Spider-Man 3 : homme sable
Ce film est un « blockbuster » au box office depuis sa sortie début mai : 260 M $ récoltés aux US en 10 jours, médaille d'argent juste derrière Pirates 2 l'année dernière. Un excellent score pour un n°3 dans une série de films. Et les effets visuels n'y sont pas pour rien avec une belle collection de « superméchants », au premier rang desquels l'homme sable. Alain Bielik nous livre ici un making-of du travail de Sony Pictures Imageworks, avec des « progression shots exclusifs » que vous pouvez voir ci-dessous en animation Flash ou commentés image par image dans le diaporama ci-joint (NB : certaines images sont doublonnées par suite d'un bug du programme : merci de nous en excuser). Et profitez aussi des 8 vidéos fournies par le studio sur leur travail en cliquant sur le lien ci-dessus.
Après avoir affronté le Bouffon Vert dans le premier film, puis Doc Octopus dans le second, l’homme araignée est cette fois confronté à son plus grand défi : combattre à la fois le fils du Bouffon Vert, l’homme sable, un organisme symbiote extra-terrestre en forme de boue noire tentaculaire, ainsi que Venom, un alter ego de Spider-Man parasité par le symbiote extra-terrestre. De quoi bien remplir les journées d’une véritable armée d’infographistes placés sous la direction de Scott Stokdyk, pilier de Sony Pictures Imageworks oscarisé pour le second Spider-Man. Celui-ci a accepté de dévoiler aux lecteurs de Pixel Création les secrets de fabrication de ces personnages hors du commun.
Pixelcreation : Combien de temps avez-vous travaillé sur ce film ?
Scott Stokdyk : Quasiment deux ans. À la fin de Spider-Man 2, j’ai pris un peu de vacances et j’ai directement attaqué le troisième film. Auparavant, j’avais également fait le premier film. Au total, ça fait à présent sept ans que je travaille sur les Spider-Man de façon plus ou moins continue… Le dernier film comporte plus de 930 plans à effets visuels réalisés par quelque 14 compagnies différentes, dont Buf Compagnie en France. L’équipe de Pierre Buffin a créé le plan dans lequel la caméra pénètre à l’intérieur du corps de l’homme sable au moment de sa transformation : on y voit l’effet de la machine au niveau moléculaire.
Pixelcreation : Du point de vue de l’animation 3D, la grande nouveauté est justement ce personnage d’homme sable. Le réalisateur Sam Raimi a déclaré qu’il s’agissait de la simulation 3D la plus complexe jamais réalisée. En quoi est-elle si différente de, par exemple, le raz-de-marée dans Poseidon ?
Scott Stokdyk : C’est une très bonne question. À la base, le principe est similaire : on simule le comportement de l’eau d’un côté, celui du sable de l’autre. La première différence, c’est que les raz-de-marée existent dans la réalité. En revanche, pour l’homme sable, il n’existe rien de comparable dans la nature. À titre de référence, nous avons filmé différents types de sable dans différentes situations afin d’analyser comment il s’écoulait, la façon dont les grains s’entrechoquaient, comment ils s’envolaient sous l’effet du vent, etc. Nous avons aussi visionné la séquence de la tempête de sable dans La Momie, car il y avait déjà un visage animé à partir de particules de sable. Mais nos références se limitaient à ça. L’autre grande différence, c’est que la vague de Poseidon reposait essentiellement sur un travail d’animation d’effets visuels, mais pas vraiment d’animation de personnage. Or, l’homme sable était un vrai personnage et nous devions faire en sorte que cet amas de sable exprime des émotions. Ainsi, notre création comporte en réalité deux niveaux d’animation : une première animation pour le jeu du personnage, et une seconde pour la simulation du sable proprement dite. Les deux se superposaient et se combinaient.
Pixelcreation : La création de l’homme sable exigeait donc d’aller plus loin qu’une « simple » simulation de phénomène physique…
Scott Stokdyk : Absolument. Il fallait contrôler de façon très précise une simulation dynamique. Nous ne pouvions pas nous contenter de décrire les propriétés physiques de nos particules et laisser la simulation se faire toute seule. La solution a consisté à développer une série de systèmes que les particules devaient suivre les uns après les autres. Un premier système les faisait s’assembler en une forme prédéterminée, un autre gérait leur écoulement sur les surfaces, un troisième les collisions entre grains, etc. Chaque particule passait d’un système à l’autre pour acquérir son mouvement définitif.
Pixelcreation : Avez-vous tout de même utilisé des logiciels du commerce ?
Scott Stokdyk : Oui. Ces systèmes maison ont été développés dans Houdini et Maya. Le premier a été employé pour tout ce qui était effets d’animation sur le sable. Son architecture très ouverte nous a d’ailleurs été fort utile. Par contre, nous avons privilégié Maya pour tout le travail d’animation de personnage. Pour obtenir les deux niveaux d’animation mentionnés plus tôt, il fallait donc que les deux logiciels fonctionnent conjointement
Pixelcreation : Quelle a été votre démarche pour développer les systèmes d’animation spécifiques à l’homme sable ?
Scott Stokdyk : Nous avons commencé par étudier les dernières recherches en matière de simulation de fluides et de systèmes de particules, en particulier les conférences du SIGGRAPH. Il nous est apparu que nous devions créer un système global très modulaire. Nos développeurs ont donc conçu de nouveaux « solvers », ou solutionneurs pour la simulation de fluides, les détecteurs de collision, les formes prédéfinies, etc. Ensuite, l’équipe s’est attachée à faire en sorte que tous ces « solvers » communiquent entre eux et se transmettent les informations nécessaires à la simulation globale.
Pixelcreation : Vous avez parlé de « formes prédéfinies ». Qu’entendez-vous par là exactement ?
Scott Stokdyk : Ce sont en fait des formes clés, par exemple, celle du personnage sous sa forme humanoïde, ou celle de l’homme sable avec un poing en forme de marteau géant. Les particules avaient pour instruction de s’assembler de façon à reconstituer cette forme qui avait été établie à l’avance. Pixelcreation : Avez-vous utilisé le « motion capture » ou capture de mouvements pour l’homme sable ?Scott Stokdyk : Oui, lorsque le personnage avait une forme humaine, mais seulement pour les expressions faciales. On se basait alors sur le jeu de l’acteur Thomas Hayden Church pour développer l’animation. Pendant le tournage, nous l’avons filmé à l’aide d’une caméra vidéo haute définition placée à 90° par rapport à la caméra 35mm. En comparant les angles de prise de vues, on pouvait reconstituer avec précision les moindres expressions de Thomas et les animer sur le personnage 3D. Parallèlement, nous avons organisé une vraie séance de motion capture faciale avec Thomas..
Pixelcreation : Comment avez-vous géré l’animation ?
Scott Stokdyk : On commençait par travailler l’animation du personnage, puis les effets prenaient la relève pour assurer les simulations dynamiques sur le sable. Souvent, le plan effectuait plusieurs allers-retours entre l’animation de personnage et l’animation d’effets car chacun influait sur l’autre. Pour que le plan fonctionne, il fallait que les deux niveaux d’animation s’associent et se complètent parfaitement. Par exemple, dans les gros plans de la scène de la naissance de l’homme sable, la première version montrait le visage recouvert de sable en mouvement. C’était peut-être réaliste sur le plan dynamique, mais nous avons trouvé qu’en recouvrant ainsi l’animation faciale, on perdait l’humanité du personnage. La simulation dynamique a donc été sensiblement réduite pour ne devenir qu’une fine couche de sable en léger mouvement, de sorte qu’on pouvait réellement lire les expressions sur le visage.
Pixelcreation : Quelles techniques avez-vous utilisées pour animer l’homme sable ?
Scott Stokdyk : Il y avait trois grandes catégories de modèles. Le premier modèle était entièrement constitué de particules et intervenait dans les scènes où le personnage « s’écoule » dans une direction donnée pour former un volume. Le second était une géométrie intérieure basique recouverte d’une épaisse couche de particules. Le troisième, enfin, comprenait une géométrie humaine précise, sur laquelle une fine couche de sable 3D était animée. On utilisait l’un ou l’autre suivant l’action demandée. Les besoins changeaient énormément d’un plan à l’autre. La grande particularité de ce personnage, c’était que les effets qu’il faisait intervenir étaient très différents les uns des autres. Ce n’était pas comme de créer un dinosaure une fois pour toutes, puis de l’animer plan par plan. Avec l’homme sable, nous n’avons jamais pu établir un vrai pipeline qui puisse être appliqué sur tous les plans du personnage. Parfois, il avait la forme d’un simple tas de sable, d’autres, c’était une créature humanoïde de 30 mètres de haut, d’autres fois encore, c’était un homme coupé en deux…
Pixelcreation : Quels logiciels avez-vous utilisés pour le tracking, le compositing et le rendu ?
Scott Stokdyk : Le tracking a été effectué principalement dans Boujou, mais aussi dans 3D Equalizer et un programme maison. Pour le compositing, nous avons travaillé avec Shake et Bonsaï, notre logiciel interne. Côté rendu, il s’agissait de RenderMan. Comme vous pouvez l’imaginer, il a fallu ruser pour parvenir à assurer le rendu de ces millions de particules. Nous avons ainsi retardé la création du sable jusqu’à l’étape du rendu proprement dit, nous avons procédé par couches, par portions d’image… Toutes les techniques existantes ont été essayées. Notre « render farm » comporte plus de 5000 processeurs et le plan clé de la naissance de l’homme sable – il dure tout de même deux minutes – a utilisé la majeure partie d’entre eux. À lui seul, ce plan représentait quelque 37 téraoctets de données ! Pour vous donner un ordre de grandeur, sur le premier Spider-Man, le projet n’avait jamais occupé plus de 4,5 téraoctets à la fois dans notre « render farm » et le plan le plus complexe ne pesait qu’un téraoctet ! C’est vous dire à quel point les plans ont gagné en complexité en seulement cinq ans !
Pixelcreation : Parlez-nous des autres personnages que vous avez créés pour le film.
Scott Stokdyk : Venom est animé de façon traditionnelle, comme Spider-Man, excepté que son animation est plus agressive, ses mouvements plus extrêmes. Le symbiote extra-terrestre est pour sa part un autre exemple de deux niveaux d’animation combinés : un pour le personnage et l’autre pour la simulation. Le symbiote possède un squelette interne à partir duquel l’animation du personnage ést définie. Ensuite, cette animation a été combinée à une animation dynamique pour le fluide de surface.
Nous avons développé un jeu d’outils directement accessibles par les animateurs dans Maya. Ceux-ci pouvaient quasiment définir leurs propres « rigs » en fonction des besoins du plan, là encore parce que chaque scène appelait un effet différent. Avec la technique traditionnelle, il aurait fallu créer un « rig » pour chaque plan ou presque. Sur Spider-Man 3, si les animateurs avaient besoin de joints supplémentaires à un endroit particulier, ils pouvaient le créer eux-mêmes.
Pixelcreation : Avez-vous apporté des changements à Spiderman lui-même ?
Scott Stokdyk : Oui, notre équipe a développé un nouvel outil dynamique appelé Ballistics. En analysant la position du personnage dans deux images successives au moment du décollage, ce programme ést capable de déterminer sa vélocité. Il calcule alors la courbe probable du saut et les données physiques de l’atterrissage. Cela nous a donné un bon point de départ, un saut très réaliste à partir duquel l’animation dynamique a été ensuite retouchée pour donner à Spider-Man une vraie attitude de superhéros…
Pixelcreation : Une question piège pour conclure : comment se fait-il que l’homme sable se retrouve habillé à la fin de chaque transformation ?!
Scott Stokdyk : Sam Raimi avait prévu cette objection ! [Rires] En fait, l’homme sable a été désintégré avec ses vêtements et la couleur de ceux-ci s’est transférée sur les grains de sable. Lorsqu’il reprend forme humaine, les grains de sable colorés reprennent leur place initiale sur toute la surface, ce qui redonne au personnage une apparence humaine. Malin, non ?
Alain Bielik, mai 2007
Alain Bielik est rédacteur en chef et fondateur de la revue SFX, la revue des effets spéciaux.