Astérix

Anti- plutôt que héros, Astérix personnifie le Français dans toutes ses contradictions.

Né en 1959 avec le journal Pilote, Astérix vit maintenant sa vie en-dehors de ses créateurs, le scénariste René Goscinny (mort en 1977) et le dessinateur Albert Uderzo qui a laissé les manettes au duo Jean-Yves Ferri et Didier Conrad pour Astérix chez les Pictes, nouvel album sorti cette fin octobre 2013 en librairie.

35 albums en tout, 8 films d’animation et 4 films live, plus un parc d’attractions dédié à son univers : une carrière exceptionnelle et riche à tous égards pour un personnage dessiné. Et pour ses auteurs, renvoyés en 1956 par leur employeur de l’époque, la World Press (ça ne s’invente pas !), pour avoir voulu « organiser » syndicalement leurs métiers… Autre paradoxe que ne manque pas de relever l’exposition BD et Immigration qui se tient en ce moment à Paris : c’est à Goscinny et Uderzo, issus de l’immigration, que revient de personnifier « nos ancêtres » les Gaulois !

L’exposition à la BnF, avec ses nombreuses planches dessinées et autre témoignages, permet de décrypter les ingrédients d’un tel succès. Outre un dessin rond et agréablement caricatural, les albums (du moins les premiers) manient plusieurs formes d’humour pour séduire tous les publics. Comiques de situation et de répétition bien sûr, mais aussi citations latines bien placées et références à des œuvres picturales (voir visuels 21 et 22 ci-contre) ou littéraires permettent une lecture à plusieurs niveaux de la BD.Le personnage d’Astérix est également emblématique. Si Tintin et Spirou sont des héros typiques de l’après-guerre, dynamiques et positifs, Astérix reflète bien la désillusion qui se fait jour dès les années 60. Râleur, il « cultive son jardin » dans un village reculé loin de l’Etat central (les Romains), se dispute et rigole avec les voisins sans idée de révolution ou de militantisme : la potion magique ne sert qu’à défendre le village, pas à aller guerroyer même pour libérer la Gaule de l’envahisseur. Astérix se laisse cependant  émouvoir par les situations de détresse qui arrivent jusqu’à lui jusqu’à parcourir le monde avec Obélix pour y remédier. Au-delà des prétextes scénaristiques, le personnage est ainsi à l’image du Français post-moderne tiraillé entre son bien-être quotidien et le vaste monde qui se rappelle régulièrement à lui, généralement de façon négative : comme le résume si bien Obélix, ils sont tous fous là-dehors…

Talent du dessinateur, humour à plusieurs niveaux, et surtout capacité à capturer l’air du temps, en en assumant les contradictions : c’est là le vrai secret de la réussite d’Astérix, à voir à la BnF François Mitterrand, jusqu’au 19 janvier 2014.

 

 

 


Paul Schmitt, novembre 2013