Eileen Gray

Un pilier de la modernité en design.

Eileen Gray a choisi son destin, un choix qui n’était pas évident à son époque. Née en 1878, en pleine époque victorienne, dans une famille bourgeoise d’Irlande, elle était programmée pour devenir épouse et mère de famille, sans plus. Mais dès 1900, avec l’appui bienveillant de sa famille, elle part à Londres étudier l’art, études qu’elle poursuit à Paris à partir de 1902. Paris, capitale de l’art à l’époque, restera le port d’attache d’Eileen Gray pour le reste de sa vie ce qui ne l’empêchera pas de voyager assidûment à travers le monde pour assouvir sa curiosité. Peintre, Eileen Gray  sera initiée à l’art du laque (objet d’art laqué asiatique) par le maître japonais Seizo Sugawara  avec qui elle ouvre un atelier en 1910, tout en ouvrant un atelier de tissage de tapis dont elle dessine les motifs.  Ses meubles laqués lui valent l’attention de clients comme le couturier Jacques Doucet.

Décoratrice en vue dans les années 20, ayant ouvert une galerie, la galerie Jean Désert où elle expose ses propres créations, Eileen Gray va alors se convertir de l’Art déco au style moderne jusqu’à devenir membre fondateur de l’Union des Artistes Modernes en 1929. De 1926 à 1929, elle entreprend avec l’architecte Jean Badovici la construction et l’aménagement d’une maison à Roquebrune-Cap-Martin près de Menton sur la Côte d’Azur. Cette maison, qui répond au doux nom de E 1027 (un jeu de mot sur leurs initiales), reste sa réalisation architecturale la plus célèbre, avec son axe vertical (l’escalier en colimaçon donnant accès au toit-terrasse) et ses plans horizontaux (les deux niveaux de la villa). Les espaces intérieurs y dialoguent avec l’extérieur par le biais de différents systèmes coulissants.

Elle conçoit ensuite et fait construire non loin à Roquebrune sa propre maison Tempe a Pailla, qui sera achevée en 1935 et malheureusement très endommagée pendant la guerre. Elle y développe un mobilier prototype : meuble mobile pour pantalons, siège-escabeau-porte-serviettes, banquette amovible, armoire extensible en accord et opposition à la fois avec les principes modernes tels ceux de Le Corbusier. Sa seconde maison, Lou Pérou, près de Saint Tropez, deviendra sa résidence d’été après son achèvement en 1954 jusqu’à sa disparition en 1976. En réaménageant cette bastide abandonnée, Eileen Gray fait encore évoluer son style, privilégiant sobriété et respect du lieu.

Pièces de mobilier, photographies, maquettes, etc. documentent le parcours d’Eileen Gray au Centre Pompidou, jusqu’au 20 mai 2013. Designer protéiforme, Eileen Gray a su travailler le laque et le tissage aussi bien que le tube de métal chromé ou le  verre.  Elle a aussi su évoluer avec bonheur, cultivant une distance par rapport aux modes et au monde, suivant son propre chemin. Elle n’a jamais industrialisé ses créations qui restent toutes des pièces uniques, préoccupée uniquement par le prochain projet : « Le futur projette la lumière, le passé seulement des nuages ». Cette devise de l’écrivain  Julien Green était une de ses favorites. Eileen Gray n’était pas seulement une designer et artiste moderne, mais surtout une femme moderne.

Clémentine Gaspard, mars 2013