Open Season

Un long métrage qui marque l'arrivée de Sony Pictures Animation, nouveau venu sur le terrain de l'animation. Sont-ils à la hauteur des illustres Pixar, Dreamworks et Blue Sky? Réponse tout de suite.

Le groupe Sony Pictures n'est quand même pas un novice en animation : son studio Sony Pictures Imageworks est depuis longtemps un spécialiste en effets visuels (Stuart Little, Spiderman). Et comme nous l'affirmait son Président Tim Sarnoff il y a déjà deux ans (voir making-of de Spiderman 2 dans cette rubrique): « Il n'y a plus de frontière entre VFX et animation. Regardez Le Pôle Express : c'est de l'animation? Les personnages sont joués par Tom Hanks, même si c'est de la capture de mouvements. Et Spiderman est un film tourné? Dans la moitié des plans, les immeubles de New York sont en 3D, et Spiderman qui se balance au milieu est lui-aussi animé... ». Très logiquement, Sony Pictures a décidé de sauter le pas et de produire aussi des longs métrages « full animation 3D », en s'appuyant sur les capacités techniques d'Imageworks. Le studio s'est donc « fait les dents » en 2002 avec Les ChubbChubbs; cette histoire délirante de féroces extraterrestres ayant l'apparence de doux poussins a décroché l'Oscar 2003 du court d'animation entre autres distinctions! Après ce brillant coup d'essai est né Sony Pictures Animation, structure du groupe dédiée à la production de films d'animation en s'appuyant sur les capacités techniques d'Imageworks. Premier film à sortir après 3 ans de développement et de production : Les Rebelles de la Forêt, (Open Season en anglais)

Encore un film animalier?
L'ours Boog vit paisiblement dans la petite ville canadienne de Timberline avec Beth, la ranger qui l'a adopté comme ourson. Mais la rencontre d'Elliott, un petit cerf nerveux, va précipiter les catastrophes et rapatrier Boog de force dans la forêt en compagnie d'Elliott. Et pour survivre et rejoindre Beth, Boog va devoir fédérer les autres animaux de la forêt pour affronter une meute de chasseurs surexcités par l'ouverture de leur sport favori...
Autant vous le dire de suite : l'histoire et le duo de personnages principaux, assez semblables à ceux de Madagascar ou même de Nos voisins les hommes, n'ont pas encore le même niveau. Le design et la réalisation technique ne laissent par contre rien à désirer, avec une mention spéciale pour l'animation « squash and stretch » et les fourrures d' animaux. A déguster sans modération.
Roger Allers avec Jill Culton, réalisateurs du film, ont d'entrée de jeu choisi un style très cartoon, avec des décors stylisés et un comique burlesque : « Un de mes livres préférés est le livre de cartes de Noël d'Eyvind Earle, le peintre de décors renommé de chez Disney qui a travaillé sur La Belle au Bois Dormant, La Belle et le Clochard et Fantasia. Ces cartes ont un style vieillot, avec de la neige, des arbres, des tas de bûches et de petites églises ainsi qu’une palette de couleurs vives. L'architecture d'Eyvind Earle a un certain langage de formes, un petit côté bancal. Tout est légèrement biscornu et asymétrique, donnant ainsi un caractère étrange et un peu magique. Ses arbres sont extraordinaires, avec une utilisation remarquable des espaces vides et pleins. Et les personnages et les décors du film ont des formes très définies, c'était un défi pour la 3D... » D'où ce parti-pris picturesque, avec des matte paintings de montagnes résolument en 2D, et « des formes décalées comme les bâtiments de la rue principale. Il n'y a aucune ligne parallèle, les briques ne sont pas régulières. » Et comme l'explique le français Luc Desmarchelier; Senior Art Director sur ce film, « la forêt a aussi un aspect hiératique, tout en verticales et avec des ombres projetées fausses »

Making-of
Environ 200 personnes ont travaillé sur ce film pour produire 34 000 dessins de storyboard et 1223 plans. En première phase de développement, les D.A. créent le design du film en réalisant dessins et études de couleur de décors et personnages. « On réalise aussi un colorscript, cad des images de storyboard en couleurs mises bout à bout pour voir contrastes, saturations, et comment les scènes s'enchaînent, explique Luc Demarchelier. Pour la production elle-même, on dessine des planches de référence pour chaque décor comme la maison de Boog, l'amphithéatre, etc. Tout y est : la hauteur de la végétation, quelles sortes de plantes et de rochers, avec des esquisses dont on dérivera les textures pour le film. Le rôle des D.A. est aussi de surveiller l'application de cette « bible » pour assurer la cohérence visuelle du film »
Le pipeline de production de Sony Pictures Imageworks repose sur Maya pour la modélisation et l'animation, Renderman pour le rendu avec une interface spéciale pour l'éclairage, plus un certain nombre d'outils internes pour le layout, le lighting et les effets. Les textures sont travailléezs avec Photoshop, Painter et Bodypaint de Maxon (par ailleurs l'éditeur allemand de Cinema 4D). Pour animer en style cartoon, cad en déformant les personnages (« squash and stretch »), Imageworks a développé un système de déformations avec environ 10 sections circulaires par personnage, chacun de ces « anneaux » étant déformable à l'aide d'une demi-douzaine de poignées. Et pour fourrures et cheveux, en plus d'un système complet pour peigner différents styles de poils suivant les personnages, de nouveaux outils ont permis à la fourrure de bouger en petites zones, tout en offrant à chaque poil la possibilité de bouger indépendamment des autres. Tout cela est particulièrement visible sur l'ours Boog, dont fourrure et graisse ondulent quand il chute de la falaise; le look « mouillé »quand il arrive dans lle lac dessous est rendu en rajoutant spécularité et réflexion dans la fourrure. Mais c'est tout de même le cerf Elliott qui compte le plus de poils (3 500 000), battant Boog (1 600 000) comme sa mère adoptive Beth (150 000 cheveux). Ces cheveux et poils se matérialisent au rendu, les animateurs travaillant auparavant avec cent fois moins de poils sur le modèle (les poils "maîtres"). Et comme dans Madagascar, certaines scènes, celle des écureuils dans l'arbre notamment, comptent plusieurs dizaines d'animaux à fourrures, d'où un temps de rendu qui monte à 40 minutes par frame!
Le process d'un tel film va du design à la modélisation et au layout, cad en plaçant les éléments (en modèles basse définition et sans textures à ce stade) dans la scène à partir du storyboard et en positionnant les caméras et leurs mouvements. Suivent l'animation, puis les effets, le compositing et le rendu. Mais comme le rappelle Luc Desmarchelier, tout n'est pas linéaire en réalité, et une scène peut revenir de l'animation au layout ou à la modélisation pour en corriger les défauts, par exemple en la recadrant ou en rajoutant un mouvement de caméra pour accompagner l'action. C'est selon Luc un des charmes de ce métier...
Le prochain projet du studio est déjà en route, une histoire de pingouin qui surfe prévue pour l'été 2007. Et le groupe Sony développe aussi un projet "français" en coproduction avec France3 Cinema : il s'agit de l'adaptation animée de la BD autobiographique Persepolis de la franco-iranienne Marjane Satrapi, BD en noir et blanc qui raconte l'histoire d'une petite fille de 9 ans sous la révolution iranienne. Chiara Mastroianni prêtera sa voix au personnage principal du film qui devrait être présenté l'an prochain à Cannes.

Paul Schmitt- 10/2006
Sortie en salles : 18 octobre 2006 - Durée : 1h30 - Réalisateurs :Jill Culton et Roger Allers - Coréalisateur : Anthony Stacchi - Imagerie et animation : Sony Pictures Imageworks- - Production :Sony Pictures Animation