Laurent Brett créateur de génériques

Le générique, c’est surtout réconcilier graphisme et storytelling.

Non, Laurent Brett n’est pas tombé tout petit dans le cinéma, il n’y a trouvé sa voie que progressivement.  Etudiant à l’EFAP (l’école des attachés de presse) en 1991, il découvre le montage lors d’un stage chez le studio de postproduction Duran et décide d’arrêter ses études en 1992 pour travailler en postproduction dans le studio Bandits, notamment sur les clips de Jean-Baptiste Mondino. Il s’y forme  « sur le tas » aux trucages, au montage, à la pub, et s’implique aussi artistiquement au côté des graphistes dans les projets qu’il supervise. Passé freelance en 1995, il travaille sur de nombreux clips pour Florent Siri, assume la direction artistique des trucages sur son film Nid de Guêpes (2001) et lui propose d’en faire le générique sous After Effects.

La carrière de « créateur de génériques » de Laurent Brett est lancée. Sa renommée grandit avecOtage/Hostage, réalisé à Hollywood par Florent Siri à la demande de Bruce Willis lui-même, où Laurent Brett réalise un générique de 2’ en full 3D, avec un look inspiré de Sin City, dont il assume lui-même la DA et le compositing, le  studio  Specimen assurant la modélisation 3D. Gérald Pirès lui confie ensuite le générique des Chevaliers du Ciel produit par Mandarin Cinéma. Puis il lui présente Michel Hazanavicius pour travailler sur  les OSS 117 ; Laurent Brett y réalise un générique minimaliste, tout en 2D pour le premier (OSS 117, Le Caire Nid d’Espions) et un générique différent,  axé sur les comédiens pour le second en split-screen (OSS 117 Rio ne répond plus) inspiré du travail de Pablo Ferro sur L'affaire Thomas Crown. Il montera et fera en plus le design des six sequences en "split-screens" (multi-ecrans animés)  du film, près de 12’ du film. Sur The Artist, il crée également le générique, les intertitres, typos, des affiches et montera une longue séquence truquée, là-aussi pour un total de 12’ environ du film. 

« Le monde du cinéma est plutôt fermé au graphisme, mais s’est rendu compte de la plus-value qu’un générique peut apporter, explique Laurent Brett. Souvent un réalisateur aux 2/3 du montage s’aperçoit qu’il a un problème de narration au début  du film : problème de compréhension, besoin de marquer une époque, etc.  Le générique remédie à cela en servant d’introduction, en redonnant le contexte de façon différente. »

« Je dialogue d’abord avec le réalisateur pour en tirer le maximum de références, d’envies, puis je lui propose un éventail visuel, en accord avec le budget défini.  L’idée est d’être un partenaire artistique plutôt qu’un prestataire technique, mais cela dépend aussi de quand on arrive dans la chaîne… Et avec le cinéma numérique, tout est devenu plus compliqué : la notion de délai n’existe plus, le réalisateur retravaille son film jusqu’à la dernière minute. Heureusement, avec l’arrivée de la vidéo HD dans les appareils reflex comme les Canon 5D, j’ai regagné en autonomie de création, de tournage et en qualité d’image pour s’insérer dans le film même avec un budget réduit. »

Laurent Brett monte son studio Brett&Cie en 2013, en s’appuyant d’abord sur le studio Sabotage puis sur la CGEV, un des studios auquel il confie volontiers 3D et VFX. La structure compte deux graphistes permanents dont un, Jérémy, spécialiste en typographie, et quelques freelance et stagiaires suivant les projets. Avec en principaux chantiers en 2014 le générique de la série  Transporter  la serie saison 2 (produite par Atlantique Productions) et celui de Pourquoi j’ai pas mangé mon Père de Jamel Debbouze. Dans le premier cas, Laurent Brett a proposé un storyboard (voir galerie ci-jointe) avec des « style frames », cad des images combinant visuels et graphismes pour montrer l’intention artistique. Son concept a été approuvé en 10 jours : un cas de figure idéal que Laurent Brett aimerait voir plus souvent…  Plus typique : Laurent Brett est intervenu sur Pourquoi j’ai pas mangé mon Père en bout de course, en redessinant les personnages en 2D pour ce générique en relief stéréoscopique.

« Le réalisateur du film ne vient généralement pas sur mon tournage car il me fait confiance: on se met d’accord sur une maquette, une animatique, et on se retrouve au stade du montage et on finalise les sequences ensemble. Je travaille sur After Effects et Cinema 4D pour les effets et le compositing, mais j’externalise quand même toute la modélisation et l’animation 3D chez un studio spécialisé comme CGEV. Les commanditaires sont surtout français, viennent de mon réseau personnel bâti au fil des ans, même si on répond à des appels d’offres par exemple pour des séries.
Les budgets sont serrés; la vision du générique par un producteur reste trop souvent « de la typo sur l’image ». Heureusement, certains réalisateurs voient la plus-value d’un générique pour leur film et font la demande aux producteurs pour débloquer des budgets plus importants, ce qui permet par exemple de tourner avec un chef opérateur pour un rendu plus cinématographique » 

Brett&Cie se positionne sur tous les segments du générique, y compris typo et animation, et travaille souvent sur des trucages précis à l’intérieur des films : split screens, écrans d’ordinateurs, ce que Laurent Brett appelle le screen design. Comme pour le générique, il s’agit de mettre le graphisme au service de la narration, de faire passer une idée de façon graphique et ludique.
C’est le cas pour la série Transporteroù Brett&Cie a réalisé 80% des images « créatives », et aussi pour le film Transporter 3 où ils ont réalisé 20’ d’écrans… même si après montage il n’en subsiste plus qu’une minute dont la moitié flous car en arrière-plan. Un point capital pour le screen design : l’information doit passer dans l’écran, de façon graphique mais en restant dans des codes visuels connus du public. Par exemple, un écran de hacker aura une interface spéciale, moins graphique qu’un PC normal, et une caméra de surveillance donne des images tramées comme une cassette analogique et qui buguent.

Plus généralement, le travail de Brett&Cie s’insère dans les contraintes données par l’univers visuel du film. Pour United Passions, un film sur l’histoire de la FIFA sorti directement en vidéo en 2014,  Laurent Brett et son équipe ont travaillé sur la typo et la datation des événements avec une sémantique légère pour un résultat à la fois simple et élégant.

« La culture du générique se redéveloppe en France mais il y a encore du chemin. J’aimerais qu’on retrouve l’unité graphique des films comme dans  les années 60, avant que le marketing ne prenne le pas sur la création. Maintenant, la communication est gérée par le distributeur, pas le producteur, et du coup affiches et bandes annonces sont très différents. Mais nous faisons de plus en plus de logos de films aussi comme pour le prochain Nos Futurs de Rémi Bezançon (sortie : 22 juillet 2015). Et j’aimerais élargir notre palette au motion design pour des marques, au brand content. »

Paul Schmitt, mai 2015