Combines

Artiste aussi prolifique qu’imprévisible, Robert Rauschenberg, volontiers accolé au groupe des Nouveaux Réalistes, confirme au Centre Georges Pompidou son amour et sa fascination pour l’objet en général. A travers une exposition à la scénographie claire, le visiteur aura le plaisir de s’interroger sur les œuvres tragi-comiques et satyriques d’un artiste tout aussi accessible qu’attachant.


Première œuvre qualifiable de Combines, Minutiae (1954) accueille le visiteur qui pénètre dans la galerie 2 du Centre Georges Pompidou. A l’image d’un petit théâtre auquel il ne manque que les marionnettes, cette œuvre facétieusement bariolée en trois dimensions rassemble les éléments chers à Rauschenberg : textiles, bois et miroirs. Dépassant la perception communément acquise des Combines de Rauschenberg - assemblages divers d’objets du quotidien indéniablement imprégnés d’un passé néo-dadaiste -, cette exposition se présente comme le journal intime de l’artiste, ouvert aux yeux de tous, livrant en pâture des œuvres incroyablement riches de sens et d’accords chromatiques aux spectateurs. Rauschenberg sollicite, tel un chef d’orchestre, les objets trouvés, leur attribuant une mission à la fois sociale et critique. Des lampes intermittentes font teinter et irradier leurs ampoules, des miroirs capturent les reflets pour ne jamais les rendre, tout dans l’exposition Combines, ranime la moindre inertie dans l’œil du regardant, comme pour lui hurler à l’oreille que chaque parcelle de la vie recèle des secrets inestimables.
La présence du corps, sous l’apparence déguisée de manches de chemise et de fines dentelles, se répète tout au long de ses œuvres, intégrée de la même manière que la peinture à l’huile par Rauschenberg. Une peinture qui lui sert littéralement de colle, unissant entre eux chacun des éléments formels et tridimensionnels faits prisonniers sur chaque Combines. Le jeu de l’objet se poursuit, mettant perpétuellement en branle sa stabilité. Ainsi dans Interview (1955), une brique suspendue à une corde fait mine de se balancer, telle l’araignée au bout de son fil. De récupérations en seconds usages, les assemblages, souvent volumineux et inattendus suivent la démarche constante de l’esthétique de la coulure. Rares sont les œuvres de Rauschenberg épargnées par les macules de peinture, celle-ci apparaissant incessamment sur chaque œuvre de l’artiste qui suggère le déplacement du visiteur, lui dissimulant certaines facettes des œuvres. L’impression de pénétrer physiquement dans un nouvel espace se précise à la vue d’Interior (1956) où une boiserie sculptée a été plaquée, juxtaposée à un chapeau que l’on aurait nonchalamment déposé sur un porte manteau invisible. Le caractère horizontal ramené à la verticale constitue par ailleurs une tendance d’ordre presque pulsionnelle dans l’œuvre globale de Rauschenberg, ainsi qu’on le découvre avec Bed.
Mais c’est également l’obsession de l’enfermement qui prédomine, jaillissant sous la forme de cages, boites, valises, caissons, que l’artiste semble avoir cherché à combattre en les rendant transparents ou ajourés. L’humour, principalement pince sans rire– involontaire selon l’artiste lui-même – se manifeste tôt ou tard dans les œuvres de Rauschenberg, limité néanmoins par une géométrie constante basée sur le rectangle, la croix, le carré ou encore le cercle. Rencontrer l’artiste n’est par ailleurs plus une hypothèse, puisque le Centre Georges Pompidou invite le visiteur à s’immerger dans le noir, afin d’écouter l’interview de l’artiste en 1964. Jovial, réservé, presque timide, c’est le portrait de Rauschenberg qu’il nous manquait, dans lequel chaque réponse donnée est ponctuée d’un sourire certes gêné, mais séduisant. L’occasion de découvrir, aussi, la collaboration de cet artiste en tant que décorateur-costumier avec le chorégraphe Merce Cunningham pour son ballet Pelican. A cette occasion, le visiteur ne se lassera pas de voir l’artiste essayer les costumes qu’il a lui-même crée, surtout lorsque ceux-ci se portent avec patins à roulettes…
Judicieusement placée à la fin de l’exposition, Pantomine(1961) est l’œuvre qu’il suffirait de voir pour comprendre la démarche de cet artiste, ami proche de Jean Tinguely. Une toile, bien évidemment habillée de peinture à l’huile, voit naître sur elle divers mouvements dignes d’un ouragan, que le regardant devine comme ceux issus du chiffon de Rauschenberg - son outil majeur. Sur chaque côté de la toile, deux ventilateurs métalliques ont été scellés, branchés. Leurs fils descendent le long de celle-ci, tels des cordons ombilicaux, pour trouver les prises dans lesquelles s’insérer. Le réel, la vie naît bel et bien de l’art, https://travelwithgirls.com/ comme nous l’expose l’artiste. Rassemblant une cinquantaine d’œuvres, cette exposition nous livre le parcours toujours contemporain de cet artiste, dans lequel Damien Hirst et ses animaux captifs semble avoir puisé quelques influences (Monogram, 1955-1959)…
Une rencontre à faire précéder ou succéder, à celle d’Yves Klein, lors d’un après-midi délibérément "Nouveau-Réaliste" au Centre Georges Pompidou!

Agathe Hoffmann - 11/2006
Jusqu'au 15 janvier 2007.
Centre Pompidou, Paris 4e.
Tous les jours, sauf le mardi, de 11h à 21h.