DaVinci Resolve ou Premiere?

Faut-il vraiment céder aux appels de ceux qui abandonnent Adobe Premiere pour DaVinci ?

Depuis la sortie de la version 16 de DaVinci Resolve, nombreux sont les youtubeurs stars de la vidéographie à abandonner Premiere Pro, et à publier des vidéos à la gloire du logiciel de Blackmagic.
En cause : une meilleure intégration des outils de production vidéo, réunis tout-en-un au sein d'un seul logiciel, au prix largement plus attractif que la Creative Suite. Faut-il pour autant lâcher le célèbre logiciel de montage d'Adobe, pour lequel beaucoup d'entre nous ont un attachement particulier (c'est le cas de l'auteur de ces lignes) ? Petit tour d'horizon d'un problème de geeks.

Le prix et l'ancrage

Utilisé depuis bien longtemps dans la cour des grands de la post-prod, le célèbre logiciel d'étalonnage racheté par Blackmagic en 2009 a depuis largement étendu son champ d'action. En intégrant à l'intérieur même de DaVinci Resolve les logiciels Fusion pour le compositing, et Fairlight pour le son, Blackmagic offre maintenant l'équivalent de trois logiciels Adobe (Premiere, Audition et After Effects) tout-en-un. Du dérushage jusqu'à l'export final en passant par le montage, le titrage, et les trucages, tout peut maintenant se faire via l'interface DaVinci, et plus besoin de jongler entre différentes applications. Cette approche représente-t-elle le modèle d'avenir de la production vidéo ? Certains pensent effectivement que c'est le cas, mais il faut nuancer cet attrait.

Déjà, venons-en directement au nerf de la guerre : le coût. Resolve Studio et son prix fixe à 269€ HT semble bien moins cher que la Creative Suite, actuellement à 49,99 € HT par mois (notez qu'il existe une offre -65% pour le milieu éducatif). Sauf que sans Creative Suite vous n'avez pas Photoshop, sans parler de tous les autres logiciels créatifs de la Suite: les 2 offres sont difficilement comparables. Vous pouvez également vous abonner à Premiere tout seul pour 19,99 € HT par mois, mais dans ce cas là, Adobe devient moins attractif financièrement sur le long terme.  Ajoutez à cela que Resolve existe depuis maintenant pas mal d'années en version gratuite, qui est en fait presque la même que la version Studio sans les options les plus avancées : pas de réduction de bruit, ou de gestion de HDR (High Dynamic Range) ni encore d'outils pour stéréoscopie 3D.

Même en version Studio, Resolve se situe à un prix très abordable sur le marché, car le logiciel suit une stratégie d'intégration dans un éco-système Blackmagic plus large auquel s'ajoute souvent du matériel beaucoup plus cher, tels les surfaces de contrôle "mini panel" et "advanced panels", les moniteurs d'étalonnage ultra-précis ou les cartes de sortie vidéo. Mais même en "stand-alone", sans le gros matériel qui va avec, DaVinci Resolve est un logiciel ultra-puissant, autrefois réservé aux plus professionnels et maintenant abordable par le reste du public, particulièrement lers freelance

 

Interface et workflow

Pour l'interface, la partie montage de DaVinci n'est pas très éloignée de celle de Premiere, du moins sa prise en main en est plus proche que celle d'Avid par exemple. Les deux logiciels opèrent selon le principe de montage non-linéaire et l'on peut dans les deux cas appliquer des effets et des transformations soit sur chaque clip mais également sur toute la timeline de montage. Notons qu'au premier abord, il est assez amusant de constater qu'elle semble inspirée par celle de Final Cut Pro X, mais on lui souhaite certainement un meilleur destin.

 

Il faut également ajouter que, bien que similaire en utilisation, le mode de montage en multicam est plus stable sur Premiere, DaVinci ayant tendance à ralentir fortement quand les clips se font nombreux. Pour le reste, les interfaces des produits Adobe et Blackmagic sont radicalement différentes, et à ce titre, les grands expérimentés d'After Effects doivent être avertis : Fusion opère selon un système de "nodes", comme Resolve, et pas de calques 2D/3D. Si votre expérience se limite au système de calques, l'interface de Fusion vous paraîtra foncièrement étrangère et vous passerez un temps considérable à consulter les tutoriaux en tout genre avant d'arriver à faire quoi que ce soit.

Il en est de même pour le module Fairlight et le montage son dans DaVinci. Adobe offre de plus une liaison directe entre Audition et Premiere, un avantage considérable pour un travail sonore détaillé. Pour ceux allergiques à Dynamic Link (l'outil d'Adobe qui permet de jongler entre les différents logiciels d'Adobe sans réexporter et réimporter à chaque fois), Premiere a largement amélioré son jeu depuis l'introduction des outils simplifiés d'étalonnage ("Couleur Lumetri"), de nettoyage de son (le panneau "Audio Essentiel") et de création de titre (panneau "Objets Graphiques Essentiels") au sein même de Premiere il y a un peu plus de deux ans. D'une efficacité redoutable, ces outils permettent d'arriver à de très bons résultats en un minimum de temps, et on peut les utiliser en leur appliquant des masques et des tracking, des options autrefois réservées seulement aux logiciels d'étalonnage.

Mais malgré ces outils, dès qu'il s'agit de faire quelque chose de plus poussé, ou de plus détaillé, en milieu professionnel, on passe souvent  à un logiciel tiers. Le plus souvent, il s'agira de ProTools (logiciel d'Avid) ou Audition pour le son et de DaVinci ou Lustre pour l'étalonnage.

De même pour les trucages. L'animation de titres par exemple est efficace mais assez basique dans Premiere. Dès que vous voulez passer le cap supérieur, vous devez exporter votre projet dans After Effects, puis réintégrer votre création via le Dynamic Link (ou à l'ancienne avec un export en couche Alpha) dans le logiciel de montage.

C'est tout ce workflow basé sur une intervention successive de logiciels spécialisés que se propose de casser Blackmagic. Par exemple, pour les trucages on peut utiliser Fusion directement dans Resolve pour des animations graphiques poussées. Pour les freelances qui ont souvent besoin d'ouvrir plusieurs logiciels en même temps et qui font galérer la RAM de leur ordinateur, c'est un argument de taille. D’autant plus que la résolution des caméras augmente à grande vitesse et que cela demande des ordinateurs de plus en plus puissants.

Performance et proxies

Une des grandes différences notables entre les deux logiciels réside dans leur utilisation des différents processeurs de l'ordinateur. A savoir : DaVinci Resolve utilise le processeur de la carte graphique de votre ordinateur (le fameux "GPU") alors que Premiere Pro se base sur le processeur graphique de la carte mère (le "CPU"). Il en résulte que DaVinci gère un petit mieux la lecture de pistes et le rendu en temps réel, ainsi que le temps de rendu lors de l'export final, si l’ordinateur est équipé en fonction. Il faut à ce titre préciser que Resolve est considérablement plus gourmant en RAM et puissance de processeur. A l'inverse, Premiere honore toutes ses promesses avec juste 8Go de RAM.

Si les rushes natifs sont trop lourds, il faudra créer des "proxies", c'est à dire un double des clips originaux en résolution et débit moins élevés pour que l'ordinateur puisse les gérer plus rapidement. Le terme "proxies" se traduit par "médias optimisés" sur DaVinci, et "doublures" sur Premiere. La création de proxies est tout aussi efficace sur les deux logiciels. Elle est paramétrable à souhait selon le codec désiré dans les "paramètres de projet" sur DaVinci, et via la création de "paramètres définis" sur l'Adobe Media Encoder, qu'il faut ensuite ré-importer dans Premiere.

 

Il faut souligner que, les proxies ne sont pas créés instantanément, en quelques clics depuis les rushes natifs, mais font l'objet d'un traitement particulier. Dans un flux de post-production en équipe, qu'il s'agisse du documentaire ou de la fiction, les rushes natifs sont d'abord gérés par les data managers et les étalonneurs, qui apppliquent un étalonnage basique sur chaque pla, et l'exportent ensuite en résolution et débit largement inférieur afin que les monteurs puissent travailler avec le plus de fluidité possible. Ce n'est qu'une fois le montage du film fini que l'on remplace les proxies par les rushes natifs. Le système de création de proxies instantané sert donc principalement à ceux qui travaillent plus en solo qu'en équipe.

C'est finalement là que résident les limites de la philosophie "tout-en-un". Si tout rassembler au sein d'un même logiciel peut séduire les vidéastes freelance qui prennent eux mêmes en-charge toutes les étapes de leur production, il n'en va pas de même dans le milieu de la télévision, du cinéma ou de la pub, ou le flux de production est structuré par des rôles et des étapes bien définis. On le répète souvent, l'audiovisuel est avant tout un travail en équipe, et la séparation entre différents logiciels reflète la séparation des métiers et des spécialisations. L'avenir à long terme nous donnera peut-être tort mais on voit mal un monteur ou mixeur son se mettre à utiliser Resolve plutôt que Pro Tools (d'Avid) ou Audition. Il en va de même pour le montage vidéo, où une équipe traditionnelle est souvent composée de monteurs principaux et de plusieurs assistants travaillant tous au sein d'un même projet Premiere en même temps. Pour ce faire, ils ont besoin d'outils de travail en commun.


Conclusion :
Resolve trouvera sans doute son succès au delà de ses incroyables capacités d'étalonnage auprès des freelances, vidéastes youtube et autres touche-à-tout qui font tout eux-mêmes, qui ne sont pas forcément attachés à une certaine manière de faire, acquise après des années d'expérience d'utilisation, et qui n'ont pas besoin de la panoplie complète des logiciels de création en soutien de leur activité. Pour le reste, il y a fort à parier que la plupart des professionnels de la vidéo continueront d'apprécier une séparation des applications qui reflètent les spécialisations bien définies de tout un chacun au sein d'une équipe de production. "A chacun son métier", et dans une certaine mesure, cette phrase vaut aussi pour les logiciels de production vidéo.

Wilhelm Kuhn, décembre 2019