Le film en images :Un polar futuriste, façon French touch

Sans conteste l'évènement en films d'animation de ce semestre. La sortie de «Renaissance» ce 15 mars 2006 prend un caractère emblématique pour le secteur de la 3D en France non seulement pour ses enjeux économiques, mais surtout pour son audace aux plans artistique et technologique. Nous vous faisons ici un point complet sur le sujet, avec un entretien approfondi avec toute l'équipe du film, plus en page suivante making-of et visite du studio de tournage en images.


« Renaissance » est un rêve que poursuit son créateur Marc Miance depuis 1998! Un pari que beaucoup ont trouvé osé, au moins jusqu'à la sortie de « Sin City » en 2005 : un film d'animation adulte, mélange de science-fiction et de thriller, avec un tournage en capture de mouvements et un rendu en aplats noir et blanc qui donnent une ambiance de BD. On songera inévitablement à « Blade Runner », « Ghost in the Shell », « Minority Report » et « Sin City », influences que l'équipe reconnaît volontiers, mais « Renaissance » a su trouver son propre style, avec ce qu'il faut de « French touch » pour le différencier des autres.
A un âge où beaucoup débutent (23 ans), Marc Miance a su à l'époque fédérer autour de son projet une équipe aussi jeune et talentueuse que lui : Aton Soumache (Onyx Films) à la production, Christian Volckman comme réalisateur, Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière pour le scénario. Et Marc a aussi su monter un studio, Attitude Studio, qui a non seulement « fabriqué » ce film, mais s'est imposé en 5 ans comme un des studios 3D majeurs en Europe (voir article dans cette même rubrique).
Synopsis de « Renaissance » : dans un Paris futuriste (2054) dominé par la multinationale Avalon et son ambitieux dirigeant Paul Dellenbach, une jeune et brillante scientifique, Ilona Tatsuiev, protégée de Dellenbach, est enlevée. Karas, flic hors pair et... incontrôlable, mène l'enquête avec l'aide de Bislane, soeur d'Ilona.. Enjeu caché de cette quête : pas moins que l'avenir de l'humanité...
Ce film a été réalisé avec un budget de 15 M €, financé par Pathé, France 2 et Disney (distributeur du film aux US à travers sa filiale Miramax), et comporte plus de 1500 plans, 90 décors et 120 personnages avec une équipe atteignant jusqu'à 170 personnes pendant la période de fabrication en 2004 et 2005. L'équipe du film nous a reçus longuement pour vous en parler, les détails du making-of étant aussi en commentaires des visuels ci-dessous.

« Renaissance » : la genèse
Marc Miance :Tout a commencé par un test présenté à Imagina 98. L’année précédente, Olivier Renouard, auprès de qui je travaillais régulièrement, m’avait montré une image 3D fixe en noir et blanc qu’il avait réalisée. Cette image a été un déclic qui a apporté la pierre manquante à ma démarche d’alors : mettre en mouvement un graphisme complètement épuré, et le confronter à une animation extrêmement réaliste, proche d’un film classique en prises de vues réelles. Je savais qu’il y avait là un concept visuel complètement nouveau. Quelques semaines plus tard nous nous sommes mis au travail pour réaliser un test ensuite sélectionné à Imagina 98. Mais nous n’étions pas les seuls à détoner cette année-là : « Maaz », court métrage réalisé par Christian Volckman et produit par Aton Soumache, retenait l’attention de tous et remportait tous les prix, festival après festival…
Aton Soumache : Christian et moi vivions l’aventure « Maaz » (film mêlant animation et prises de vues réelles dans un univers onirique proche de la peinture), lorsque j’ai vu le test en 3D noir et blanc qu’avait conçu et réalisé Marc. Il y avait dans ces quelques secondes la promesse d’un univers envoûtant, totalement propice au cinéma. L’envie d’en faire un film avec Christian a très vite surgi. Nous avons vite formé un premier trio constitué d’un producteur inconscient, d’un réalisateur qui avait fait un unique court métrage, et d’un génie de la technologie qui venait à peine d’avoir 23 ans ! Christian avait déjà commencé à faire des propositions graphiques dans l’univers du noir et blanc quand j’ai pensé à mêler deux autres fous à l’aventure, une paire de scénaristes avec qui j’avais envie de travailler : Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière.
Alexandre de la Patellière : Cette rencontre autour de quelques images a été un coup de foudre. Nous avions envie, Matthieu et moi, d'écrire un polar dans un univers noir, style Philip K. Dick ou James Elroy, un univers d'anticipation mais aussi intemporel. Nous nous sommes arrêtés sur cette histoire de kidnapping et d'errance d'un flic dans un Paris d'un futur proche.
Matthieu Delaporte : Au début, nous avons imaginé le film sans contrainte narrative, et la première version du scénario faisait 2h30! Nous sommes revenus par après à une durée plus raisonnable, mais le travail ne s'est pas arrêté avec le tournage, à la différence d'un film classique : les aller-retours avec Christian Volckman ont continué après le tournage jusqu'au cadrage des images.

L'approche artistique
Marc Miance :Ce film est à la convergence du cinéma et des nouvelles technologies, et à mi-chemin entre animation et fiction.. Une fiction avec des comédiens, les sensations d'espace, c'est le côté cinéma. Un graphisme fort, tout de suite présent, c'est l'animation. D'où le choix technologique de base de la capture de mouvements pour animer les personnages. L'objectif est de réaliser une oeuvre où le spectateur se laisse aller, jouit du film sans se préoccuper de la technique.
Christian Volckman : J’ai fait plein de dessins couplés à toute une série de propositions visuelles pour qu’Alexandre et Matthieu puissent travailler. J’avais en tête une série d’images qui allait servir de fil conducteur : une architecture qui écrase l’homme, un principe de labyrinthe, la thématique du double. Créer un monde autonome et construit qu’on accepte comme tel, et une histoire qui permette l’identification. Nous avons parlé tout à l’heure des romanciers américains, on pourrait également citer Frank Miller, et son esthétique monochrome déployée dans sa fameuse série « Sin City », les univers de Moebius, Bilal, des films comme « Akira », « Ghost in the Shell », « Tron », « Blade Runner », « Minority Report », ou « Gattaca » pour son rétro-futurisme flamboyant. Mais également, et cela dès le début, des référents cinématographiques plus lointains, avec bien entendu Hitchcock, mais aussi « Le Cabinet du Dr. Caligari », « Metropolis », « M le Maudit » de Fritz Lang qui porte encore les traces de l’expressionnisme. Je voulais que l’univers, dans son ensemble, reflète l’état intérieur des personnages. Comme dans ces films expressionistes, l'architecture gigantesque est là pour écraser l'homme, et le N&B vise à montrer l'homme enfermé dans la ville. Pour moi, ce n'est pas un film d'animation, ou au moins c'est plus proche de l'animation japonaise que du style cartoon. C'est aussi vrai pour les cadrages, où on s'est contraint à manier la caméra comme en « live », sauf pour les « travelings » dans les grands décors ou les courses poursuite.
Marc Miance : Le monde de "Renaissance", c’est de l’encre de chine et des volumes. C’est l’éclairage qui fait que l’image surgit en clair obscur. Cela explique que le film ait cet aspect si épuré et moderne. La force visuelle du film tient à cela : l’univers n’est pas dessiné mais éclairé de blanc.
Christian Volckman : Le noir et blanc produit un effet «expressionniste» sur les scènes . Le maniement des deux valeurs opposées dans une image produit un double effet: diriger le regard du spectateur vers l’élément éclairé et exalter son imaginaire par les éléments restés dans l’ombre.
Aton Soumache : Ce noir et blanc radical permet de transcender la problématique technologique car il nous permet de contourner les habituels problèmes de rendu et de grain de peau. Allié à la Mocap, on se trouve plongé dans un univers particulier qui dépasse la dichotomie traditionnelle entre film d’animation et film en prises de vues réelles.

Paris en 2054
Aton Soumache : Comme dans "Blade Runner" et "Ghost in the Shell", la métropole futuriste est un élément important du film.
Christian Volckman : Il fallait sortir du Paris romantique archiconnu. Ce Paris est une métropole noire avec des architectures connues : immeubles haussmanniens, tour Eiffel, Grande Arche de La Défense, amplifiées par des éléments futuristes. Par exemple, les immeubles riches dans Montmartre ont des jardins dans des verrières au-dessus de l'immeuble. Les appartements ont des modules posés sur vérins sur les toits pour profiter de la vue en suivant le soleil. Nous avons fait des recherches en 2D, des roughs, avec des illustrateurs et avec Alfred Frazzani, architecte et superviseur des décors 3D, en s'inspirant des utopistes du 19ème siècle comme Guimard et des architectures métalliques chères à Gustave Eiffel ou à Jules Verne. Un rivet à modeler sera ainsi tiré d'un rivet du 19ème siècle, pas d'un rivet moderne. Nous avons beaucoup travaillé sur la transparence, avec des tunnels en verre pour métro et voies ferrées. Et Paris s'est séparé de sa banlieue par un mur, une grande enceinte avec des « douves » et des échangeurs pour les voitures.
Alexandre de la Patellière : C'est tout un travail sur la profondeur : Paris retranché s'allonge vers le haut comme vers le bas sur des centaines de mètres.
Mathieu Delaporte : Cela fait partie de la réflexion sur la ville : dans 50 ans, le passé de Paris sera encore plus fétichisé, et on cachera les voitures en enfouissant les voies dans le sol, contrairement aux autoroutes des banlieues populaires.

Paul Schmitt - 03/2006

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Sortie : 15 mars 2006/Coming on March 15, 2006
Renaissance,durée : 1h45
Coproduction : Onyx Films, Millimages, Luxanimation, Timefirm Ltd, France 2 Cinéma
Réalisation : Christian Volckman, d'après le concept original visuel de Marc Miance
Histoire originale : Matthieu Delaporte & Alexandre de la Patellière, Patrick Raynal & Jean-Bernard Pouy
Studio d'animation : Attitude Studio