Inception

Un film d’action, mais où la psychologie du héros prend la première place : Inception est bien dans la lignée de The Dark Knight et Batman begins.

Inception part du principe qu’il est possible de partager ses rêves – des rêves qui semblent totalement réels tant qu’on est  endormi. Dans cet état subconscient, nos secrets les plus précieux, enfouis au fond de nous-mêmes, sont prêts à être dérobés. Cobb (Leonardo Di Caprio) est un voleur de rêves : lui et son équipe « organisent » un rêve, y introduisent leur cible et lui dérobent alors l’idée recherchée. Un boulot « pas 100% légal » comme l’avoue  Cobb, et qui lui vaut nombre d’ennemis. Séparé de ses enfants depuis la mort de sa femme, Cobb est prêt à essayer l’impossible pour les retrouver : implanter une idée dans le subconscient de quelqu’un à travers le rêve.


Christopher Nolan avait envie de faire un film sur les rêves depuis une dizaine d’années. Un film qui, selon sa description, serait un mélange de James Bond(pour les scènes d’action) et de Matrix (pour ses aller-retours entre rêve et réalité). Notons aussi la similitude avec le récent Shutter Island de Martin Scorsese où le même Leonardo DiCaprio joue déjà un personnage hanté par la mort de sa femme et qui a du mal à distinguer rêve et réalité.

Warner Bros a donné les moyens ($160 millions!) à Christopher Nolan de réaliser son film, « un film d’action spectaculaire dont la dimension humaine serait très présente.» Un thriller tourné dans six pays sur quatre continents (voilà pour le côté James Bond). Un film de science-fiction où les bons vieux effets spéciaux sont privilégiés par rapport aux effets visuels numériques, lesquels n’interviennent que dans 400 plans.

La méthode Christopher Nolan
Christopher Nolan veut raconter des choses de manière visuelle, à la façon d’un Stanley Kubrick ou d’un Ridley Scott. Et en racontant plusieurs histoires parallèles, pour maintenir le spectateur sous tension jusqu’au climax final. Inception emboîte ainsi quatre (ou serait-ce cinq justement…) niveaux de rêves dans son intrigue : les personnages rêvent qu’ils rêvent qu’ils rêvent…  « Inception est un film extrêmement ambitieux et compliqué, résume Leonardo DiCaprio, avec chaque niveau préparant le suivant. Chris aime faire des films visionnaires, qui challengent l’audience avec des scripts compliqués et une forte connexion émotionnelle avec les personnages. »

Côté techniciens, Christopher Nolan retrouve plusieurs de ses collaborateurs, comme le directeur de la photo Wally Pfister, le chef-monteur Lee Smith, le superviseur effets spéciaux Chris Corbould, le superviseur effets visuels Paul Franklin et le chef cascadeur Tom Struthers. Plus toute une équipe de spécialistes pour les prises de vues aériennes ou sous-marines.

Inception varie ainsi les prises de vues : « Pour tourner la course-poursuite de Cobb courant dans les rues de Mombasa, explique le directeur de la photo Wally Pfister,  nous avons privilégié un style proche du « reportage de guerre », une marque de fabrique de Chris. Du coup, on a adopté plusieurs méthodes : on est monté à l’arrière d’un véhicule tout-terrain en filmant caméra à l’épaule, et puis roulé à travers les rues, tandis que Leo nous suivait en courant. On a aussi utilisé la Steadicam, on a tourné des plans larges aériens, et j’ai aussi filmé quelques images caméra à l’épaule en courant en marche arrière, tout en faisant en sorte que les plans soient bien cadrés.»
Pour la course poursuite sur les pistes de ski du Canada, 85% des plans ont été filmés caméra à l’épaule, des plans larges en hélicoptère complétant le tableau.

Christopher Nolan se voit aussi comme un chef d’orchestre déléguant beaucoup à son équipe, laissant par exemple le montage à Lee Smith avec un détachement qui relève aussi de l’humour british : « C’est au chef monteur de rassembler tout ce matériau et d’en faire quelque chose de regardable… »

Effets spéciaux et VFX
Paul Franklin, comme les autres piliers de l’équipe, a déjà travaillé avec Christopher Nolan sur The Dark Knight et Batman begins, et est par ailleurs un des fondateurs du studio londonien Double Negative qui a traité la majeure partie des effets visuels d’Inception comme ils l’avaient déjà fait pour Batman begins et pour The Dark Knight. C’est le cas en particulier de la scène qui se passe à Paris, où Cobb entraîne sa nouvelle recrue Ariane (Ellen Page) dans un rêve où Paris se plie en deux.

Cependant, Christopher Nolan a une forte préférence pour les effets spéciaux : «Bien que l’histoire parle de différents états oniriques, il fallait qu’on croie à  l’univers qu’on avait créé car, à partir du moment où on est dans le rêve, on le considère comme réel. Du coup, que l’on filme  une course-poursuite en ski, ou une scène sous l’eau, ou qu’on simule l’apesanteur, j’ai toujours cherché à repousser les limites  de ce qui était possible de tourner en prises de vue réelles.» Mission accomplie sur ce film : tout pouvant arriver dans un rêve, les immeubles bougent et une partie d’un rêve se déroule même en situation d’apesanteur.

 L’un des décors les plus complexes était un long couloir d’hôtel capable de tourner à 360° pour simuler l’effet de l’apesanteur : la production a fait fabriquer dans un studio-hangar de Londres un couloir de 30 mètres suspendu sur huit immenses anneaux situés à égale distance les uns des autres et alimentés par deux énormes moteurs électriques. Une fois opérationnel, le décor pouvait atteindre 8 tours par minute. Et pour filmer dans ce décor, il a fallu monter une caméra télécommandée sur un plateau qui se  déplaçait sur des rails situés sous le plancher.

Il y avait aussi une chambre d’hôtel pivotante qui posait  ses propres difficultés : la pièce était moins longue, mais il n’y avait que deux anneaux, ce qui fait que chaque anneau avait  plus de poids à supporter..Et pour éviter qu’acteurs et cascadeurs ne se blessent sur des objets durs, il a fallu utiliser des matériaux doux comme cuir et tissu pour habiller les murs, avec du rembourrage en-dessous, et des poignées de portes et appliques se cassant au premier choc.

Il y avait en réalité deux versions du couloir : la première qui était pivotante, et la deuxième, construite à la verticale. L’acteur Gordon-Levitt devait être muni d’un harnais et d’un filin pour les scènes dans le couloir  vertical, ainsi que dans la chambre d’hôtel où il était censé tourner suspendu en l’air. La simulation de l’apesanteur a également influé sur le travail du chef-costumier Jeffrey Kurland  : «On ne pouvait pas avoir de vêtements trop longs pour ces scènes-là, car en apesanteur, ils se mettraient à flotter. On a dû fabriquer des lacets en fil de fer pour qu’ils ne pendent pas  et   attacher la cravate des acteurs pour qu’elle ne tombe pas tout le temps.»

Tout comme le couloir vertical, la construction de la cage d’ascenseur de l’hôtel représentait un vrai défi. En partant de l’infrastructure existante de Cardington, l’équipe a construit  la cage à l’horizontal, le long d’un mur du hangar. Pfister a ensuite orienté la caméra de  telle sorte qu’elle donne l’impression  que l’ascenseur se déplace verticalement. Et pour parfaire l’illusion, les câblages devaient rester constamment tendus.

Autre scène surréaliste : une course-poursuite en voitures sous la pluie dans les rues de Los Angeles, interrompue par un train de marchandises qui déraille en pleine rue. Première difficulté : simuler un temps pluvieux et sa lumière alors qu’il fait grand soleil. Le chef machiniste, Ray Garcia, a repéré la trajectoire du soleil sur une journée et, grâce à des nacelles élévatrices, son équipe a utilisé des drapeaux noirs sur le toit des immeubles comme des persiennes pour empêcher le soleil de filtrer sur le  plateau. Et sans voie ferrée, comment utiliser un train ? Le chef cascadeur Tom Struthers a eu l’idée d’installer un moteur de locomotive sur le châssis d’une remorque de tracteur. Malheureusement, l’écartement des essieux était encore trop petit. Le  coordinateur des véhicules Tyler Gaisford explique : «On a étiré le train de transmission et le groupe propulseur et on ajouté une  tablette en acier et renforcé les suspensions pour supporter le poids supplémentaire, car au final, cela représentait près de 11 tonnes.» Le train a été reproduit d’après un véritable train de marchandise, et certaines pièces ont été fabriquées  grâce à des moulages en fibre de verre réalisés à partir de véritables pièces ferroviaires, afin que tout ait l’air authentique.

L’explosion du bistrot parisien où Cobb et Ariane débutent leur rêve commun est un exemple de mix de techniques pour arriver à un résultat spectaculaire. Ne pouvant utiliser de vrais explosifs dans ce décor réel, l’équipe d’Inception a utilisé de l’azote sous pression pour créer l’illusion d’une série d’explosions qui pulvérisent d’abord les boutiques du coin, puis le café tout entier. Tout le décor avait été construit en matériaux légers pour la sécurité des acteurs. L’équipe de Wally Pfister a utilisé six caméras afin de tourner la séquence sous  différents angles. Par ailleurs, elle a été filmée à la vitesse de défilement la plus élevée possible : «Chris Nolan voulait que l’on  voie les explosions dans un ralenti poussé au maximum, en fonction de la luminosité extérieure,» précise le chef-opérateur. «On a donc tourné à environ 1000 images par  seconde, soit plus de 40 fois la vitesse normale de 24 images/seconde.»  Grâce à ce ralenti extrême, les débris de l’explosion semblent rester en suspension quelques instants avant de retomber. Double Negative a ensuite accentué cet effet, en rajoutant fumée et débris virtuels, notamment les morceaux de ciment, de verre et d’autres objets coupants qui auraient  mis en danger les acteurs et les figurants présents sur le plateau,

Les commentaires des visuels ci-contre vous donneront encore plus de détails sur le travail d’effets spéciaux  dans ce blockbuster au budget hollywoodien. Mais plus qu’un simple film d’action, Inception est surtout un thriller psychologique où le personnage principal Cobb et sa quête pour résoudre ses problèmes captent l’attention. Un fil conducteur qu’il partage avec les deux Batman qui ont rendu Christopher Nolan célèbre.

Paul Schmitt, juillet 2010