Sur la Terre des Dinosaures

Après la série TV de la BBC, Fox produit un film 3D avec des dinosaures plus photoréalistes que jamais, animés par Animal Logic dans des paysages réels.

Les studios Walt Disney avaient déjà tenté l’aventure en 2000 avec Dinosaure, un film qui se proposait de mettre en scène des sauriens dans des environnements réels. Une sorte de Jurassic Park sans les humains et avec les valeurs chères au cinéma d’animation américain. Aujourd’hui, c’est la 20th Century Fox qui reprend le concept de la célèbre série TV de la BBC il y a 15 ans et se lance dans le long métrage 3D avec, encore une fois, l’histoire d’un jeune dinosaure séparé de sa famille et qui s’efforce de survivre dans un monde décidément très hostile. Si le scénario repose sur les mêmes ressorts dramatiques, la technologie, elle, n'a strictement plus rien à voir. Pour le monde de l'infographie, l'année 2000, c'est déjà la Préhistoire, voire… le Jurassique !

La 20th Century Fox a confié la réalisation technique au studio d'animation australien Animal Logic, auquel on doit le diptyque Happy Feet, Le Royaume de Ga’hoole ou encore le film Lego qui sortira en 2014. Une fois n'est pas coutume, c'est un Français, Emmanuel Blasset, qui a supervisé toute la partie infographique pour Animal Logic. Il nous raconte les coulisses de ce projet sur lequel il a travaillé trois ans et demi.

Pixelcreation: Comment le film a-t-il été tourné ?
Emmanuel Blasset : Tous les environnements sont réels. Ils ont été filmés en stéréo en Alaska et en Nouvelle-Zélande. Seules trois séquences font intervenir des paysages en full 3D, simplement parce qu'elles étaient trop compliquées à obtenir autrement. Il y avait tout d'abord celle du lac gelé dont la surface se brise sous le poids des dinosaures, celle de la forêt dans laquelle se déroule une grande scène de combat, et celle où le héros est coincé sous un arbre à l’issue de cette scène. Pour les deux premières, les effets d'interaction étaient si complexes qu'il valait mieux tout réaliser en 3D. Quant à la troisième, l'action se déroulait dans l'environnement de forêt déjà réalisé pour la scène précédente. Comme en plus il s'agissait d'une scène de nuit, l'option du full 3D s'est imposée d'elle-même.

Pixelcreation : La scène de l'incendie de forêt n'a pas été créée par ordinateur ?
Emmanuel Blasset : Non, l’incendie était authentique. La production a filmé l’action sur une propriété privée où la forêt devait de toute façon être brûlée. Ça nous a donné un arrière-plan parfait pour la scène. Nous avons simplement ajouté quelques flammes au premier plan et de la fumée.

Pixelcreation : Dans les scènes en environnement réel, avez-vous simulé sur le plateau les interactions des dinosaures avec le décor ?
Emmanuel Blasset : Oui, chaque fois que nous le pouvions. Par exemple, la végétation était tirée par des câbles pour simuler le passage des dinosaures, ou bien, l'équipe des effets spéciaux déclenchait des effets interactifs dans une rivière ou des flaques d'eau. Nous avons également réalisé sur fond bleu une série de prises de vues d'effets interactifs : flaques d’eau, poussière, etc. C’était plus rapide que d’avoir à les reproduire en simulation dynamique.

Pixelcreation: Parlez-nous à présent des « personnages ». Quelle a été l'approche pour l'animation faciale ? Avez-vous « humanisé » les dinosaures ?
Emmanuel Blasset : Non, nous sommes restés aussi réalistes que possible pour tout ce qui est l'animation faciale. Nous avons évité absolument les mimiques ou les expressions qui pouvaient passer pour humaines. Il n'y a donc pas de grimace, ni d'anthropomorphisme, ni de dialogue d'ailleurs (l’histoire est racontée en voix off). Notre référence pour l’animation a été L’ours de Jean-Jacques Annaud. Dans ce film, on peut « lire » toutes les émotions des ours alors qu’il s’agit à la base d’animaux sans expressions faciales. Nous avons travaillé le regard, la posture et la gestuelle des dinosaures pour raconter leur histoire.

Pixelcreation:Combien d'espèces différentes avez-vous créées ?
Emmanuel Blasset : Une douzaine, à peu près, ce qui a posé un gros défi dans la mesure où nous sommes allés au maximum de ce qu'il était possible de faire en termes de photoréalisme. Nous avons ainsi travaillé avec des paléontologues pour obtenir le rendu de peau le plus réaliste possible. Cela impliquait de générer des écailles en 3D sur tous les dinosaures, au lieu d'une simulation réalisée sur une peau lisse, comme c'est le cas sur bien d’autres films. Nous avons donc mis au point un nouveau système baptisé « Reptile ». Il nous a permis de créer les écailles de façon procédurale, elles font partie de la géométrie et ne sont pas de simples displacement maps. Chaque dinosaure en comporte plusieurs millions. L'avantage de ce système, c'est qu'il permettait de varier automatiquement l'espace entre les écailles en fonction du mouvement. Par exemple, si le dinosaure tournait le cou, les écailles se resserraient du côté intérieur, et s'éloignaient les unes des autres du côté extérieur.

L'autre aspect que nous avons énormément travaillé, c'est l'interaction entre les différentes couches qui constituent le corps des dinosaures. Ces derniers ont été créés avec le plus grand soin sur le plan organique : à la base, il y a le squelette exact de l'animal réel, puis la musculature, puis une couche de graisse plus ou moins épaisse, puis la peau avec son réseau d'écailles. Nous voulions que la peau glisse de façon naturelle sur les muscles, ou bien qu’elle s'étire en passant sur chaque côte.

Pixelcreation : Comment avez-vous procédé pour les plans larges ou les scènes de foule ?
Emmanuel Blasset : Reptile est optimisé pour réduire automatiquement le nombre d'écailles en fonction de la distance du sujet par rapport à la caméra. Plus le dinosaure était éloigné, plus sa géométrie était simplifiée. Nous parvenions ainsi à créer des scènes avec des dizaines de dinosaures qui avaient chacun plusieurs millions d’écailles. Pour les scènes de foule où les dinosaures sont vraiment très loin dans l’image, tout a été réalisé en displacement maps.

Pixelcreation: Quel a été votre pipeline logiciel ?
Emmanuel Blasset : Le modeling a été réalisé dans zBrush et MudBox, et le surfacing dans Mari avec un peu de Photoshop. Pour le layout caméra, c’était Maya, tandis que le tracking a été effectué dans 3D Equalizer. Pour tout ce qui est animation de personnages, nous utilisons XSI de Softimage.

Pixelcreation : C’est surprenant, tout votre secteur semble être passé depuis longtemps sous Maya…
Emmanuel Blasset : Oui, mais nous continuons de préférer XSI, c'est notre logiciel de prédilection depuis le premier Happy Feet. Par contre, pour l'animation des effets et les simulations dynamiques, nous utilisons un mélange de Houdini et de logiciels développés en interne. Enfin, le lighting est basé sur Maya, le rendu réalisé dans PRMan et le compositing dans Nuke.

Pixelcreation : De quelle façon avez-vous géré le calcul de tous ces éléments ?
Emmanuel Blasset : Chaque couche est calculée en amont et mise en cache, de sorte que tous ces bakes d’écailles, de textures, etc. ne sont importés qu’à l’étape du rendu final, on ne porte pas cette complexité tout au long du pipeline. Il faut préciser que nous avons adopté sur ce projet une approche technique qui est en train de se généraliser dans la profession, c’est ce qu’on appelle le « physically plausible shading » (le shading plausible sur le plan de la physique…). C’est une approche mathématique très poussée dans laquelle nous essayons de conserver l’énergie de chaque photon, de déterminer quelle proportion de chaque photon est absorbée par chaque surface et quelle proportion est réfléchie… Le but est d’avoir un réalisme maximum dans la manière dont le lighting et les surfaces interagissent.

Grâce aux images HDRI enregistrées sur le tournage, le dinosaure est automatiquement éclairé de façon réaliste dès qu’il est placé dans la scène. Le résultat, c’est qu’on n'a plus besoin de travailler le lighting pendant des heures pour essayer de reproduire sur le personnage la lumière originale. À la place, on peut se concentrer sur la partie « artistique » de la lumière, c'est-à-dire mettre le personnage en valeur, souligner tel ou tel élément dans l'image, etc. En fait, c'est comme avec un acteur réel : lorsqu'il arrive sur le plateau, il est déjà éclairé par la lumière naturelle, l'équipe doit simplement retravailler cette lumière pour les besoins du film. Grâce à cette nouvelle approche, nous pouvons littéralement procéder de la même façon avec les personnages générés en 3D. Désormais, on peut vraiment se concentrer sur le côté artistique d’une scène. Quelque part, c’est une vraie libération.

ALAIN BIELIK, Décembre 2013
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 22 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.