M - Nouvelles du Monde Renversé
Après les œuvres ludiques et interactives de l’exposition à succès 5 Milliards d’années, le Palais de Tokyo poursuit dans les sciences, en proposant cette fois de plonger le visiteur au centre de la physique et de la thématique de renversement. Nouvelles du monde renversé regroupe cinq expositions personnelles, d’artistes plasticiens établis ou en voie de le devenir, parmi lesquels Michel Blazy et Tatiana Trouvé, mais aussi deux projets spéciaux de l’artiste Peter Coffin.
Mobile, accessible et en constante mutation, ainsi se veut le Palais de Tokyo qui convie à sa nouvelle exposition ceux que l’art loufoque et farfelu n’effraie pas. En effet, si l’exposition précédente offrait au visiteur la possibilité d’aborder la notion d’un espace-temps élastique par le biais d’œuvres toujours plus interrogatives et cocasses, Nouvelles du monde renversé fait cette fois appel au raisonnement logique ou irrationnel du regardant.
Michel Blazy propose avec Post Patman de questionner le caractère éphémère de l’œuvre d’art à travers le phénomène de pourrissement et de putréfaction. Gisent ça et là l’onde d’une goutte d’eau, non plus liquide mais tout simplement en fibre de coton hydrophile figée, comme l’eau d’un lac transie. Plus loin, un mur recouvert de farine de riz cuite colorée à la betterave, pèle littéralement, assimilable à un derme grossi qui aurait abusé du soleil. Après cette curieuse desquamation, l’artiste provocateur se joue des usages élémentaires, en exposant quatre bennes à ordures à la manière de sculpture qui vomissent une mousse vaporeuse. L’idéal de la poubelle propre tient ici sa revanche. Un ver dur (2000) semble s’être égaré comme au beau milieu d’un désert, ne laissant à la vue que son improbable squelette…en biscuit pour chiens. Intervenant sur le vivant et l’organique, Michel Blazy laisse entendre au spectateur que tout meurt, dégénère pour disparaître enfin si l’artiste ne s’en préoccupe plus. L’aube d’un art mortel et jetable serait-elle ici au goût du jour ? Toujours est-il que l’exposition de cet artiste presque chimiste ne se ressemble pas d’une semaine à l’autre, les bactéries et autres micro-organismes grignotant malignement les œuvres jour après jour.
Déstabilisation et usages désuets : les objets de Tatiana Trouvé
Si Michel Blazy laisse périr ses instruments de création, Tatiana Trouvé utilise, elle, des médiums bien durables pour s’amuser à déjouer la perception du visiteur. Introduite par de petites portes forçant à la courbette involontaire, l’exposition Double Bind sème sur plus de 400m² un mobilier déstabilisant dont l’échelle le rend inutilisable. Polder (2006) soit des appareils de musculations ancrés dans le sol, entourés de rochers clairs et habillés de cadenas de cuivre, balisent avec absurdité le circuit de l’exposition. La perception du visiteur étant mise ici à rude épreuve, à lui de retrouver son chemin et sa propre logique de l’équilibre.
La folie en portrait: Joe Coleman
Précédé par le petit monde miniature en apesanteur de T.Trouvé, l’exposition du peintre Joe Coleman prolonge l’histoire des Nouvelles du monde renversé. Flirtant audacieusement avec l’univers et les cerveaux des plus grands psychopathes de la planète, il dresse leurs portraits traditionnellement occultés, à la manière des pages enluminées d’un grimoire terrifiant. Mi-sorcier, mi-exorciste, Joe Coleman renverse les rôles en peignant avec détail les péripéties de ces détraqués, reprenant la technique et le style des retables de la Renaissance.
Héritier de Jérôme Bosch, il offre finalement le dernier moment de gloire malsaine à ceux qui ont marqués de leurs crimes l’histoire de l’humanité et ses angoisses.
Le monde insolite de Peter Coffin
Enfin, Peter Coffin s’amuse du rassemblement décalé d’états virtuels et de micronations où se juxtaposent les drapeaux et les blasons de ceux qui rêvent d’indépendance et de pouvoir avec Etats (faites-le-vous-même). L’autre versant de Peter Coffin est celui d’une serre en polycarbonate (Untitled, Greenhouse) où des plantes vertes attendent sagement les sons et mélodies de musiciens renommés. Il s’agit non plus ici de parler aux plantes, bien de les faire danser pour mieux pousser…
Entre dialogues insensés et farces artistiques, le Palais de Tokyo poursuit sa volonté d’élargir le champ de la créativité et de repousser à outrance ses limites. Nouvelles du monde renversé, une exposition, elle, bien réelle, à découvrir avant que les bactéries et la logique du temps n’aient tout dévoré avant vous.