Quels sont les objets emblématiques de la Régie ? Et pourquoi ?
La RATP fête en 2008 ses 60 ans d’existence. Plus d’un demi-siècle de vie pour une entreprise de transports en commun qui a toujours placé le design au cœur de sa démarche. Mais quels sont les signes emblématiques de la RATP ? Bouche de métro Guimard, poubelles, tickets… ? Comment faire évoluer ces signes ? Les remplacer ? En introduire de nouveau ?
Rencontre avec Yo Kaminagai, responsable de l’unité Design & Projets Culturels du département Espaces et Patrimoine et vraie mémoire du patrimoine de la RATP.
Le patrimoine de la RATP
Entreprise historique, la RATP n’a vu le jour qu’en 1949 mais elle est l’héritière de la CMP et la STCRP nées au tout début du XXe siècle. Présente dans le quotidien de millions d’usagers franciliens, cette Régie Autonome des Transports Parisiens a inscrit dans la mémoire collective un nombre impressionnants de signes emblématiques comme autant de madeleines de Proust qu’il faut gérer, réinventer, faire naître, renaître ou même disparaître. Une tâche complexe et passionnante que nous détaille Yo Kaminagai.
"La RATP n’est pas une entreprise fétichiste", prévient d’emblée Yo Kaminagai. Ce passionné de design, ingénieur de formation, est entré à la RATP presque comme on entre en religion. Il sait tout de la Régie, de son histoire, de ses choix créatifs. Et aujourd’hui, c’est lui qui choisit et fait mettre en œuvre les modifications du design des espaces et des matériels de l’entreprise. Il fait du "management du design".
Yo Kaminagai, qui n’est donc pas fétichiste, livre sa définition du patrimoine "C’est ce qui a de la valeur et se transmet, c’est quand la création permet l’émergence du beau : nous faisons un tri pour garder ce qui est beau et fait du bien. La création et le patrimoine permettent l’échange".
Et Yo Kaminagai d’expliquer comment le tri est fait entre tous ces objets, tous ces signes graphiques qui vivent au quotidien sur le réseau de la RATP. "Ce qui est utile et de valeur, on garde et on rénove. Ce qui est utile mais sans valeur, on rénove ou on reconçoit. Ce qui est non utile et sans valeur, on jette ou on vend. Enfin, ce qui est non utile mais de valeur, on garde dans un carton pour un musée de la RATP qui est en projet. Le patrimoine d’aujourd’hui s’appuie sur celui d’hier."
Naissance des signes
"En comprenant pourquoi les choses ont été faites, on conçoit mieux pour demain", tel est le mantra qu’aime répéter Yo Kaminagai.
Prenez le fameux "carrelage du métro", ce carreau blanc rectangulaire qui se vend par tonnes dans tous les magasins de bricolage pour les salles de bain ou les cuisines des particuliers. Il n’a pas été choisi par hasard. Et s’il est aujourd’hui emblématique de la RATP, c’est pour de bonnes raisons. "Le carreau biseauté blanc, choisi dès 1900 et la création de la première ligne du métro, répondait à plusieurs critères", explique le Monsieur Design de la Régie. "Blanc, brillant, il faisait hygiéniste, ce qui était rassurant pour des voyageurs qui répugnaient un peu à descendre sous terre, au pays des rats et des égouts. Par ailleurs, sa forme biseautée reflète très bien la lumière, rare à cette époque dans le métro, et absorbe les irrégularités du mur. Entre 1900 et 1955, il a équipé toutes les stations."
Après celle du carreau biseauté, Yo Kaminagai aime raconter l’histoire des fameuses "entrées Guimard". "Elles devraient en réalité être baptisées entrées Bénard", s’amuse-t-il en racontant l’histoire d’Adrien Bénard, emblématique de la CMP, l’ancêtre de la RATP, aux heures glorieuses du métropolitain, qui castaHector Guimard, star de l’Art Nouveau, pour ses bouches de métro. "Il avait besoin d’une signature", insiste le très actuel responsable de l’unité Design & Projets Culturels.
Signes et compréhension
Yo Kaminagai souhaite aussi évoquer l’apparition des numéros, puis des couleurs des lignes de métro et de bus. "Le numéro s’est imposé pendant les grandes grèves de 1989 : annoncer au micro dans le brouhaha les conditions de circulation de la ligne Porte de Clignancourt-Porte d’Orléans n’était pas très simple ni audible. C’est là que les numéros se sont imposés." Ensuite sont venues les couleurs, dans un grand scepticisme ambiant au sein de la RATP. "Mais avec les noms de terminus, les numéros et les couleurs, on offre l’information à différents publics", plaide Yo Kaminagai. "Quand on multiplie les signes, on multiplie les chances d’être compris."
La compréhension passe aussi par le graphisme. La signalétique, le plan du métro, tout cela est emblématique et très soigné. "Notre logo date de 1992, il fonctionne bien. Quant à notre système signalétique, il a été repensé, lui, en1998 par BDC Conseil (qui a également réalisé les plans du réseau). Nous utilisons deux polices de caractères créées par Jean-François Porchez : la Parisine. Et il est amusant de voir qu'elle se vend très bien, ce qui prouve sa lisibilité."
Signes d’hier et de demain
Outre les entrées Guimard, les poinçonneurs, le ticket, les sièges en station de métro ou le fameux M, la Régie s’enrichit au quotidien d’objets, de signes graphiques et de sons emblématiques qui l’identifient et la caractérisent auprès du public. "Un nouvel objet vient s’insérer au milieu d’autres, très anciens. Nous devons donc raisonner à très longue échéance – certains métros roulent depuis 50 ans : il y a toutes les chances que ce nouvel objet doive durer très, très longtemps", explique Yo Kaminagai.
Et quels sont-ils, ces signes de demain ? "Le tching du pass Navigo est un de ces nouveaux signes", expose le Monsieur Design de la Régie. "Pour que ce son sorte bien d’équipements très frustes, cela n’a pas été une mince affaire !" Autre "signe de demain", l’ensemble des mobiliers du tramway. "En 2013, il y aura neuf lignes de tramway, avec un équipement qui n’est juste fonctionnel : le tram, qui est joli, apporte du beau dans des banlieues pas toujours favorisées, entraînant un effet de gentryfication", analyse Yo Kaminagai.
Entre mission de service pour une entreprise qui n’a pas encore quitté le giron de l’Etat, et intérêt quasi génétique pour le design, la RATP fait à la fois de l’aménagement du territoire en cherchant à améliorer l’esthétique urbaine et de la prospective design. En effet, la Biennale d’Architecture de Venise, cette année, a sélectionné quatre bâtiments de la RATP – dont des bâtiments techniques – pour leur qualité. "Nous essayons de parler au cerveau droit des gens", explique Yo Kaminagai, plutôt fier. "La RATP n’est pas juste un transporteur", conclue-t-il. "En descendant dans le métro ou quand ils prennent le bus, les gens entrent dans notre univers. Leur parcours doit être cohérent et mémorable. Notre travail, c’est aussi un design d’expérience."