Sunshine

Un festival d’effets visuels « flamboyants » qui entraînent le spectateur dans un voyage inédit jusqu’au cœur du soleil, avec un superbe vaisseau lui-aussi en 3D.

Après avoir décrit la fin de l’Angleterre dans 28 Jours plus tard (2003), le réalisateur anglais Danny Boyle (Train Spotting entre autres) nous raconte cette fois la fin du monde. Dans Sunshine (sorti ce 11 avril 2007), nous sommes en l’an 2051 et le soleil est sur le point de s’éteindre. Les grandes puissances décident donc de financer une expédition de la dernière chance : construire un vaisseau capable de résister à la chaleur du soleil et lancer une bombe thermonucléaire assez puissante pour relancer le « moteur » interne de notre étoile.
Plutôt connu pour le caractère intimiste de ses films, Danny Boyle s’est ici lancé dans l’aventure d’un grand film de science-fiction et a découvert par là même l’univers des effets spéciaux. Le film comporte plus de 700 plans à effets visuels. Pour mener cette tâche à bien, le cinéaste a fait confiance au studio anglais Moving Picture Company (MPC) et au superviseur des effets visuels Tom Wood (Harry Potter et la Chambre des secrets, Kingdom of Heaven).

Le vaisseau de tous les records
L’une des grandes particularités de ce projet était le look unique du vaisseau spatial. Le Icarus II se présente sous la forme d’un gigantesque bouclier thermique d’un kilomètre de diamètre, lequel protège une bombe de la taille d’une ville, ainsi que l’unité d’habitation et de navigation, longue de 300 mètres. Étant donné que le vaisseau se dirige droit vers le soleil, seule la face avant du bouclier devait être éclairée, l’arrière étant plongé dans l’obscurité. “Danny était très strict sur les conditions d’éclairage du vaisseau,” raconte Tom Wood. “Il tenait à ce que la partie arrière reste dans le noir, comme cela serait le cas dans la réalité. De même, il voulait un environnement spatial avec très peu d’étoiles, de façon à susciter un sentiment d’oppression chez le spectateur. C’est plus angoissant de voir un vaisseau plongé dans le noir que de voir un engin brillamment éclairé. Les références en termes de scènes spatiales étaient 2001 l’Odyssée de l’espace et le premier Alien.”
Fruit de quelque six mois de travail dans Maya, le modèle 3D de l’Icarus II s’est avéré être la géométrie la plus complexe jamais créée par MPC. Le vaisseau comporte deux sections principales, l’unité d’habitation et l’ensemble bombe/bouclier. La première ést constituée d’environ 50 modules individuels, tandis que le second comporte 25 modules supplémentaires. La première étape a consisté à modéliser la « colonne vertébrale » du vaisseau, puis une équipe de cinq modeleurs, placée sous la direction de Philip Koch, a créé un par un chacun des modules. Ils bénéficiaient pour cela de quantité de documents et photos fournis par le département artistique pour servir d’inspiration. Les références principales étaient la Station Spatiale Internationale et la station Mir. L’architecture générale du vaisseau avait déjà été établie par le chef décorateur Mark Tidesley, mais les modeleurs ont dû concevoir toutes les connexions entre les modules et la charpente. L’agencement général est basé sur les plans des décors intérieurs, de manière à ce que l’extérieur du vaisseau corresponde à l’intérieur.

“Pour texturer les modules d’habitation/navigation, nous avons implémenté un système qui affectait différents « matériaux » à différentes zones du vaisseau,” déclare Wood. “Les éléments prenaient alors l’aspect du métal, de l’aluminium, d’un matériau d’isolation, etc. Cette technique permettait de varier le look des modules et de leurs composants. Nous avons aussi pré-calculé les textures d’occlusion pour l’ensemble du vaisseau, de façon à simplifier les étapes suivantes du processus de création des plans.”
Une fois modélisée, la géométrie représente quelque 1,9 gigaoctet de données ! À ceci viennent s’ajouter 200 gigaoctets supplémentaires de textures et autres données d’occlusion… Résultat, le modèle est si lourd que l’équipe ne pouvait même pas l’importer en entier dans le programme d’animation. Il a fallu développer un pipeline spécifique au vaisseau. “Nous avons utilisé un outil interne d’écriture de scripts RenderMan pour développer un système capable d’utiliser une version proxy OpenGL (affichage temps réel) basse définition du vaisseau. Grâce à cette astuce, nousavons pu visualiser et manipuler celui-ci dans Maya. Ce système nous permettait en outre de varier les réglages à volonté, comme par exemple, de modifier le degré de détail sur tout le vaisseau ou au contraire sur un élément particulier.”

MPC s’est alors attaqué à l’équation « le vaisseau est dans le noir, mais il faut quand même qu’on le voie.” Le problème a été résolu en s’inspirant du look d’une raffinerie la nuit. Le vaisseau a été muni de 432 sources lumineuses, dont 264 sur le seul espace d’habitation. Différentes températures de couleur ont été utilisées afin de simuler des types de lumières variés. “Parallèlement, nous avons mis en place un système qui permettait aux objets identiques de partager les mêmes textures d’occlusion pour réduire la charge mémoire de la scène. Nous avons également pré-rendu une texture de réflexion de l’environnement pour chaque module, de manière à ce que les lumières soient correctement réfléchies par les matériaux métalliques.”
La partie la plus complexe du vaisseau était sans aucun doute le bouclier. La grande difficulté consistait à simuler un objet de dimensions énormes à partir d’une surface plus ou moins lisse, c’est-à-dire sans points de repère identifiables pour permettre d’évaluer l’échelle du vaisseau. Cette difficulté a été contournée en recouvrant le bouclier de quelque 130.000 panneaux individuels. MPC a une nouvelle fois utilisé son outil d’écriture de scripts RenderMan pour fabriquer le modèle. Un seul panneau a été modélisé à la main, puis le logiciel a utilisé cet élément pour assembler le bouclier. Chaque panneau était doté d’une texture personnalisée qui « cassait » l’uniformité de la surface du bouclier. D’autres textures pouvaient être projetées sur l’ensemble des 130.000 panneaux afin de maîtriser totalement le look final. Ces textures ajoutaient des éraflures, des impacts, et autres déformations, conférant aux surfaces un aspect plus patiné et réaliste.

“Pour les scènes de destruction, nous avons importé le vaisseau dans PAPI, un logiciel de simulation dynamique de corps rigides que nous avons développé en interne,” explique Wood. “Le bouclier lui-même a été recréé sous la forme d’un système de particules. Nous avons pu ainsi le détériorer petit à petit, puis le briser complètement lors de la descente vers le soleil. Cette version spécifique du bouclier nous a également permis d’animer les panneaux de façon individuelle. Il y a par exemple un plan dans lequel le bouclier ajuste la position des panneaux par rapport au vent solaire. On voit des milliers de panneaux bouger les uns après les autres, formant comme une vague à la surface du bouclier. Ce type d’animation a beaucoup fait pour montrer la taille immense de l’engin.”

Naissance d’un soleil 3D
Tandis qu’une partie de l’équipe se chargeait de créer l’Icarus II dans ses moindres détails, une autre s’attachait à visualiser l’élément le plus problématique de tout le film : le soleil… Comment montrer à quoi ressemble notre étoile de très près, alors qu’on l’a toujours vue à plusieurs dizaines millions de kilomètres de distance ? De plus, le soleil a été filmé et photographié dans toutes les longueurs d’onde possibles (infrarouge, ultraviolet, etc.). Sur quelle référence visuelle faut-il se baser pour le montrer à l’image ? Cet élément clé du film a ainsi fait l’objet d’un long développement conceptuel. Les artistes ont étudié des milliers de photographies, visionné des centaines de films, discuté avec des scientifiques. À l’arrivée, le look du soleil est basé sur des faits avérés, mais l’équipe s’est autorisée une certaine « marge de manœuvre » pour adapter l’élément aux besoins particuliers d’un plan.
Au cours du film, le soleil apparaît à trois distances différentes : une vue lointaine dans la baie d’observation de l’Icarus II, une vue en plan serré pour les scènes dans lesquelles le vaisseau est en orbite, et enfin, une vue en gros plan pour la plongée finale au cœur de l’astre en fusion. “La vue lointaine a été créée en superposant des dizaines de couches d’animation générées dans le logiciel Maya à l’aide de textures appliquées de façon procédurale,” raconte Wood. “Nous sommes partis de photos du vrai soleil prises par des satellites. Puis, nous avons créé des textures animées qui représentaient la surface, les sous-couches de la surface, les points chauds, la structure « veineuse »… Parallèlement, une couche de nuages et de gaz a été générée dans le moteur de simulation de fluides de Maya. D’autres détails de la surface, tels que les tourbillons magnétiques ou les éruptions, ont été créés à part, soit en étant modélisés de façon individuelle, soit à l’aide d’un système de particules. À l’étape du compositing, les graphistes avaient beaucoup de latitude pour combiner ces différentes couches dans le logiciel Shake. Le but était de véritablement « sculpter » l’aspect du soleil avec des zones plus ou moins sombres, de façon à ce que chaque plan ait sa propre identité visuelle.”

Plus les personnages approchent de l’astre, plus l’activité s’intensifie à sa surface. Des zones de turbulence à très haute température apparaissent, de même que des mouvements de plus en plus chaotiques. Dans les plans serrés, la surface prend davantage l’aspect d’un paysage. L’application procédurale de textures a cette fois été associée à des matte paintings générés dans Photoshop. Dans certains plans, la caméra balaie la surface du soleil par un long panoramique, un effet pour lequel les matte painters ont créé des panoramas de plus de 10.000 pixels de large ! Ces matte paintings ont été animés à l’aide de warping 2D créés dans Shake, ainsi que par diverses simulations de fluides générées dans Maya.
Lors de la plongée finale à l’intérieur du soleil, l’astre est montré sous son angle le plus spectaculaire : un environnement immersif avec surface, relief, ciel et atmosphère, le tout étant agité de convulsions et de mouvements incessants. “La majeure partie de ce travail a été réalisée à l’aide de matte paintings,” Wood raconte. “Nous nous sommes basé sur des dessins représentant chaque étape de la descente vers la surface. Les montagnes étaient représentées par des gaz et du plasma, tandis que d’immenses colonnes jaillissaient pour projeter des milliards de tonnes de matière, lesquelles formaient de vastes structures dans le ciel. Là encore, nous avons beaucoup utilisé le warping et l’animation 2D pour animer chacune de ces couches. Celles-ci ont été importées dans Maya et filmées avec des mouvements de caméra qui donnait une sensation de profondeur et de mouvement. Tout comme pour le vaisseau, le rendu du soleil a été assuré dans RenderMan. La dernière touche a consisté à créer une atmosphère très dense à l’aide de systèmes de particules. Au final, ces images de la surface du soleil donnent réellement l’impression d’un environnement chaotique avec des conditions d’une violence extrême et où l’on se sent complètement désorienté. Une sorte de cataclysme permanent en perpétuel renouvellement. En tout cas, c’était pour nous une expérience passionnante que d’avoir à simuler pareils phénomènes en 3D.”

Alain Bielik, avril 2007

P.S. : certains visuels de la galerie ci-jointe sont doublonnés. Veuillez nous excuser pour ce bug de programme en cours de correction