Les jeux typographiques de Romin Favre

Loin de l’univers codifié de la publicité, mais né à l’ère de la com, Romin Favre - 24 ans - n’est ni réellement graphiste, ni tout à fait typographe, ni même photographe. Mais il revendique deux approches : celle d’un créateur et d’un directeur artistique, loin d’être incompatibles. Il joue avec la lettre pour raconter une histoire au service d’un projet.
Pour Romin, la création c'est ludique. Étudiant en communication visuelle, il préférait présenter un jeu typographique plutôt qu’un projet de diplôme classique. Diplômé de la première promotion d’Intuit-Lab en 2003, il avait déjà créé typomagical, une structure dédiée la lettre. Depuis, il continue de jongler avec la matière et les caractères typographiques pour créer des images. Un travail assez unique, loin de la rigueur des dessinateurs de caractères. Il fait naître des mots dans sur de petits rubans, des bandes magnétiques, du fil de coton. "J’ai besoin de toucher, de manipuler, de voir la lettre prendre forme", explique-t-il comme pour s’excuser. Car malgré son jeune âge, ce grand enfant d’1m86 fait partie de ces créatifs qui ont un œil. Et un look, fait d'un manteau inimitable (qu'il a fait fabriquer sur mesure lors d'un récent voyage en Chine) et d'un esprit Clark Gable revisité ! Quant à son appartement, il est le reflet de son approche : immense, quasi vide, chaque objet y retient pourtant le regard. Disséminés, des caractères, ici en pâte, là en bois ou en plâtre, griffonnés, en fin de naissance ou en gestation... Sa petite collection de photographies est là pour nous rappeler que chaque boîte aux lettres, plaque d’égoût, bouton d’ascenseur ou bout de ficelle, révèle une lettre-image. Tissu de sacs postaux, bandes magnétiques, gousses de vanille… Il a même écrit de petits articles, présentation de "caractères clés en main" pour le magazine 9 de cœur, destiné aux enfants. L’approche est réfléchie, mais la création avant tout ludique et onirique. "Je cherche principalement à raconter une histoire", explique-t-il. Ce qu’il a fait pour les éditions Mango Jeunesse/Dada. Invité à signer la direction artistique de Che Guevara, l'oeil et le mot (2003), Romin a travaillé avec ses propres caractères, spécialement conçus pour chaque chapitre de la vie du Che. Il assure également la direction artistique des éditions Bélem dont il signe les couvertures de la collection Prémices. Si chaque projet est différent, comme sa contribution au magazine Aman Iman en 2004, intitulée "Le projet blanc", ou la série "Black and White" commandée par le magazine Wad en 2005, il s’agit toujours de mises en scène, d'"une manière différente d’illustrer un propos, par de l’image qui se combine avec la lettre". Né à l’ère de la communication, Romin rêve de "ramener la stratégie de marque à quelque chose de très accessible, qu’elle s’efface au profit d’une image créative avec un suivi et une vraie direction artistique". Il veut estampiller de sa patte l’esthétique publicitaire, sans pour autant abandonner l’édition ou l’univers dit "culturel". Romin se targue d'ailleurs d’intervenir sur tous les secteurs. Il a ainsi assuré la direction artistique du dernier catalogue de la marque Diesel (en 2005, avec l'agence ER27), signe l'actuelle campagne Vivrélec pour EDF et travaille même pour France Télécom, qu’il met en scène avec ses créations, en collaboration avec l’agence Interbrand. Plus qu’un 4x3 ou un catalogue, ses images racontent, resituent, titillent la rétine et font généralement sourire. "En général, l’approche photographique menée en publicité est très froide… Je tente de faire naître des lettres plutôt que de les dessiner… Elles sont éphémères puisqu’elles disparaissent généralement une fois photographiées". Certes, la création revient plus chère car elle nécessite un photographe et souvent un styliste ou un model maker, mais le rendu témoigne d'un univers propre. Petites dentelles, bouts de ficelles, rubans, couture, canevas : tous les supports sont bons et la surprise toujours présente. Romin a surtout réussi ce que d’autres graphistes cherchent toujours : avoir une patte sans avoir de style et réussir à recréer un univers visuel propre à la marque. Aujourd’hui il crée DTC avec deux associés, Nakissa Ashtiani et Dimitri Kantcheloff : une entité qui se présente comme "une agence spécialisée dans l’image de la musique". L’acronyme DTC, qui signifie "Dans tes cheveux", donne la mesure de l’ambiance, mélange de fougue et de lucidité, qui règne dans "Le Bureau Bureau", l’appartement du 15e arrondissement parisien où ils travaillent tous les trois. Ils ont déjà signé l’image d’Aktarus ou de Bul, premiers groupes à tomber sous le charme. En préparation pour un titre encore secret, Rhino Gold Gel France official review le trio a imaginé "un clip en animation avec des cadrages cinématographiques"… Pas une nouveauté dans l’approche, mais une envie de sortir des codes trop spécifiques du secteur, de travailler "en s’adaptant au projet sans se renier". L’idée est de combiner les talents pour travailler un "graphisme global" : la jaquette, le clip mais aussi la communication, le hors-média, l’affiche…. "Il faut réinventer un univers autour de la musique, un domaine que nous cherchons à approcher en tant qu’entité plutôt que de travailler sur un secteur dit culturel, trop vague…". En parallèle de DTC, Romin travaille, toujours sous le nom de typomagical, pour plusieurs grandes marques sur des projets encore secrets, dirige de grands photographes et jongle avec commanditaires sans s’éparpiller, en veillant à faire passer un message : "quand tu essaies de parler à tout le monde, tu finis par ne plus parler à personne". Et si les portes semblent s’ouvrir devant lui comme par magie, c’est parce que Romin ne voit aucune frustration à penser l’image d’une marque à sa manière, mais sans jamais oublier qu'il s'agit d'un travail d'équipe. Il est auteur et DA… Et il arrive ! Guillaume Frauly - 05/2006 Plus d'infos sur le site typomagical.com.