San Andreas

Séismes, effondrements, failles, tsunami : bye bye California !

On pensait qu’après 2012 et sa fin du monde apocalyptique, Hollywood en aurait fini avec les films catastrophe. Mais c’était sans compter avec le réalisateur Brad Peyton (Voyage au centre de la Terre) : à ses yeux, l’apport de la stéréoscopie et les images de synthèse de dernière génération pouvaient renouveler le genre. Surtout, il envisageait le film d’une manière totalement opposée à celle de Roland Emmerich, le roi incontesté du genre.

Dans San Andreas, la caméra reste en permanence avec les personnages. L’action est présentée de leur point de vue, il n’y a que très peu de plans aériens qui montrent une vue d’ensemble sur la catastrophe en cours. Une volonté de Peyton pour se démarquer des films précédents du genre en construisant le découpage autour de quelques personnages, là où Roland Emmerich envisageait ses films sous forme chorale avec multiplication des points de vue.

Pour superviser les effets visuels, Brad Peyton a fait appel à Colin Strause. Non seulement celui-ci est lui-même réalisateur (Alien vs Predator : Requiem, Skyline), il est aussi directeur du studio Hydraulx, l’une des sociétés VFX de taille moyenne les plus respectées de la profession. “L’une des premières choses que Brad Peyton m’a dite, c’était qu’il voulait tout filmer en vrai, même si ces images ne seraient pas utilisées pour le film,” précise Strause. “Ce choix était dicté par deux raisons : la première était que nous avions ainsi une référence visuelle sur laquelle construire le plan, la seconde était que Brad pouvait ainsi comparer notre version à ce qui avait été filmé…”

Los Angeles s’effondre en un seul plan-séquence

De fait, une grande partie de la préparation a consisté à définir ce qui pouvait être tourné en prises de vues réelles. Une approche qui s’est avérée indispensable pour le plan le plus complexe du film, celui où le séisme frappe Los Angeles alors que l’héroïne, Emma, se trouve dans un restaurant au dernier étage d’une tour. Dès la première secousse, l’action passe en plan-séquence, et la caméra ne quitte plus la jeune femme jusqu’à sa perte de conscience, le tout en un seul plan.

L’idée de Peyton était de montrer un tremblement de terre en temps réel, du début à la fin, du point de vue d’un seul personnage, ce qui n’avait jamais été fait auparavant : “On est vraiment avec elle dans un immeuble en train de s’effondrer : il n’y a pas de raccords,” explique le réalisateur. “On évolue réellement à ses côtés, on observe tout de son point de vue et on sent les milliers de décisions qu’elle doit prendre à la demi-seconde pour s’échapper, car tout est en train de se désagréger et de disparaître sous ses yeux.”

Ce plan de plusieurs minutes constitue un vrai tour de force car il résulte de la juxtaposition de plusieurs prises individuelles dont chacune représente une petite partie de l’action : premières secousses dans le restaurant, explosion dans les cuisines, Emma qui sort sur la terrasse alors que plafond et piliers s’écroulent autour d’elle, Emma qui découvre le panorama sur la ville avec les gratte-ciel qui s’effondrent comme des châteaux de carte, puis l’effondrement sous ses pieds des étages supérieurs de la tour. Une succession d’événements catastrophiques qui font intervenir des effets mécaniques (secousses et effondrements sur le décor) et pyrotechniques (explosion, incendie) à très large échelle, et des simulations dynamiques de grande ampleur pour les plans extérieurs sur la ville. À elle seule, la répétition du tournage a duré une semaine, le temps de synchroniser tous les événements avec le parcours de l’actrice.
Cette scène, et l’ensemble du séisme de Los Angeles, ont été confiés à Method Studios.

Scanline, Cinesite et MPC contribuent aussi aux destructions
Avec ses presque 1400 plans VFX, le projet San Andreas était trop complexe pour être traité en solo par un studio de taille moyenne comme Hydraulx. Colin Strause a donc réparti les plans chez plusieurs confrères : “Ma société Hydraulx s’est chargé du tremblement de terre à San Francisco, de la séquence finale, et de plusieurs autres scènes non liées aux catastrophes, comme celle du saut en parachute pour laquelle nous avons remplacé le visage du cascadeur par celui de Dwayne Johnson.

Ensuite, Scanline VFX s’est occupé de toutes les simulations dynamiques qui faisaient intervenir l’élément liquide – c’est leur spécialité : l’effondrement du barrage Hoover, le tsunami géant sur San Francisco, et l’inondation consécutive de la ville. De son côté, Cinesite a réalisé la scène d’ouverture avec le sauvetage à suspens d’une automobiliste dans un ravin, tandis qu’Image Engine est l’auteur de la scène où Dwayne Johnson découvre une énorme faille dans le désert. Il y a eu aussi d’autres intervenants, comme Atomic Fiction, Soho VFX ou Vitality VFX.”

À cela il faut ajouter MPC qui n’a réalisé qu’un seul plan, mais d’une complexité extrême : la vision des rues de San Francisco inondées. “La production a ajouté ce plan à la dernière minute, et il n’y avait que six semaines pour le réaliser de A à Z ! Aucun studio déjà engagé sur le film ne disposait des ressources nécessaires pour prendre en charge un tel plan, en plus du planning déjà existant. MPC a effectué un travail incroyable, tout en établissant un nouveau record de rapidité…”

Dans plusieurs plans, il a fallu faire intervenir conjointement deux studios différents. Ainsi, lorsqu’on voit la vague géante arriver sur San Francisco, Method a créé les bâtiments qui s’effondrent, tandis que Scanline a réalisé le tsunami. “Ce genre de collaboration est toujours délicat, étant donné que vous offrez à vos concurrents l’accès à certains logiciels que vous avez développés en interne,” souligne Strause, “mais je leur ai expliqué que cela ne devait pas entrer en ligne de compte. S’ils voulaient travailler sur ce film, ils devaient partager certains plans, avec tout ce que ça impliquait. Je leur ai rappelé que cela concernait aussi Hydraulx…”

Pour les scènes de destruction, Method Studios a modélisé le centre de Los Angeles, tandis que Hydraulx faisait de même pour San Francisco : “Nous avons construit des centaines d’éléments, des immeubles, des maisons individuelles, les stades, le mobilier urbain, etc. sans oublier les figurants animés en 3D et des débris par milliers. Dans les plans larges, les bâtiments au premier plan étaient de vraies géométries, tandis que les immeubles un peu plus loin étaient le plus souvent des projections en 2D ½ et l’arrière-plan un matte-painting.

Pour réaliser les structures à détruire, nous avons scanné au LIDAR une quantité phénoménale de sites. Cela a occupé une équipe à temps plein pendant six semaines ! Ces scans nous donnaient la géométrie générale des bâtiments. En même temps, nous prenions des milliers de photos afin de référencer l’apparence exacte de chaque élément sous tous les angles.”

Une vague souterraine pour L.A., un tsunami pour San Francisco
Pour réaliser la vision incroyable de Los Angeles soulevé comme par une vague souterraine, Method Studios a projeté une prise de vues de la ville sur une géométrie qui a ensuite été déformée. Là-dessus, l’équipe a ajouté des dizaines de buildings en train de s’effondrer et autant d’explosions dues à la rupture des conduites de gaz.

Le plan individuel le plus complexe du film est l’œuvre de Scanline. Il s’agit du premier plan sur San Francisco post-tsunami. La caméra démarre d’un point de vue aérien, puis descend jusqu’au niveau des personnages pour découvrir avec eux la ville recouverte d’eau sur dix étages. “Avec tous les débris qui flottaient à la surface, la simulation liquide comprenait pas moins de cinq millions d’objets individuels ! C’était d’une complexité inouïe sur le plan du rendu. Mais en même temps, Brad Peyton ne s’y est pas attardé plus que ça. Il savait à quel point ce plan avait été compliqué, mais dès que la caméra arrive sur les personnages, la simulation devient floue. Elle passe au second plan. Brad voulait filmer les effets visuels comme s’il l’avait fait si l’action s’était réellement déroulée devant la caméra. Il ne voulait pas changer quoi que ce soit à sa manière de filmer simplement parce qu’il y avait un effet visuel dans le cadre. Pour lui, c’était la garantie d’obtenir des plans qui fassent « vrai ». Et le résultat lui a donné raison.”

ALAIN BIELIK, Mai 2015
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.