(Interview actualisée en juin 2003)
> philosophie de la formation
> quels métiers
> concours
> troisième année
> formation en production d'animation
> polyvalent ou spécialisé ?
Quelle est la philosophie de la formation en animation ?
Éric Riewer : "J'ai participé le 8 mars 2003 au "Carrefour de l'Animation" organisé au Forum des images à Paris. Il y avait une série de présentations et de tables rondes consacrées aux écoles françaises d'animation (Gobelins, Supinfocom, Emile Cohl, ENSAD, ESI…) et on avait l'impression - pour ceux qui aiment bien les idées sans finesse ni nuance - qu'il y avait d'un côté les écoles formant des artistes et de l'autre celles qui forment la main d'œuvre des studios.
Eh bien, j'ai dit avec une certaine vigueur, voire brutalité, qu'il est temps de mettre fin à cette séparation et à cette volonté de cantonner les jeunes passant par Gobelins et Supinfocom à l'industrie, tandis que les autres seraient les grands artistes.
Les étudiants qui passent par les Gobelins ne sont pas moins artistes que ceux qui ont suivi une filière de création en animation, peinture, ou sculpture. Ici, il faut connaître les vraies bases classiques de l'art, du dessin, du respect du volume, les lois du mouvement, tout cela avec une finalité artistique qui sera de raconter une histoire et de montrer les émotions des personnages.
Il est vrai qu'il y a beaucoup d'écoles d'art où la mission principale est de former des personnalités et qu'en simplifiant à l'extrême, la mission d'écoles comme Gobelins, attachée à une chambre de Commerce et d'Industrie, consiste surtout à transmettre un savoir. Mais les deux peuvent se rejoindre - et c'est ce que faisons à Gobelins depuis plusieurs années. Nous voulons former des personnalités artistiques très fortes sans négliger pour autant l'acquisition d'un savoir, d'une vraie compétence professionnelle.
Nous ne sommes pas une école d'art comme les autres, parce que nous avons cette double vocation. Nous faisons épanouir les talents, autant que les autres. Mais ils sortent de l'école avec un savoir-faire et une vraie compétence professionnelle pour justement vivre de leur passion. Car il ne suffit pas d'avoir la passion pour vivre dans le secteur, étant données les mutations d'organisation et de financement."
Quels sont les métiers de l'animation auxquels vous préparez ?
Éric Riewer : "Pour bien comprendre les orientations de l'école, il faut faire un rapide historique et préciser quelle est la situation de l'animation en France.
La formation principale du département existe depuis 25 ans, elle a beaucoup évolué avec les années. Elle s'est d'abord appelée "technicien en dessin animé", puis "assistant animateur". Ces deux appellations étaient assez limitatives. Ces techniciens montaient en grade pour devenir intervalliste, animateur et éventuellement chef-animateur. A l'époque, la formation des Gobelins était complétée par un long apprentissage en entreprise.
Aujourd'hui, les choses ont beaucoup changé. La phase d'animation est devenue beaucoup trop chère pour être maintenue en France dans la plupart des cas, et les studios français la sous-traitent à l'étranger. Nous assistons à un mouvement de délocalisation de l'étape d'animation en Asie ou en Europe de l'est, même si la France reste le troisième producteur mondial de dessin animé (après les USA et le Japon) et joue un rôle important pour tout ce qui est pré-production : lancement des projets, scénarisation, création de personnages et de story-board, etc.
A côté des grands studios comme Disney à Montreuil ou du cas particulier du studio Folimages à Valence qui maintiennent l'animation en France, il y des plus petites structures qui peuvent le faire comme Bibo Films et Je suis bien content qui réalisent des spots de publicité, des pilotes de série, ou des court-métrages. Mais, si la série est vendue, la vraie production, au moins en ce qui concerne l'animation, sera menée ailleurs. Par conséquent, dans ce contexte, des élèves sortant des Gobelins et uniquement formés au métier d'animateur ne pourraient pas trouver du travail.
Notre choix est de donner de multiples compétences à nos élèves sans pour autant nous écarter de notre compétence de base qui reste l'animation, c'est-à-dire la capacité à faire vivre un personnage, à travers un jeu, une gestuelle, l'expression des émotions. Mais, pour permettre aux jeunes de s'adapter à l'ensemble des postes de l'animation, nous élargissons leurs compétences en story-board, layout, création de personnages et maîtrise des outils numériques. Ce que nous espérons bien sûr, c'est que de plus en plus de projets reviendront en France, ce qui donnera du travail aux animateurs français."
Pourquoi le concours est-il si sélectif ? (25 places pour 800 candidats)
Éric Riewer : En France, chaque année, il y a de plus en plus de jeunes qui rêvent de faire de l'animation. En fait, très peu possèdent toutes les qualités nécessaires pour en faire un métier. Et puis, comme nous l'avons dit, les débouchés sont limités. C'est la raison pour laquelle nous sommes très sélectifs en particulier sur la maîtrise du dessin. Ensuite, il faut savoir que sur un groupe de 25 élèves qui ont intégré l'école, il y a peut-être une ou deux personnes qui auront le rare talent pour aller très loin comme animateur. C'est réservé au "happy few" qui ont un sacré don, une passion, mais aussi ce "je-ne-sais-quoi" de plus.
La formation en animation a été portée à 3 ans et ceci sera effectif pour la promotion qui a débuté en 2002.
Qu'est-ce que cela apporte de nouveau dans le cursus ?
Éric Riewer : "Cette formation de 3 ans, qui a démarré en 2002, prendra effet pour la promotion 2004-2005. Elle poursuit un double objectif.
Pendant les deux premières années, tous les élèves suivront le même cursus, pour acquérir une polyvalence et être en mesure de travailler à toutes les étapes majeures de la fabrication : design, création, story-board, layout, animation, outils numériques, postproduction.
Cela leur permettra de maîtriser toute la chaîne de fabrication et de réaliser, en troisième année, les films du Festival d'Annecy. Mais, surtout cette polyvalence est indispensable aujourd'hui dans un secteur professionnel qui le demande et dans lequel, comme je l'ai déjà dit, les productions peuvent changer : il n'y a jamais un projet avec exactement la même structure de financement et de travail. La personne qui désire faire son chemin dans ce métier doit pouvoir s'adapter à plusieurs styles graphiques différents, des modes d'organisation et mêmes des postes différents. Il ne sera pas toujours animateur, car il n'y a pas beaucoup d'animation en France et devra parfois se contenter d'un autre rôle de création."
La troisième année est donc consacrée à la spécialisation ?
Éric Riewer : "Nous proposons pour la troisième années plusieurs spécialisations vers lesquelles les étudiants seront orientés en fonction de leurs résultats et en tenant compte de leurs souhaits.
D'abord une spécialisation en animation "traditionnelle" pour ceux qui souhaitent pousser encore plus loin l' "acting", le "timing", le layout, le story-board et le design. Ces gens-là vont intéresser à mon avis les projets dans lesquels il y a de l'animation, en France et à l'étranger, et ils vont continuer à faire la réputation de Gobelins pour l'animation. Ces étudiants atteindront un niveau d'animation encore plus élevé que celui que l'on obtenait à l'école auparavant.
Ensuite, une spécialisation vers l'animation 3D qui intéressera sans doute le plus grand nombre des étudiants. À la différence de certaines écoles, il ne s'agit pas pour nous de l'apprentissage d'un outil 3D. Ces derniers mois, nous avons eu la chance d'accueillir un animateur de Pixar comme intervenant. Il a décidé de devenir professeur et a contacté quelques 600 écoles dans le monde. Sa conclusion est que la plupart de ces écoles forment à un logiciel mais pas à l'animation dans sa spécificité avec les notions d'acting et de timing. La raison en est qu'elles ne possèdent pas les compétences pour enseigner ces notions.
À Gobelins, nous nous concentrons vraiment sur l'animation de personnage. Nous ne sommes pas une école de polyvalence en 3D comme Supinfocom, par exemple. Il s'agit bien d'une spécialisation en 3D pour les étudiants qui ont appris l'animation dans les deux premières années. Et là, il y a du travail : les prochains projets de longs métrages dans les grands studio américains sont tous des projets 3D. Nous encourageons les gens qui ont le désir de faire de l'animation car, en ce moment, il y a des besoins et pas encore beaucoup d'animateurs spécialisés dans les personnages en 3D."
Quelles sont les autres nouveautés du département d'animation ?
Éric Riewer : "Pour la première fois cette année, nous recevons un "élève d'échange" de l'école CalArts de Los Angeles - fondée à l'origine par la famille Disney et qui est la plus réputée en animation sur le continent nord-américain. Il reste avec nous pour la période de production des films d'Annecy de janvier à juin. C'est très important pour les écoles ; on espère que cela va continuer dans les deux sens.
Autre nouveauté qui a démarré en novembre 2002 : en partenariat avec l'université de Marne la Vallée, nous avons mis en place une licence professionnelle en gestion de production en cinéma d'animation et vidéo. C'est une formation pour les futurs managers du secteur, élargie à tout le domaine institutionnel, documentaire et télévision. Elle a été créée parce que l'on sait que le cinéma d'animation n'a pas assez de débouchés à offrir à une promotion de 25 personnes. Cette formation s'adresse à des personnes qui doivent connaître toute la chaîne de production, qui ne seront pas forcément des "créatifs" mais qui deviendront chargés ou directeurs de production ou encore chefs de studio."
Comment voyez-vous le marché du travail pour l'animation ? Est-ce qu'il vaut mieux être polyvalent ou spécialisé pour y trouver un emploi ?
Éric Riewer : "Concernant ce dernier point, il faut savoir que les étudiants qui vont sortir de Gobelins auront justement cette double carte de visite : polyvalent et spécialisé et cela sera pour eux un atout.
Il faut savoir qu'en France c'est la polyvalence qui est recherchée et ceci s'explique par la petite taille des structures dans lesquelles il est utile de pouvoir mettre les gens à différents postes, à différentes étapes. Dans les grandes structures américaines, c'est tout le contraire : si vous êtes embauché chez Pixar au poste d'animateur, votre niveau en rendering ou en modélisation importe peu. Ils veulent voir vos animations. Il faut être clair dans sa tête vis à vis des types de postes. Si je postule pour tel poste, c'est pour accomplir certaines tâches. La spécialisation de la troisième année devrait aider les étudiants à clarifier leur propres idées, en tout cas c'est cela que nous visons.
Le secteur est toujours en grande difficulté. Surtout dans le jeux vidéo, mais en télévision également : le CNC a noté une baisse de 20% des projets qui démarrent. On espère tous sortir de cette période creuse d'ici 2004 ou 2005.
Pour ce qui est des étudiants de Gobelins, il se trouve que le bilan de placement de la promotion sortie en juin 2002, réalisé six mois après la sortie, donnent 100% d'insertion - à un moment précis - pour les 25 anciens étudiants qui sont maintenant dans les métiers de l'animation."
> voir aussi, sur la 3D, l'interview de Christine Depraz