ENS Louis Lumiere : Francine Levy, directrice

Architecte de formation, après avoir enseigné pendant vingt ans la perspective et le graphisme numérique à l’école Louis-Lumière, Francine Lévy en est aujourd’hui la directrice depuis 2007. Enthousiasmée par le projet de rejoindre la Cité du cinéma de Luc Besson, elle nous livre ses réflexions sur le positionnement de l’école et ses orientations pédagogiques.

 

Réputation
« Nous avons plutôt une réputation d’école scientifique et technique qu’artistique. Or il n’y a pas de dichotomie entre ces deux domaines. L’un et l’autre se nourrissent des possibilités, des écarts et même des accidents de l’autre. Le directeur précédent (NDLR : Jacques Arlandis) avait déjà initié plusieurs réformes poussées par les professeurs dont je faisais partie. Aujourd’hui, je profite de cette énergie et je souhaite renforcer, avec l’aide des enseignants, cette orientation vers la création et l’expérimentation créative. »

Concours et type d’enseignement
« Nous avons modifié le programme de notre concours d’entrée, il y a déjà plus de 10 ans. Beaucoup de personnes restent pourtant sur deux principes erronées : premièrement que les épreuves de ce concours seraient essentiellement scientifiques, ce qui n’est plus le cas. Et d’autre part, sous prétexte que nous formons des techniciens pointus ce ne sont pas des artistes. Pour moi, ce sont sinon des artistes, du moins de précieux collaborateurs de création et donc, si on leur en laisse la possibilité, sans doute aussi des créateurs.

Entre technique et création
Entre technique et création, non seulement il n’y a pas de frontière, mais il n’y a pas de contradiction. Ce n’est pas parce que l’on manipule bien un outil que cela entrave la création. On peut ne pas souhaiter devenir créateur, ce que je comprends très bien, mais notre politique est de faire en sorte que l’école puisse susciter des vocations dans le champ de la création. Pour ma part, je pense qu’une école d’art est un établissement qui transmet de la connaissance, du savoir, dans le champ artistique. Elle ne peut pas prétendre former des artistes mais plutôt cultiver des individus et leur fournir des outils. Nous nous situons dans cette ligne. » « J’ai l’impression que si l’on est très bien compris et soutenu par les professionnels, ce sont parfois les autres acteurs académiques qui ne perçoivent pas toujours la réalité de notre école. Nous n’avons aucun problème avec la FEMIS mais c’est un bon exemple qui illustre la manière dont nous sommes parfois mal compris. La FEMIS a pour tutelle le ministère de la culture, comme les autres écoles d’art et d’architecture, alors que l’école Louis Lumière est sous la tutelle de l’Education nationale comme les lycées, collèges et les universités. La reconnaissance n’est pas à la hauteur de ce que nous produisons parce que nous sommes considérés non pas comme une école d’art mais comme une école technique. L’enseignement théorique est passionnant, mais je pense que la recherche appliquée, la transformation d’un outil est essentielle pour la création. La mise au point d’un calibrage d’écran, par exemple, pour des professionnels concernés peut contribuer à la création. Quand il y a plusieurs personnes qui travaillent sur des effets spéciaux, il est nécessaire d’étalonner les écrans sur lesquels l’équipe travaille. C’est bénéfique à la création de savoir utiliser au mieux son outil de travail. C’est la démarche de l’école : nous nous intéressons à la création et aux meilleurs moyens à mettre en œuvre pour qu’elle soit le plus pointue possible. Je pense être bien placée pour défendre ce point de vue, car je suis maître de conférence et en même temps, je défends mordicus la pratique de cette école, car je reste convaincue que si on ne passe pas par la pratique, on ne fait pas évoluer sa pensée. En tout cas, quelles que soient les évolutions de l’école, je suis toujours très heureuse et fière d’entendre d’anciens professionnels en parler en général avec un très bon souvenir. Pierre Lhomme, le grand chef opérateur, l’évoque avec beaucoup d’émotion en expliquant comment cela a été déterminant dans son parcours. Il y a toujours dans l’école le même esprit qui va perdurer quels que soient les changements de technologie : un équilibre entre la théorie, la conceptualisation et la mise en œuvre des hypothèses, la pratique, l’expérimentation. »

Evolution technique et filières traditionnelles
« Suite à plusieurs années d’investissements conséquents en matière d’équipements, nous sommes aujourd’hui plutôt bien dotés, mais il faut constamment effectuer des mises à jour, payer les consommables, remplacer le matériel. Cela pose donc le problème des nouveaux équipements. Cela dit, nous avons l’intention de préserver une pratique des filières traditionnelles, ne serait-ce que pour l’apprentissage des procédures. Avec le numérique, on a parfois l’impression que tout est possible et qu’il suffit de faire un pomme Z pour recommencer. Le rôle pédagogique du déroulé traditionnel dans lequel chaque étape a un sens est de permettre d’apprendre une méthode de travail, à la fois réfléchie et comprise. »

Recherche en photo
« En photo, la pratique du labo noir et blanc permet tout un travail de recherche sur les procédés alternatifs, ainsi que sur la conservation des images. Nous avons l’intention de contribuer à la résolution de ce problème qui se pose aux niveaux national et international. Il ne s’agit pas seulement de trouver des équivalences entre les procédures traditionnelles et numériques, mais de comprendre pourquoi les étapes se suivaient, ce qui justifiait l’enchaînement d’une étape avec une autre et au final quels sont les paramètres importants à prendre en compte. Le but est d’obtenir une image de qualité optimale quelles que soient sa taille et son utilisation. »

Une vision globale et des majeures
« Il y a de très nombreux professionnels qui interviennent chez nous soit de manière régulière, soit ponctuellement, en particulier dans les « majeures », c’est-à-dire des spécialités proposées aux étudiants en troisième année (voir l’encadré sur les majeures). Dans l’enseignement de ces spécialités, nous voulons être à la fois vigilants et réactifs. En nous appuyant sur l’expérience des professionnels et, en fonction de l’évolution observée dans les industries techniques, nous mettrons l’accent sur tel ou tel aspect. Par exemple, en cinéma, depuis trois ans, une majeure est consacrée aux VFX (effets visuels numériques). Dans la chaîne de postproduction, l’image risque de perdre son niveau de qualité initial. Il faut donc exercer une veille particulière tout au long des différentes étapes. Les étudiants qui ont choisi cette spécialité après leur diplôme, ont été embauchés immédiatement par les PME du secteur et de plus, ils ont progressé très vite car ils avaient une vision globale et une compétence technique reconnue. Une autre voie de spécialisation en cinéma est la production. Cela peut concerner des personnes qui ne se sentent pas totalement à l’aise avec le côté assez physique de la prise de vues. Elles deviennent des collaborateurs de choix pour les producteurs et intègrent facilement cette filière de la direction de production car elles bénéficient d’une connaissance de l’ensemble des questions liées à un tournage. Cette vision globale est très importante dans notre enseignement. En plus de leur spécialité, c’est ce qui va permettre aux étudiants de s’insérer à peu près n’importe où… s’ils sont malins bien sûr. (sourires) »

Rejoindre la Cité du cinéma de Luc Besson
« Nous avons un espoir et une grande perspective pour le futur : nous espérons que l’école pourra s’installer sur la Cité du cinéma qui va être créée par Luc Besson à Saint-Denis. Nous avons été invités par lui à ce rapprochement et demandé à notre ministère de tutelle un soutien pour ce projet qui nous permettrait de nous agrandir, ce dont nous avons besoin, car nous sommes ici un peu à l’étroit. Cette demande n’a pas été repoussée. C’est un projet difficile à concrétiser financièrement mais qui nous tient énormément à cœur. Notre pédagogie est prête à investir cette Cité du cinéma qui accueillera de très grands plateaux, des tournages internationaux, des loueurs de matériels, des sociétés de production. Peut-être cela serait aussi l’occasion pour nous d’ouvrir l’enseignement aux apprentis pour former des électriciens et des machinistes dont la profession a besoin. Nous souhaitons aussi organiser des universités d’été et recevoir des étudiants étrangers que l’on pourrait héberger sur place. Et cela veut dire aussi la possibilité de tourner d’avantage de films à l’école et de gagner ainsi en visibilité en particulier dans les festivals. Il s’agit aussi, dans le domaine de la recherche, de développer la colorimétrie et la sensitométrie et, dans le domaine du son, les techniques de captation sonore et de spatialisation. En conclusion, nous avons très envie de nous ouvrir et ce projet de déménagement constituerait une très bonne occasion. Et si le projet n’aboutit pas, nous mènerons quand même cette ouverture. »