Zombillenium

De la BD au long métrage d’animation : une adaptation exemplaire.

Zombillénium la BD passe au grand écran, toujours sous la houlette de son créateur Arthur de Pins. Un projet au long cours (près de 6 ans !) que nous racontent Arthur de Pins et son co-réalisateur Alexis Ducord.

Tout commence avec une couverture…
Arthur de Pins
: … à l’été 2008. À cette époque je faisais des illustrations et en bande dessinée, uniquement Péchés Mignons pour Fluide Glacial. Pas du tout le même univers que Zombillénium … Un jour, Frédéric Niffle, le rédacteur en chef de Spirou, m’appelle et me dit : « Salut ! Tu veux faire les couvertures du Spirou spécial Halloween ? ». Alors là je tombe des nues… et j’ai répondu « oui ». Parce que déjà ça me faisait marrer, et en plus les monstres, c’est-à-dire les vampires, les zombies, les loups-garous, c’est un truc que j’aimais bien quand j’étais adolescent. J’ai donc fait une couverture où on voyait tout un tas de monstres qui étaient en train d’enterrer le lecteur. Fred a adoré et m’a proposé d’en faire un album ! J’ai donc fait cet album. Au départ, j’avais juste l’idée de reprendre ces personnages sans me dire que ça allait devenir les protagonistes d’une série… C’est un peu l'inconscient qui a guidé ma main.

La genèse du film

Dès le tome 1 de la BD, j’ai songé à en faire un film.  Une envie concrétisée avec le producteur Henri Magalon. J’ai commencé à travailler sur ce projet en 2012, me suis interrompu pour faire le tome 3 de Zombillénium, et j’ai repris le travail d’écriture en 2013. C’est à ce moment qu’Alexis est arrivé. J’avais un début d’histoire, et on s’est mis à travailler à un rythme un peu plus soutenu, avec deux autres boarders. Il se trouve que le groupe Skip the use préparait un album et on leur a proposé de faire un clip d’une de leurs chansons. Ils ont été emballés par l’idée de faire en même temps le pilote du film et leur clip. C’est Henri Magalon qui a tout monté, c’était malin car il a eu des aides pour le produire pour au final comptabiliser plus de 4 millions de vues sur Youtube. On n’a pas eu un énorme budget et seulement 4 mois pour le faire donc la qualité n’est pas celle qu’on a actuellement sur le film mais ça nous a permis d’avoir une référence visuelle et de régler quelques problèmes techniques.

Alexis Ducord : Et de vendre le projet…

Arthur de Pins : Exactement. On était très vite parti avec Henri Magalon sur la trame du Tome 1. C’est l’introduction du parc par le biais de ce personnage qui s’y retrouve embauché. En revanche, la raison qui nous a poussés à modifier l’histoire, c’est la durée du film. Le Tome 1 ne fait que 44 planches, ce qui est peu même pour une bande dessinée. Et en BD, il y a des choses qui sont acceptables mais qui ne passent plus dans un scénario : pour un film il faut que ce soit ultra carré. Le spectateur d’un film est plus passif, il faut le prendre par la main et que tout soit justifié. Chaque scène doit être la conséquence de la scène précédente et la cause de la scène suivante. Et il nous fallait une fin !

Alexis Ducord : On a pu prendre le temps de faire le storyboard à 4, et même de le réécrire à l’automne 2014 avant de commencer la production en janvier 2015.

Arthur de Pins
: Le concept art a été fait par Thomas von Kummant, et le colorscript par Florent Masurel. Toute la phase de développement a été faite avec une toute petite équipe à Paris : design avec planches d’expressions pour les personnages, recherches sur les décors, layout, previz, storyboard, animatique. Et on a choisi de passer en 3D après avoir fait des essais pas satisfaisants en 2D et en Flash. La 3D permet de ne pas simplifier les personnages, de garder les détails comme le tatouage de Gretchen, sa ceinture à clous, et aussi d’animer les squelettes comme Sirius.

Les personnages

Arthur des Pins : Il y a eu 5 ou 6 versions du scénario, et dans chacune, il y a eu une dizaine de variations. Le noeud du problème, qui fait que ça ne fonctionnait pas, était le personnage d’Aurélien (héros de la BD) et c’est ainsi qu’on a pris la décision de le changer en Hector, un personnage qui était vierge de tout. Aurélien est dépressif au début, il rentre dans un bar avec un flingue, alors qu’Hector c’est plus du tout la même chose : il est obsédé par son boulot, la réussite sociale…

Alexis Ducord : On peut plus librement se détacher de la trame de la bande dessinée. Hector est devenu un personnage à part entière même s’il est créé dans les grandes lignes d’Aurélien. Hector avait un cahier des charges assez balaise pour son design : il aurait pu être un zombie, mais le producteur voulait son démon avec les cornes et tout le toutim, donc c’est un démon. En revanche, il ne pouvait pas être trop « beau » parce que d’office ça le mettait dans le clan des vampires. Il fallait que ce soit un démon mais « moche », c’est pour cette raison qu’il a une corne tordue et une dent qui ressort mais il fallait quand même qu’il ait une bonne tête : c’est tout de même le héros. Il devait pouvoir faire peur à sa fille et qu’elle ne le reconnaisse pas facilement.

Cela étant, c’est l’adaptation de Zombillénium et on reste dans l’univers, tous les personnages autour sont quasiment les mêmes, avec quelques nouveaux. Et je voulais vraiment accentuer dans le film ce qui est vaguement évoqué dans la BD : les catégories sociales qui se transcendent en catégories de monstres. Il y a les zombies qui font les boulots en bas de l’échelle, et les vampires les tâches plus nobles, etc. Je voulais vraiment dans le film que chaque catégorie socioprofessionnelle soit un monstre et que ce soit clairement établi. Le seul, un peu différent, qui ne rentre pas dans ce moule, c’est Francis, le patron. Mais c’est un bon directeur qui se préoccupe presque plus des zombies que de ses congénères vampires… Son souci est que tout le monde tienne sa place. Il y a aussi dans le dortoir : l’étage vampire, l’étage loup-garou, l’étage zombie et effectivement les vampires et les zombies sont deux clans qui se tirent la bourre, avec Steven en leader charismatique des vampires.

Arthur des Pins : Gretchen la sorcière est peut-être le personnage le plus important. Graphiquement, on a passé énormément de temps avec Sabine (Superviseur/designer des personnages pour le film), à la « re-designer », la remodeler pour les besoins du grand écran. Je travaille traditionnellement en deux dimensions, et en 2D, un personnage de face et de profil est rarement le même. Le film étant en 3D, la difficulté est d’avoir un visage qui doit pouvoir être vu dans tous les angles, sans rompre avec l’image 2D de la bande dessinée. Pour le film, on s’est dit que ça serait très intéressant qu’elle passe d’un stade à l’autre : qu’au début elle soit une peste, une fille à papa, une petite « conne » obnubilée par Steven qui méprise les zombies, puis qu’elle se bonifie au contact d’Hector et des zombies. À la fin, elle a mûri, elle a presque un côté maternel avec Lucie, la fille d’Hector.

La fabrication du film
Arthur de Pins : La fabrication du film a vraiment démarré début 2015 et s’est achevée au printemps 2017. Le studio 2 Minutes à Angoulême a modélisé les personnages et fait le compositing. Pipangai à la Réunion a réalisé en gros 70% de l’animation. Dreamwall, filiale belge de mon éditeur Dupuis, a fait la modélisation des décors et des props et environ 30% de l’animation. Le pipeline de production s’appuie sur ZBrush pour la modélisation, Maya pour l’animation, Houdini pour les VFX et Fusion pour le compositing. On voulait garder le même rendu qu’en BD, on a donc opté pour Arnold avec un shader de cartoon dans Maya : Les personnages sont à plat, avec des ombres élégantes.

L’animation : de la 2D à la 3D

Alexis Ducord : La technique et le budget influencent le look des personnages. Pour Zombillenium pas de cloth ou autres simulations coûteuses en ressources : un poste en plus, c’est 3 à 4 personnes… Les vêtements sont donc moulants sauf pour Francis. C’est le directeur, son costume est important, on a bâti un outil particulier avec un rig pour animer par exemple les plis dans le pantalon. A part Gretchen, les personnages ont tous les cheveux attachés. Et Gretchen elle-même n’a que 20 grosses mèches, ce qui pose des problèmes quand elle bouge le visage en gros plan. Il a fallu rajouter des petites mèches isolées qui bougent, animées en keyframe. Quand Francis communique avec Lucifer par Skype, des flammes sortent de l’écran : nous les avons faites en 2D pour les animer en synchronisation avec les paroles et pour en faire un rendu plus simple qu’avec une simulation 3D.

Arthur de Pins : Nous avons travaillé longtemps pour obtenir un rendu avec les ombres au bon endroit sur les personnages : on a placé une lumière pour le menton, l’arète de nez est du cell shading, les clavicules sont texturées. Et en guise de contours pour les membres des personnages, nous avons utilisé des liserés. Le décor de Zombillénium est fait d’un seul bloc. Tout est connecté : le village, la campagne, le parc, son sous-sol à 9 niveaux qui finit en enfer. Evidemment, on s’est arrangé pour n’en charger qu’une partie par plan, suivant les besoins.

Le bonus, c’est qu’en plus du film, ce travail de design de Zombillenium est visible à la galerie Arludik à Paris, jusqu’au 11 novembre 2017. Une cinquantaine de dessins, esquisses et aquarelles vous y attendent : non seulement les planches ayant servi pour le design du film, mais aussi des œuvres originales,  « cartes blanches » données aux artistes du film.

Paul Schmitt, octobre 2017