Papiers de création

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Comment se porte le petit monde du papier de création ? Avec la crise économique qui n'en finit pas de finir et la culture numérique qui s'emballe, les graphistes ont-ils encore les moyens de concevoir leurs créations sur les plus beaux papiers, les plus bizarres, les plus chers ?Pour comprendre où va le papier de création, qui le porte et quels sont les rendez-vous de 2006, nous avons fait le tour de la place de Paris, interrogé quelques intervenants emblématiques (Thibierge & Comar, Arjo Wiggins, Favini, Sappi ou Antalis) pour les faire parler de leur métiers, de leurs enjeux, de leurs nouveautés, mais aussi des rapports pas toujours simples qui unissent créatifs et papiers de création.

Arjo Wiggins toujours à la pointe

Issy les Moulineaux, une froide matinée automnale. Au cœur de la fourmilière Arjo Wiggins, Saïda Berrahal étale sur la grande table de réunion l'ensemble de ses collections. Les papiers fins chatoient de mille teintes subtiles. Le toucher relaie la vue quand entre les mains le bizarroïde Curious Touch Wet fait l'effet d'une toile détrempée ou que le non-moins étrange Curious Touch Soft qui fait l'effet assez troublant d'unepeau de pêche. « On aime ou on déteste » concède la sémillante Responsable marketing opérationnel France Papiers Fins.Le marché français des papiers fins est le plus important au monde pour Arjo Wiggins. Aussi, on croit volontiers le papetier quand il revendique une vraie connaissance des populations créatives, s'appuyant sur un dynamique service de Recherche & Développement, allant même jusqu'à organiser des « réunions de consommateurs » pour cerner au plus près les besoins des graphistes et autres designers. Arjo Wiggins pousse d'ailleurs le soucis de compréhension jusqu'à faire appel aux services du très reconnu bureau de tendance Promostyl, qui a prédit une prédominance des matières très naturelles, du blanc, du cocooning pour cette année 2006 qui s'annonce... Pas très pop, tout ça, l'heure est clairement au repli sur soi, entre Irak, attentats et grippe aviaire, les créatifs ne seraient pas trop enclins à bousculer les sensibilités. Même si Arjo Wiggins se félicite d'avoir coloré son célèbre et classieux Rives. « D'ailleurs, pour son look book (petit carnet où sont présentés tous les modèles de la saison – ndlr) de cette année, Lancel a choisi les mêmes couleurs que celles utilisées pour Rives », se félicite Saïda Berrahal. Du côté des créatifs, le succès de la gamme Curious Collection ne se dément pas et Arjo Wiggins pousse encore plus loin les sensations curieuses avec le lancement d'un papier thermo-sensible, qui change de couleur quand on le tient en main.

Le moral des distributeurs en berne

Place d'Italie, dans leurs bureaux vitrés, les équipes du distributeur Antalis tiennent bon dans une guerre des prix de plus en plus féroce. Pas facile pour Isabelle Lombard, chef de produit papiers fins, de défendre ses positions dans un marché « déroutant » et à la « grosse saisonnalité ». Pour celle qui distribue les créations de marques prestigieuses telles que Thibierge & Comar, Gmund, Cordenons ou ArjoWiggins,« le papier est en crise.Jusqu'à présent,il y avait une forte croissance sur les papiers très spécifiques. Mais aujourd'hui, l'ostentatoire ne marche plus. On veut du blanc, du zen, du cocooning. Les clients sont en quête d'environnemental, de recyclé.Ils cherchent des papiers situés entre les papiers fins et les commodités. ».Finies les paillettes, finis les papiers éclatants. « Mais peut-être nous manque-t-il des produits », tente la chef de produit. « De toute façon, les tendances ne font pas partie des préoccupations générales. Le marché est modeste, on est sur du morose ». Au-delà de l'économie, peu brillante, du secteur, Isabelle Lombard cherche également à réapprendre le papier aux jeunes créatifs de l'ère numérique. « C'est grâce aux prescriptrices (les « visiteuses médicales » du secteur - ndlr)qu'on vend les papiers les plus spéciaux.

Sans elles, l'agence ou le graphiste n'y penserait pas et ne saurait pas, d'ailleurs, défendre le choix d'un papier cher. » Car pour Isabelle Lombard, le problème majeur, c'est la méconnaissance papetière de la nouvelle génération de graphistes, plus rompus à la maîtrise du pixel en bataille qu'à la préconisation d'un papier. « Les créatifs n'intègrent pas le papier à leur création, ce n'est pas dans leur culture. Alors, nous avons mis en place des showrooms – les Brainstores – qui leur sont destinés ».

 

 

 

Emeric Thibierge: les 1000 idées d'une personnalité tonitruante

Chez Thibierge & Comar, le discours est nettement plus flamboyant. Après avoir pénétré un joli petit hôtel particulier du XVIIe arrondissement parisien, bu un espresso comme il faut, admiré les photophores en calque de couleur et dévoré toute la littérature journalistique dédiée au héros des lieux, on le rencontre enfin : Emeric Thibierge. Il EST Thibierge & Comar. A tel point qu'on se demande ce qu'est devenu le Comar de l'histoire (Jérôme Comar, aussi discret qu'on puisse l'être). Rompu aux joies de l'interview journalistique, Emeric Thibierge, 40 ans, nedédaigne pas apparaître comme un rebelle, un vrai créatif, dans un univers où la création se revendique beaucoup mais ploie trop souvent sous la férule du marché. Alors, il devient lyrique, Emeric Thibierge, il s'emporte, il tonne contre l'absence de créativité ambiante, contre la morosité affichée par certains de ses concurrents : oui, il est possible de créer encore et encore dans le papier. « On n'a pas inventé 1 ou 2 % de ce qu'on pourrait faire dans le papier ! », lance-t-il comme une antienne qu'on lui connaît déjà. « Regardez le tissu : il y a une infinité de tissus possibles. » Pour Emeric Thibierge, le désintérêt des graphistes pour le papier n'incombe qu'aux seuls créateurs de papiers qui rechignent à innover.

« Il faut qu'on fasse preuve d'exubérance, d'originalité ! C'est parce qu'on ne propose pas de beaux papiers aux graphistes qu'ils ne les préconisent pas aux clients et que les imprimeurs ne les impriment plus », finit-il par conclure. En plus d'être une forte tête, Emeric Thibierge est également un créateur prolifique qui revendique la paternité de l'intégralité des productions de sa Maison. Et gare aux bureaux de tendances !Il les fuit comme la peste ! Lui qui ne fie qu'à son intuition et son envie vient de lancer la gamme Dentelle. Un calque paré de 6 motifs qui jouent le voilé/dévoilé, le mystère. L'inspiration est ici clairement féminine.« Ce papier rencontre un enthousiasme considérable de la part des graphistes dans le monde : il leur semble très parisien. », se réjouit le vibrionnant patron.