit. On y voit la ville illuminée par plus de 250.000 lumières individuelles et souvent clignotantes. Un vrai cauchemar pour un ray tracer dans un projet cinéma. Mais Hyperion a passé l’épreuve haut la main. Tellement haut la main que l’équipe n’a eu de cesse d’ajouter des détails dans la ville afin de l’enrichir – le moteur de rendu semblait n’avoir aucune limite. Certains plans de nuit, avec les lumières qui illuminent la brume du soir de façon féerique, tiennent du jamais vu pour un film d’animation.

Les foules de San Fransokyo
Parallèlement à la mise au point d’Hyperion, l’équipe de recherche et développement s’est attachée à créer un nouveau système de gestion de foules. Il fallait en particulier peupler les rues de milliers de « figurants » pour la scène où le héros vole au-dessus de la ville. Baptisé Denizen, le logiciel permet de créer une infinité de personnages à partir de « blocs » originaux. “Denizen intègre un petit nombre de personnages qui correspondent au style du film, puis les analyse et les compare,” explique John Kahwaty, superviseur du modeling des personnages. “Il permet ensuite à chaque créateur de personnage de voir tous les profils créés en un coup d’œil et de les combiner pour donner vie au modèle final, squelette, vêtements et cheveux compris. On peut tout de suite insérer dans un plan et animer.”

Denizen a permis la création de 670 personnages uniques, contre 270 dans La Reine des Neiges/Frozen, 185 dansLes Mondes de Ralph et seulement 80 dans Raiponce. Chacun de ces 670 personnages peut être associé à 32 tenues vestimentaires différentes, ainsi que 32 couleurs de cheveux ou tons de peau. Le total des combinaisons possibles s’élevait à 686.080… De fait, il n’y a pas deux figurants identiques dans les rues de la ville.

Quatre fermes de rendu pour un supercalculateur
Pour gérer une telle masse de données, il fallait une ferme de rendu bien plus puissante que celles qui avaient servi pour les films précédents du studio. L’équipe disposait de quatre sites différents : trois à Los Angeles et un à San Francisco. L’ensemble représentait 4600 ordinateurs individuels. Les ingénieurs ont eu l’idée audacieuse de mettre en réseau les quatre sites de manière à donner naissance à un supercalculateur de 55.000 cœurs. Il s’agit tout simplement du double de la puissance utilisée pour La Reine des Neiges il y a seulement deux ans – on n’est pas loin de la loi de Moore, en l’occurrence. Véritable prouesse informatique, ce réseau californien permettait d’effectuer 400.000 rendus par nuit, assurant aux équipes de pouvoir visionner le résultat des travaux de la veille dès le matin.

À la fin du projet, l’équipe d’Hyperion s’est amusée à calculer combien de temps il aurait fallu pour calculer Raiponce de la première à la dernière image avec la technologie des Nouveaux Héros. La réponse n’a fait que confirmer ce qu’ils savaient déjà de leur « bébé » : dix jours…

ALAIN BIELIK, février 2015
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.