Tokyo! de Michel Gondry, Leos Carax et Bong Joon-Ho

Un film patchwork où Tokyo sert de  lien commun entre trois moyens métrages de Michel Gondry, Leos Carax et Bong Joon-Ho. Michel Gondry, une fois de plus, émerge du lot.

Tokyo devient ici le symbole de la mégapole oppressante et déshumanisante, où chacun vit sa vie coupé des autres. Tokyo, selon les producteurs du film, «  est une ville condamnée à se développer sans cesse. La croissance économique a changé la ville à un rythme exponentiel. Cette métropole gigantesque est un décor de film en soi. Ce n'est ni une ville calme ni une ville posée, elle déborde d'une énergie vertigineuse. »

Des trois réalisateurs invités par les producteurs Masa Sawada et  Michiko Yoshitake, Michel Gondry tire le mieux son épingle du jeu. Pour raconter l'histoire d'un jeune couple provincial monté à la capitale et qui se perd (à tous les sens du terme), Michel Gondry les filme dans des lieux exigus ou des rues étroites, sans ciel, pour souligner l'enfermement où ils sont. Puis la jeune femme lâche prise mentalement. Et comme dans La science des rêves (2006), les effets visuels se superposent à la prise de vue réelle pour montrer le voyage intérieur du sujet. Ici, la jeune femme s'évade de cette réalité qui la dépasse en se transformant en chaise. Une parabole étrange, mais qui atteint son but en nous questionnant.

Le deuxième film, signé Leos Carax (le retour!), ne nous a pas vraiment convaincu. Un SDF appelé Merde, aux allures de diable occidental, sort des égouts pour terroriser et tuer un maximum de gens. A son procès, son avocat français (interprété par Jean-François Balmer) traduit ses borborygmes, ce qui lui permet ainsi d'insulter les Japonais (des « créatures avec des yeux en forme de sexe feminin »). La fin du film laisse entendre que Merde est immortel et sera bientôt à New York. Les Inrocks se sont pâmés devant cette « fable », on vous laissera juger vous-mêmes…

Bong Joon-Ho a décidé de nous raconter une histoire d'amour, celle d'un « hikikomori » (reclus volontaire). Cet ermite moderne vit enfermé dans son appartement depuis plus de dix ans,  réduisant au strict minimum tout contact avec le monde extérieur. Lorsque la livreuse de pizza s'évanouit chez lui durant un tremblement de terre, l'impensable arrive, il tombe amoureux. Peu après il apprend que la jeune fille devient hikikomori à son tour. Osera-t-il franchir la porte qui sépare son appartement du reste du monde pour aller la retrouver? La réponse est oui... Cette histoire, certes un peu trop prévisible, est non seulement une étrange d'histoire d'amour, elle évoque Tokyo telle que la voit le cinéaste : « L'impression de vertige que l'on éprouve, un peu comme lorsque tout le monde disparaît d'un coup des rues encombrées de Shibuya... Les mouvements et les expressions des gens sur les passerelles piétonnes qui semblent imperceptiblement sous contrôle... Un chat isolé qui se tient debout dans la petite ruelle d'un quartier silencieux.»
Derrière la difficulté de vivre à Tokyo, Bong Joon-Ho célèbre la poésie discrète d'une mégapole.

Paul Schmitt, octobre 2008