Mondrian/De Stijl

Un artiste et un mouvement qui ont projeté l’abstraction dans nos vies : architecture, design, graphisme en sortent modernisés.

Mondrian, tout le monde connait. Ses rectangles de couleurs primaires bleue, jaune ou rouge délimités par des lignes noires sur fonds blanc sont toujours avec nous : Yves Saint Laurent lui a dédié une de ses collections en 1965, Etienne Robial s'en est inspiré pour son habillage de Canal+ dans les années 90, et packaging de gel capillaire ou façades d’immeubles continuent de s’en inspirer.
On connait un peu moins De Stijl, le mouvement artistique néerlandais auquel appartenait Mondrian. Ensemble, ils jouent un rôle crucial dans l’avènement de la modernité au sortir de la première guerre mondiale. Le Centre Pompidou à Paris leur consacre une exposition rétrospective, la première du genre, à ne pas manquer pour qui s’intéresse à l’art moderne et à son influence sur les « arts appliqués » (une notion justement rejetée par De Stijl) que sont l’architecture, le design et même le graphisme.

Mondrian

Né en Hollande en 1872, sa peinture met tôt l’accent sur les structures des paysages, les lignes des arbres ou les grilles que forment canaux et champs. Puis, à partir de 1908, sous l’influence de peintres comme Van Gogh ou Matisse, des couleurs intenses et chaudes envahissent ses paysages. Et en 1911, c’est le déclic : Mondrian découvre le cubisme de Braque et Picasso. Installé à Paris de 1912 à 1914, il se convertit à une vision analytique où les motifs se résument à des traits délimitant des arêtes : « Je construis des lignes et combinaisons de couleurs sur des surfaces planes pour exprimer une beauté générale. Je veux rester aussi près que possible de la vérité et tout en extraire jusqu’à ce que j’atteigne au fondement des choses» (Mondrian, 1914). Une philosophie héritée des penseurs théosophiques en vogue à l’époque qui prônent une vision de l’unité cosmique de la nature. A l’abri de la guerre en Hollande de 1914 à 1918, Mondrian poursuit sa recherche d’abstraction : ne restent du motif qu’un enchevêtrement de points, de barres et de traits cruciformes noirs.

En 1917 et 1918, avec le mouvement De Stijl et Theo van Doesburg, ils vont ensemble théoriser le « néoplasticisme ». Cette nouvelle mise en forme se fonde sur un langage plastique universel et privilégie les lignes droites horizontales ou verticales délimitant des rectangles-plans de couleur primaire (rouge, jaune, bleu) ou de « non-couleur »  (blanc, noir et gris). Mondrian continuera ses recherches jusqu’à sa mort en 1944 à New York, toujours fidèle aux lignes horizontales et verticales, rejetant les notions de centre et de symétrie, faisant de chaque tableau non une œuvre en soi mais un fragment qui répond à un autre, une partie d’un tout : « L’art est la recherche de l’harmonie, cad du rythme de la vie » (Mondrian)

De Stijl et Theo van Doesburg
Le mouvement artistique De Stijlet la revue du même nom sont fondés en 1917 par Theo van Doesburg qui sera l’âme de ce mouvement jusqu’à sa fin en 1931. Avec Mondrian, les artistes de De Stijl prônent l’abstraction géométrique contre la subjectivité de l’art. Pour peindre, on part de la figure, on en tire les lignes géométriques et on en fait une « abstraction analytique » en niant les formes avec des bandes de papier et en ne faisant réapparaître que les lignes noires. Perspective et profondeur disparaissent, seuls restent lignes ou plans de couleur, comme en témoignent Composition VIII (La vache), 1918, de Theo van Doesburg ou Composition, Marteau et Scie, 1917, de son complice Vilmos Huszar. Un langage formel que ces artistes pensent plus approprié pour analyser notre époque industrielle.
Et pour De Stijl, il n’y a pas d’arts appliqués, il n’y a qu’un art total pensé en extension de la peinture. Le vitrail, par sa nature, apparaît vite comme un support idéal  pour une analyse de la figure qui privilégie cloisonnement des plans et combinaison de couleurs élémentaires. La couleur s’impose comme un élément constitutif du design ainsi que de l’espace architectural, intégrant murs et plafonds. Dans les années 20, et particulièrement dès 1923 lors de l’exposition De Stijl à Paris, l’espace est repensé : un mur est un plan et un écran, il n’est plus fonctionnel comme support, et l’architecture s’ouvre, s’oriente vers l’extérieur. La maison Schröder à Utrecht réalisée en 1924 par Gerry Rietveld avec l’active collaboration de la maîtresse de maison en restera l’exemple le plus achevé : murs et panneaux coulissent pour un plan transformable et rythmé par les couleurs. En quelque sorte le contraire du Bauhaus, avec qui De Stijl entretient pourtant des liens d’amitié : des fonctions dans un espace ouvert, au lieu d’une boîte avec des fonctions.
On est déjà loin des préoccupations de Mondrian, absorbé par sa seule peinture. Le fossé se creusera encore plus à partir de 1925: Theo van Doesburg, influencé par les travaux du mathématicien Poincaré sur la 4ème dimension, se base sur des figures mathématiques, les « Tesseracts », représentant  des cubes à quatre dimensions, pour introduire l’espace-temps dans ses œuvres. La diagonale, une hérésie pour Mondrian, s’affirme alors comme l’élément dynamique, la coupure qui permet d’articuler et projeter les dimensions de l’espace-temps sur un seul plan. Les artistes de De Stijl étendent ces conceptions à l’aménagement d’espaces publics et théorisent de nouveaux concepts urbains caractérisés par le mouvement face à l’immobilisme. A l’Exposition internationale des Arts décoratifs à paris en 1925, l’architecte Frederick Kiesler conçoit ainsi City in Space, une installation qui se veut un prototype de ville dans l’espace (et qui est reconstituée pour cette exposition au Centre Pompidou). Georges Vantongerloo de son côté imagine des mégastructures (Ville gratte-ciel, 1930).
Notons que la dernière grande réalisation emblématique de De Stijl est en France à Strasbourg : à l’appel de Hans Arp et Sophie Taueber-Arp, Theo van Doesburg va repenser avec eux de 1926 à 1928 le café-cinéma-danse de l’Aubette en en faisant un espace ouvert et multifonctions. Il y met en œuvre son principe de 4ème dimension, de dimension  temporelle qui se rajoute à celles de l’espace au travers de lignes diagonales qui séparent des plans de couleur pour créer un « contre-mouvement ». La perception visuelle de l’espace est déconstruite par le jeu de la polychromie, et l’écran de cinéma avec ses images mobiles participe de cette mise en mouvement.

Pour Frédéric Migayrou, directeur adjoint du Centre Pompidou et commissaire de l’exposition sur De Stijl, cet art social et ouvert sur la ville a eu une influence forte sur l’architecture, le design mais aussi le graphisme (suisse en particulier) et même la publicité en introduisant les notions de minimalisme, d’ouverture et l’utilisation du mur comme écran de projection, comme support de communication.
L’exposition, jusqu’au 21 mars 2011 au Centre Pompidou à Paris, est en fait une double exposition : la partie consacrée à Mondrian (salles 5 à 16) s’emboîte dans celle consacrée à De Stijl (salles 1 à 4 et 17 à 22) pour mieux en souligner points communs et divergences.

Clémentine Gaspard, janvier 2011