Valérie Voyer, Le PasQueBeau
La forme naît du fond : Valérie Voyer revendique un graphisme intellectuel, nourri de philosophie et de sciences humaines.
« 15 ans de graphisme Pop et exigeant » revendique Valérie Voyer pour sa nouvelle exposition au Centre d'art contemporain Le 116 à Montreuil, jusqu’au 1er août 2015, après une première exposition en 2012 à Paris. Loin des modes, elle et son atelier LePasQueBeau insistent sur la clarté des messages et la qualité d’exécution pour coller à cette mission de « passeur de sens » et de faiseur de lien social qu’est le design graphique dans notre société contemporaine.
Un design graphique versatile dans la forme, et constant dans le fond, comme l’explicite Valérie Voyer:
Son approche du graphisme
« C’est la forme qui nait du fond, selon la formule consacrée. J’ai une approche littéraire voire intellectuelle du sujet: j’enquête, j’interroge, je réfléchis sur le fond, je ne fais pas les choses gratuitement. Je ne sais pas créer spontanément, je dois rentrer dans le brief, en discuter avec le commanditaire, etc. Une approche peut-être un peu lourde pour certains, mais c’est devenu une marque de fabrique chez moi et on m’appelle maintenant pour cela.
Le design graphique est un métier où il faut très vite devenir spécialiste du métier d’un autre, connaître ceux à qui le message s'adresse, mener un travail de culture sur les usages. Cela se fait à travers les recherches documentaires et le dialogue. Le dialogue peut changer la commande. Je me souviens d’une commande de la mairie du XVIIIème à Paris pour un livret annuel. Nous avons fait évoluer le projet vers un site Internet, pour plus de permanence et d’évolutivité du support.
Je ne peux pas revendiquer une écriture graphique reconnaissable. C’est plutôt ma manière de prendre le métier qui est reconnaissable, pas forcément les formes. Je me ressens comme une sorte de traducteur: je prends les mots des uns pour faire des images adressées à d'autres. »
Sa façon de travailler
« Déjà aux Arts Décos, je démarrais sur la forme très tard, après les autres, puisque je passais plus de temps en recherches. Je fais beaucoup d’esquisses au crayon sur un carnet, esquisses que je partage ensuite avec le client. J’aime aussi travailler en équipe. Le PasQueBeau a été de 2004 à 2009 un collectif pluridisciplinaire, avec Suzy Chic (designer et auteur jeunesse), FRouge (vidéaste), Laurence Poitou et Luz Blanco (plasticiennes). Depuis 2009, je l’ai recentré sur le design graphique, mais je travaille avec une équipe stable de compétences complémentaires aux miennes : un graphiste en résidence chez nous à Montreuil l’été, plus une scénographe, deux développeurs, deux graphistes.
J’aime pratiquer toutes les facettes de ce métier, faire de la communication globale pour un client, y compris du design d’espace. Par contre, je ne fais pas de communication commerciale, de publicité, c’est contraire à mes convictions. »
Ses influences
« Max Ernst pour le côté multiformes et sans limites, Manet pour les couleurs, et le Pop Art « à fond les manettes » si je peux dire. De manière générale, je me nourris de l’art contemporain plutôt que des autres graphistes. Et beaucoup de philosophie : Michel Foucault, Gilles Deleuze et Félix Guattari entre autres. Je suis particulièrement les travaux aux US de gens comme Judith Butler. Cela fait quinze ans qu’ils travaillent sur les gender studies, sur la distinction entre sexe et genre. »
Le mot de la fin ?
« Dans le design graphique, je considère la manière d’être, la méthode comme contemporaine, plutôt que la forme vite dépassée. Nos sociétés évoluent de façon continue dans leur manière d'être, de penser, de percevoir. Les graphistes sont un des vecteurs "d'être ensemble" au mileu de tout cela . Leurs formes selon moi ne doivent pas chercher à être contemporaines, sous peine de rapide obsolescence, mais épouser les mouvements de la société, et si possible les anticiper ! »
Propos recueillis par Paul Schmitt, janvier 2012, mise à jour juin 2015