Star Trek Into Darkness
Une suite très spectaculaire et réussie au premier Star Trek.
Et avec 1700 plans à effets visuels, ce nouvel épisode marque une augmentation de 70% des VFX !
En 2009, Star Trek avait marqué une étape décisive dans la longue histoire de la saga. Pour la première fois en 43 ans (depuis 1966 à la télévision, 1979 au cinéma), le vaisseau Enterprise avait été créé en images de synthèse. Tous les films précédents avaient fait intervenir des maquettes à plus ou moins grande échelle. C'est donc réellement avec le film de J.J. Abrams que la saga est entrée dans le XXIe siècle. Comme il se doit, ce nouveau Star Trek Into Darkness, douzième du nom et deuxième de ce « reboot » de la mythique série, se propose d'entériner le tout numérique des effets visuels, et même de passer à la vitesse supérieure côté rendu.
Le studio Paramount a décidé de reproduire la stratégie qui avait si bien fonctionné pour les VFX de l’opus précédent, à savoir les scènes les plus complexes pour Industrial Light and Magic (ILM) et le reste réparti entre plusieurs prestataires. Le résultat avait valu au film une nomination à l'Oscar. ILM et Star Trek, c’est une longue histoire. Le studio fondé par George Lucas a travaillé sur le deuxième film, en 1982, puis sur cinq autres volets jusqu’en 1996, avant de revenir aux commandes des effets visuels pour le film de J.J. Abrams en 2009. Pour Star Trek Into Darkness, ILM s’est chargé de toutes les scènes spatiales, des plans de San Francisco, de Londres et de la planète Nibiru (séquence d’ouverture), ce qui représentait 500 plans environ. Le projet a été placé sous la direction de Roger Guyett, qui avait déjà œuvré sur le premier volet.
On le sait, les suites font souvent l'objet d'une surenchère en matière d'effets visuels. Et Star Trek Into Darkness n'a pas failli à la règle puisque le nombre de plans a augmenté de 70 % d'un film à l'autre : 1000 plans pour le premier, 1700 pour celui-ci. Dans les faits, la masse de travail a été quasiment multipliée par trois puisqu’il a fallu traiter chaque plan deux fois pour la conversion en relief 3D. Pour compliquer encore les choses, 40 minutes du film ont été tournées au format IMAX, ce qui impliquait de travailler à une résolution largement supérieure à la normale et entraînait donc des temps de rendus astronomiques.
L’Enterprise, astronef de légende
Star de la saga depuis près d'un demi-siècle, avec sa silhouette tellement caractéristique, l’astronef Enterprise a une nouvelle fois fait l'objet de toutes les attentions de l'équipe. La géométrie et les textures qui avaient été créées pour le film de 2009 ont été mises à jour avec les dernières technologies. Il fallait que le vaisseau supporte la résolution exceptionnelle des images Imax.
ILM a profité de ce projet pour basculer son pipeline de rendu sur le logiciel Arnold. Celui-ci repose sur une technologie de ray-tracing très élaborée, ce qui a permis d'éclairer l'Enterprise avec une finesse inégalée. Jusqu'à présent, ILM avait travaillé avec RenderMan. “Avec Arnold, la lumière rebondit sur les surfaces et éclaire automatiquement les surfaces mitoyennes, lesquelles la réfléchissent à leur tour,” explique Guyett. “On obtient donc un environnement lumineux qui correspond à la réalité. Dans un film comme Star Trek, c'est essentiel car la lumière ne provient que d'une seule direction : le soleil. On parvient donc à éclairer tout le vaisseau à partir d'une seule source grâce à ces surfaces réfléchissantes. Sur le film précédent, on obtenait un résultat similaire, mais en trichant énormément. Beaucoup de reflets étaient simulés à l’aide de point cloud et autres techniques, et non pas générés automatiquement. Cette fois, tout s’obtient de manière plus naturelle.”
Cette nouvelle approche était encore plus importante avec le Vengeance, l’autre vaisseau au cœur de l'action du film. Cet engin présente la particularité d'avoir une coque peinte en noir. Pas vraiment la couleur idéale pour se détacher sur un fond d’étoiles… ILM a dû utiliser toutes les astuces à sa disposition pour éclairer le vaisseau, tout en conservant une lumière semble-t-il naturelle. Le ray-tracing tombait à point nommé pour offrir de nombreuses solutions à cet égard.
Rares sont les fans qui l'ont remarqué, mais tout au long du film, l'Enterprise bénéficie d'un éclairage qui reflète l'intensité dramatique du moment. Au début, le vaisseau est brillamment éclairé, avec une lumière « héroïque » qui le met en valeur, puis au fil des événements, le contraste augmente et des zones d'ombres apparaissent. À la fin, le vaisseau est éclairé de manière beaucoup plus dramatique, avec un contraste très fort entre zones éclairées et parties obscures. Cette charte graphique avait déjà été appliquée sur le film précédent. De cette manière, les effets visuels contribuaient directement au processus narratif du film.

Saut dans l’Hyperespace en stéréo
L'arrivée du relief 3D sur la saga Star Trek a donné l'occasion à ILM de repenser un effet emblématique de la saga : la distorsion qui survient lorsqu’un vaisseau plonge dans l'hyperespace. L'équipe a spécialement retravaillé l'effet pour obtenir un impact maximum en stéréoscopie, s'inspirant pour cela du fameux effet de travelling arrière/zoom avant inventé par Alfred Hitchcock pour Sueurs Froides. Au moment du saut dans l'hyperespace, l’image s'étire en profondeur pour former une sorte de tunnel tandis que l’Enterprise, lui, recule légèrement pour sortir du plan de l'écran et « entrer » littéralement dans la salle. Pendant une seconde, l'effet de profondeur est saisissant, puis le vaisseau jaillit vers le tunnel, laissant derrière lui une traînée jusque dans les yeux des spectateurs. “On voulait que le public bondisse dans l’hyperespace avec l’Enterprise, qu’il ressente la même sensation que l’équipage…” commente Guyett.
Les décors de l’Enterprise
L'une des grandes nouveautés du film, c'est la découverte de nombreux endroits encore jamais vus de l’Enterprise : la salle des machines, la salle du réacteur, de nouvelles coursives, et même un atrium central qui s’ouvre sur tous les étages du gigantesque vaisseau (l’Enterprise mesure entre 600 et 900 mètres de long, suivant les sources). J.J. Abrams a fait construire un réseau de décors interconnectés qui lui permettait de passer d'une pièce à l'autre à la suite des acteurs et sans coupure. Dans le Star Trek précédent, les différents décors avaient été édifiés sur des plateaux de tournage différents. ILM a ensuite ajouté des extensions de décor pour agrandir les perspectives, notamment vers le haut et vers le bas dans l'atrium.
La scène la plus difficile avec l’Enterprise était celle où l'astronef émerge de l'océan sur la planète Nibiru. ILM devait générer des interactions extrêmement complexes entre la masse métallique et l’élément liquide. Pour ce faire, l'équipe s'est basée sur le travail considérable de recherche et de développement qui avait été entrepris en ce sens pour le film Battleship, lequel présentait déjà des effets de même nature.
Autre simulation avec le crash de l'astronef dans San Francisco. ILM a créé pour cela des simulations de corps rigides qui reproduisaient l'impact de cette masse de plusieurs milliers de tonnes sur les bâtiments de la ville. Les plans les plus complexes font intervenir une soixantaine de simulations différentes, toutes combinées en profondeur dans Nuke. Les capacités de compositing en 3D du logiciel ont été ici largement mises à contribution.
Londres et San Francisco au XXIIIe siècle
L'équipe a pris un plaisir particulier à visualiser le San Francisco du futur. ILM est en effet installé dans la ville californienne depuis trois décennies. Ce n'est pas la première fois qu'un film de la saga présente une vision futuriste de la métropole, mais jamais ces images n’avaient fait l'objet d'une telle réflexion. L’idée était d'imaginer un développement cohérent de l'urbanisme, de déterminer ce qui était susceptible de rester, et ce qui allait probablement être rasé pour être remplacé. “Dans les villes du futur, on trouvera certainement des bâtiments ou des éléments qui datent de notre époque, de la même façon qu'on a aujourd'hui des bâtiments qui sont là depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, comme à Londres,” précise Guyett. “On part donc de ces éléments caractéristiques, dont on devine qu'ils vont durer, et on construit autour. Parfois, il suffisait d'ajouter relativement peu de choses pour obtenir un paysage futuriste.”
Au départ, il avait été prévu d'utiliser des prises de vue de San Francisco et de Londres pour servir de base à ces scènes. Les bâtiments et structures futuristes auraient été projetés dans l'image en 2D ½. Mais c'était sans compter avec les mouvements de caméra de grande amplitude et la stéréoscopie qui empêchaient le recours à de telles astuces. Au final, ILM a été obligé de reconstituer les deux villes en full 3D. C'était le seul moyen pour obtenir un rendu réaliste en stéréoscopie. Le rendu a été effectué dans Arnold et V-Ray.

Bouffée d’exotisme sur Nibiru
La séquence d'ouverture nécessitait un type d'environnement radicalement différent. L'action se situe sur la planète Nibiru, célèbre comme chacun sait pour ses plages de sable blanc, son ciel bleu… et ses arbres à la végétation rouge sang. Ces derniers présentait un défi intéressant pour ILM. L’équipe a commencé par faire des tests de traitement d’image sur des prises de vue d’une vraie jungle. L’idée était de tourner les scènes à Hawaï, puis d’effectuer un traitement colorimétrique sélectif pour changer le vert en rouge. De la sorte, J.J. Abrams aurait pu filmer de vrais paysages et obtenir à peu de frais un environnement complètement exotique. Sauf que ça ne fonctionnait pas… Il y avait tellement de nuances de vert que le logiciel ne parvenait pas à générer un rouge homogène. Résultat, l’environnement semblait totalement artificiel, comme issu d’une vidéo MTV des années 80.
L'équipe s'est alors rabattue sur une solution de secours. La production a fabriqué un décor de jungle rouge de douze mètres de large sur plusieurs dizaines de mètres de long, suffisant pour filmer les acteurs en train de courir pendant plusieurs secondes. Ensuite, ILM a prolongé la forêt dans toutes les directions à l'aide d'une extension 3D dont le rendu était assuré dans V-Ray. Les indigènes étaient interprétés par une trentaine de figurants, accompagnés de dizaines de personnages animés en motion capture.
Pour montrer la chute finale des héros dans l'océan, deux doublures cascade ont été filmées en train de sauter sur un matelas. Ensuite, ILM a créé des doublures numériques et les a animées image par image pour épouser les mouvements des acteurs jusqu'au point de contact avec le matelas. Au moment adéquat, elles prenaient la relève de manière invisible et poursuivaient la chute jusqu'à l'océan incrusté dans l'image. Un plan qui faisait écho à celui du premier film où la caméra suivait en continu une voiture qui basculait dans un canyon.
La scène de Spock dans le volcan a nécessité la mise au point par ILM de simulations de fluides d’une complexité inédite. Le logiciel maison parvenait à établir la température de la lave en fonction de son emplacement, de sa vitesse, etc. Cette information déterminait alors l’épaisseur de croûte à la surface du fluide ; cela se traduisait par un rendu très réaliste de l’environnement du cratère. On est loin des flots de glycérine rouge déversés dans un décor miniature pour Star Wars – Episode III il y a seulement huit ans.
Autres VFX : Pixomondo, etc.
Tandis qu’ILM se concentrait sur ces effets, Pixomondo et Atomic Fiction se partageaient une bonne partie des scènes « au sol » – batailles de phaser, extensions de décor, animations sur moniteur, intérieur du vaisseau Klingon – ainsi que la scène de l’arrivée sur la planète Klingon.
Quant aux plans les moins complexes, ils étaient réservés à une équipe spécialement montée par la production et qui dépendait directement de J.J. Abrams. Ces graphistes ont traité les effacements de câbles, les retouches d’image, certains composites et extensions de décors. Une stratégie que le réalisateur emploie sur tous ses films, car elle lui permet d’obtenir des centaines de plans pour une fraction du coût de ce qu’un prestataire facturerait. Dans le cas de Star Trek Into Darkness, cela représentait pas loin de 700 plans, ce qui se serait traduit par un coût de plusieurs millions de dollars supplémentaires. Ainsi, on peut être à la tête une superproduction de près de 200 millions de dollars et ne pas rechigner aux petites économies...
Le studio, lui, est ravi : après trois semaines d’exploitation, le film a déjà rapporté plus de 350 millions de dollars à travers le monde. De quoi garantir un inévitable Star Trek XIII dans deux ou trois ans. Mais sans J.J. Abrams. Le réalisateur vient de « trahir » la Paramount pour prendre en main la saga concurrente, Star Wars !
ALAIN BIELIK, Juin 2013
(commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 21 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.