Marcel Breuer

Design ou architecture, acier tubulaire ou béton, un incontournable créateur de l’époque moderne.

Un bâtisseur, à tous les sens du terme. D’abord de meubles et d’aménagements intérieurs, puis d’architectures monumentales comme le siège de l’Unesco à Paris (1958, avec Bernard Zehrfuss et Pier Luigi Nervi) ou le Whitney Museum of American Art (1966) à New York que beaucoup considèrent comme son chef d’œuvre.
De sa carrière aussi : « J’ai eu l’intention d’emprunter une voie qui mènerait vers des volumes toujours plus importants. Raison pour laquelle je me suis tout d’abord concentré sur des éléments plus petits comme les chaises et d’autres meubles… et suis ensuite passé des meubles aux habitations privées... » explique-t-il déjà en 1932.

Une déclaration qui signe aussi son ancrage dans la modernité du XXème siècle, avec cette volonté de construire un avenir meilleur partagé par ses amis du Bauhaus ou encore son contemporain Le Corbusier. Au final, il aura traversé le siècle (1902-1981) en inventant nombre de designs et concepts que nous trouvons familiers maintenant : fauteuils en tubes d’acier ou d’aluminium, parois et volumes de bétons en porte-à-faux, etc.

 La Cité de l’Architecture et du Patrimoine lui consacre une très didactique rétrospective jusqu’au 17 juillet 2013. Nous vous en livrons en résumé les images commentées ci-contre détaillant ses principales réalisations, et ci-dessous un abécédaire résumant ses apports au design et à l’architecture.

ACIER TUBULAIRE

« L’invention » des meubles en tubes d’acier de Breuer à partir de 1925 est une contribution majeure à l’histoire du design. Le tube d’acier devient le symbole de la construction moderne d’ameublement et s’adapte parfaitement à l’idéal fonctionnel et esthétique du design des années 1920. Il permet la production en série, la standardisation, le fonctionnalisme et l’hygiène – autant de concepts et de valeurs essentielles pour le modernisme international.

ALUMINIUM
Au début des années 1930, Marcel Breuer commence à appliquer le principe de la chaise à porte-à-faux (cantilever) en tubes d’acier à d’autres matériaux. L’élasticité et la souplesse des chaises en acier tubulaire sont maintenues en doublant les pieds d’un nouveau modèle en aluminium. Il fait breveter, en 1932, ce principe structurel appelé “base pour sièges résilients”. En   1933, il conçoit des applications pratiques de son idée et en 1933-34, une collection de meubles comprenant chaises, fauteuils, sièges inclinables, tables d’appoint et de services, est commercialisée en Suisse dans les magasins Wohnbedarf. Les fauteuils et les chaises sont également proposés dans une version à prix modique réalisée en lamelles de métal. Contrairement aux attentes de Breuer, le mobilier en aluminium est un échec commercial en Suisse, en Allemagne et en France, la production sera arrêtée.

BOIS MASSIF
Fortement inspiré par les créations de Gerrit Rietveld du groupe néerlandais De Stijl, Breuer innove en concevant un fauteuil qui joue du contraste entre la structure en bois et le dossier en toile. Le designer explore ce principe de conception lors de la réalisation de sa pièce d’apprenti pour la « Haus Am Horn », conçue pour la première exposition du Bauhaus à Weimar en 1923. Les meubles de la salle de séjour et de la chambre présentent une véritable dissociation entre la structure en bois et l’assise et le dossier en cuir. Après 1925, Breuer n’a plus dessiné de siège en bois massif mais a cependant utilisé ce matériau, par la suite, pour certains meubles de rangement, comme les étagères murales du Ventris Apartment de Londres en 1936   ou son bureau personnel « New Canaan » créé en 1951 et dernier de ses meubles à avoir été produit en série en 1963.

CANTILEVER/PORTE-A-FAUX
Le concept utopique du « gratte-ciel horizontal » d’El Lissitzky marque l’apparition du cantilever ou porte-à-faux en tant que motif moderniste. Cette fantaisie architecturale constructiviste incarne la croyance dans le progrès et l’enthousiasme pour la technologie qui dominaient aux débuts de Marcel Breuer et qu’il utilise et interprète aussi bien pour son mobilier (chaise Cesca 1926) que plus tard pour son architecture, les exemples les plus spectaculaires étant le Whitney Museum, le Begrisch Hall et le grand hôtel Le Flaine (Haute Savoie).

CONTRE PLAQUÉ

En 1935,  Marcel Breuer commence à travailler les lamelles en bois cintré. Il dessine une série de meubles pour la manufacture Isokon, spécialisée dans les produits en contreplaqué à l’esthétique moderne. La pièce la plus célèbre de la collection, la chaise longue Isokon, rappelle la structure de la chaise longue en aluminium créée quelques années auparavant, tout en présentant des formes plus fluides.En 1937, aux États-Unis, il débute la production en petite série de meubles en bois lamellé.

ESPACES ET BETON
Sa rencontre avec l’ingénieur italien Pier Luigi Nervi (avec qui il collabore sur le projet de l’Unesco dans les années 1950) lui fait découvrir le béton armé, matériau de construction qui offre des possibilités de conception encore inexplorées. Cette découverte  lui permet de créer, définir et caractériser de nouvelles formes d’espaces. Marcel Breuer recourt à un large éventail de moyens structurels pour créer de grands espaces, dans les églises en particulier : murs en béton « repliés » à St John, parois hyperboliques-paraboliques à St. Francis, grille orthogonale de poutres en ferrobéton pour la chapelle du monastère de Baldegg. La méthode de construction est un élément essentiel de ces espaces.

FORMES CRISTALLINES
Les formes cristallines, que Breuer conçoit à partir des années 1950, n’ont pas de précédent dans son vocabulaire du design. L’ébauche de ces formes peut être repérée dans les manteaux de cheminée en béton à angles vifs de ses maisons et dans le traitement sculptural des intérieurs d’église. Appliquées principalement aux façades, les formes cristallines en béton préfabriqué servent tout d’abord à abriter diverses canalisations. Ils font également office d’écran solaire et donnent à la façade présence physique et profondeur. L’aspect du bâtiment varie en fonction du soleil et de l’angle de vue de l’observateur. Produits en série, les éléments de façade de forme cristalline correspondent à l’un des grands principes de Breuer : « L’architecture doit créer des formes qui supportent la répétition ».

MAISONS
Ses maisons particulières démontrent l’intérêt constant de l’architecte pour ce type de bâtiment. Elles peuvent être classées selon quatre catégories : maisons multiniveaux, maisons binucléaires, maisons longues et enfin villas. Des solutions novatrices sont dégagées par les plans, le choix des matériaux, la définition des espaces intérieurs et extérieurs et le rapport du construit à l’environnement.

RECTANGLE COUCHE
Le rectangle couché (côté long dans l’axe horizontal) est l’un des éléments de design le plus novateur utilisé par Breuer dans nombreux intérieurs avant de le transposer dans ses architectures. Cette forme géométrique de base apparaît en 1927, dans la résidence Piscator, et ce type de rangement devient un élément récurrent dans les aménagements des intérieurs de Breuer. Il reprendra ce motif en architecture 23 ans plus tard dans la maison Tompkins, sous la forme de percement allongé en façade, il l’appliquera à d’autres maisons avec des variantes.

TEXTURES
Marcel Breuer joue des textures pour animer de vastes surfaces, généralement en utilisant des formes géométriques comme les bandes unies qui apparaissent à maintes reprises dans son oeuvre. Celles-ci peuvent suggérer les couches, les séries, la répétition mais aussi la variation. Breuer recourt aussi à d’autres schémas comme les combinaisons de rectangles et de carrés, de trapèzes ou de nids d’abeilles. Ces textures témoignent de l’intérêt que Breuer portait aux matériaux et en particulier aux qualités visuelles et tactiles de leur surface pour créer une large palette de contrastes entre couleurs pures et tons nuancés, lumière et obscurité, faces rugueuses et lisses, douces et dures, naturelles et artificielles

VOLUMES ET BATIMENTS PUBLICS
D’apparence monolithique, ces bâtiments de Marcel  Breuer comportent souvent des espaces négatifs, des cavités, des incisions intérieures et des saillies étonnantes. Ils sont caractérisés par des façades homogènes percées de rares ouvertures. Ces volumes en béton brut et pierre naturelle se distinguent par leurs proportions et leurs qualités sculpturales.

Paul Schmitt, mars 2013