22 propos de Peret sur l'art, la pub, le graphisme, le style,David Carson, la typo et le zen...

Nous avons rencontré le graphiste et illustrateur espagnol Peret à l'occasion de l'exposition organisée par galerie Anatome au printemps 2002. Voici, alphabétiquement présentées, quelque 22 réflexions libres et décapantes... avec en contre-point visuel des travaux graphiques de Peret : affiches, couvertures et illustrations pour des magazines.

Propos recueillis par Thierry Le Boité

Art

Les règles du jeu sont différentes pour l'art et le graphisme. Un artiste développe un monde personnel, que l'on apprécie ou pas, et il va jusqu'au bout de sa démarche. Les graphistes eux sont des mercenaires au service des messages des autres. Mais je pense que c'est un métier passionnant dans la mesure où l'on peut apporter en plus d'un savoir-faire, un esprit critique et une touche personnelle.

Artiste

A mon âge, je ne veux pas devenir artiste et je n'ai pas de complexe par rapport à cela. Je me sens en fait plus libre qu'un artiste. Je fais ce que je veux et je n'ai pas de compte à rendre aux critiques.

Classiques

Dans le texte qui accompagne l'expo "Vivamus" (printemps 2002 à la galerie Anatome), j'ai cité quelques graphistes qui font partie des classiques, dont l'on peut plus ou moins aimer le travail, mais dont on ne peut contester la valeur de l'oeuvre : en particulier la poésie de Depero, de Cassandre, de Grignani, de Rodchenko ou de Tomaszewski; la rigueur de Müller-Brockmann, de Zwart ou de Lubalin; la causticité de Grapus ; l’humour de Glaser ; la puissance de Cieslewicz. Ils ont créé des images belles, attractives ou provocantes dans lesquelles il se passe quelque chose et non pas comme dans celles de David Carson (voir ce nom).

Cliché

Il faut s'efforcer de ne pas contribuer à l'abêtissement des gens. Plutôt que d'utiliser des images faciles et démagogiques, je préfère prendre le risque de ne pas être compris. De toute façon, on ne peut pas plaire à tout le monde ni être compris de tous. Cela dit, j'aime beaucoup travailler avec les clichés, qui sont connus de tous et que tu peux tourner à ton avantage.

Commande

J'ai choisi de travailler pour de petits clients et pour des produits qui m'intéressent et qui concernent la qualité de la vie ou qui sont liés à la culture, bien que la culture soit présente partout. D'ailleurs c'est plus mon travail qui est choisi par les commanditaires que moi qui choisit mes clients.

David Carson

Au nom de la typo on voit beaucoup d'horreurs. Comme ce que fait David Carson que je ne supporte pas. Je trouve ces recherches plastiques intéressantes mais pour moi il s'agit plus d'une démarche d'artiste qui joue avec des typos qu'un travail de communicateur. C'est très difficile par exemple de définir un travail de Carson en termes de message. De toute façon, on ne peut rien attendre d'un graphiste qui, dans son CV, se vante d'avoir été champion de surf... S'il avait été premier prix de poésie, cela pourrait passer mais de surf...

Déchet

En 1996, j'ai reçu une commande pour décorer le Spin, un restaurant situé au sommet de la plus haute tour de Shanghai (Chine). Avec une équipe de graphistes qui comprenait Raúl, Marc Taeger et Flavio Morais, nous avons conçu 14 mètres de vitrines avec pour parti pris d'utiliser des déchets. Je voulais rappeler la poésie de l'objet inutile pour contre-balancer cette admiration exagérée pour la technologie. Personnellement, j'ai utilisé de la ferraille et j'ai réalisé une sorte de dragon chinois.

Ethique

En réalisant un message adressé à la société, je pense que le graphiste a une responsabilité éthique. Il doit remuer un peu les consciences même si ce n'est pas toujours possible. Bien sûr, si l'on te commande une étiquette pour une bouteille de vin, tu ne vas pas glisser un message cynique, radical ou ironique.

Influences

J'ai d'abord été influencé par l'avant-garde soviétique et les expressionnistes puis par Dubuffet et l'Art brut et l'assemblage des objets, comme chez Miró.

Installations

J'aime beaucoup le principe des intallations mais si je ne comprend rien aux intentions de l'artiste, pour moi il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. J'apprécie beaucoup Boltansky. Je pense que le métier de graphiste suppose une certaine curiosité. Il faut voir, critiquer et analyser tout ce qui peut être utile en termes de création.

Liberté

Je ne pense pas que travailler pour la communication sociale ou culturelle soit mieux sur le plan éthique que la publicité, car nous aussi nous vendons nos "salades". Vendre les idées des autres, d'un certain point de vue, c'est comparable à vendre des chaussettes, on n'est pas forcément d'accord. La différence c'est qu'en travaillant pour le secteur culturel, tu peux éléver un peu le niveau d'expression et t'exprimer avec beaucoup plus de liberté.

Milton Glaser 

C'est quelqu'un qui a du doigté, de l'habileté manuelle, de l'humour. J'aime les gens qui s'engagent, qui ont de l'ironie et qui aiment bien provoquer. Aujourd'hui, il y a une certaine provocation "politiquement correcte" qui consiste à choquer mais dans les limites de l'acceptable : c'est assez ennuyeux.

Oignon

Une bonne image est comme un oignon, elle est constituée de plusieurs couches. Plus il y a de couches de sens et plus l'image résistera à l'usure du temps.

Ordinateur 

Pour moi qui suis d'un naturel paresseux, c'est un outil fantastique. Je m'y suis mis tard, il y 3 ou 4 ans, et je travaille surtout avec Photoshop.

Publicité

J'ai travaillé quelque fois pour les agences de publicité. C'est assez rare car mon travail n'intéresse pas vraiment les publicitaires. Ils font appel à moi quand ils cherchent quelque chose qui pour eux est "artistique". En général, cela ne m'intéresse pas car il y a trop d'intermédiaires et ils n'acceptent pas de prendre des risques. C'est le marketing qui définit tout.

Regard

Je pense à ce que disait Monet : "Tous les peintres peignent sur les mêmes toiles, en utilisant les mêmes pinceaux et les mêmes couleurs. Alors, où est la différence ? Dans le regard!".

Studio

Aujourd'hui je travaille avec une petite équipe de 6 personnes dont mon associée qui est photographe. Auparavant, le studio était plus important avec une douzaine de personnes. Cela implique une logique de la production pour faire tourner la structure dont on risque de devenir finalement "esclave".

Style

Dans un travail intéressant il y a une maîtrise, une ironie, un style propre. Mais le style tu ne le cherches pas, cela vient naturellement, comme tu vis. Le style arrive malgré soi. Il y en a que tu reconnais et d'autres pas.

Techniques

Au départ, il faut trouver une métaphore visuelle, ensuite le choix de la technique de réalisation devient relatif. Suivant les projets cela peut être le dessin, la photo, la sculpture. Le problème c'est qu'en général les gens sont très cantonnés dans leur domaine. Les graphistes marient la typo et les images mais en général ne savent pas dessiner et les illustrateurs sont dans leur monde. Personnellement, j'aime bien élargir le champ des registres utilisés.

Typo 

Il y a deux catégories de graphistes : les typographes et les faiseurs d'images. Personnellement, je suis capable d'apprécier un beau travail de typo mais cela ne m'intéresse pas énormément, en tout cas pas au point de créer des alphabets. Je me sens plus du côté des images.

Vide

Nous sommes confrontés à une sorte de pollution visuelle : plein d'images qui nous sollicitent de toutes parts. Il est vrai que si l'on est adroit avec les logiciels, l'ordinateur permet de réaliser des images spectaculaires. Mais souvent ce sont des images "vides", sans contenu. Selon l'adage bien connu, "une image vaut 1000 paroles" mais encore faut-il que ces paroles soient implicites dans l'image, sinon c'est une image creuse que l'on oublie tout de suite.

Zen

J'ai un ami argentin qui est designer industriel et qui a déjà conçu une dizaine de modèles de chaise. J'ai du mal à imaginer que l'on puisse continuer cette activité après avoir conçu 3 chaises... C'est comme l'expérience du zen, du vide absolu. Pourquoi avoir l'expérience du rien dans la vie, je l'aurai dans la mort et je disposerai de l'éternité pour parvenir au vide absolu. Ce n'est pas la peine d'avancer les choses.