Bill Plympton

Caricaturiste, dessinateur émérite et prolifique, Bill Plympton est surtout un maître du cinéma d’animation pour adultes.

Designer graphique de formation dans son Oregon natal, Bill Plympton a mal tourné : il s’est converti à l’animation en suivant le cursus de la réputée School of Visual Arts à New York en 1969. Il a d’ailleurs gardé de ces années 70 un individualisme farouche et un goût pour l’animation « adulte » qui l’ont tenu à l’écart des grands studios. Il s’est fait connaître dans les années 80 avec une BD hebdomadaire, un « cartoon strip » satirique publié dans le Soho Weeekly News et repris dans une vingtaine de journaux. Mais son talent le plus reconnu est dans ses films d’animation, 30 courts et 6 longs, pour lesquels il effectue tous les dessins lui-même ! Un travail de stakhanoviste où il avoue « prendre son pied » comme il l’explique dans le making-of de son dernier long métrage Les Amants électriques/Cheatin’ (2014) où un couple s’aime… jusqu’à s’entretuer.

Le One-man-show – ou presque – de Bill Plympton

« J’ai écrit le scénario des Amants électriques en 2009, dans lequel se trouvaient les grandes lignes du film. Puis j’ai fait un story-board avec de tout petits dessins, de la taille d’un timbre poste. Il y avait environ 800 dessins. Je l’ai amélioré petit à petit, puis j’ai fait le story-board définitif (232 pages) avec de plus grands dessins, bien plus détaillés. Il y en avait six par page. Le film final est à 90% ce qu’il y avait dans le story-board, j’ai seulement ajouté quelques blagues.

Puis j’ai commencé l’animation en partant du premier dessin de la première page. Je fais entre vingt et cinquante dessins par plan, chaque plan durant trois ou quatre secondes. Et chaque jour je réalise un ou deux plans. Ces dessins comportent déjà les ombres et chaque détail. Je les donne ensuite à Desirée qui fait le pencil test qui nous permet de nous assurer que le minutage, les positions ou les dessins sont corrects. Après avoir corrigé les défauts éventuels, je reprends chaque dessin, je les frotte avec un chiffon pour avoir une belle demi-teinte, un beau gris. Puis, avec une gomme, je supprime certaines ombres pour faire les reflets de la lumière et que ça ait l’air plus réel. Je redessine au crayon les contours, les ombres, pour que ce soit très sombre et qu’il y ait beaucoup de texture.

Chaque dessin est donc le résultat d’un long processus, et il y en a environ 40.000 dans le film. Une fois définitif, Desirée Stavracos et Lindsay Woods le numérisent. Puis il faut nettoyer les parties autour du dessin, faire le compositing et la mise en couleur. Ces dernières étapes ont nécessité un an de travail à une équipe de six personnes qui s’y est mise en juin 2012. C’est un procédé très lent mais je suis vraiment content du résultat final.

Mais au cours de ces cinq années, j’ai également écrit un livre (Make Toons That Sell Without Selling Out) dans lequel j’explique ma façon de travailler, le story-board de 300 pages d’une série télé qui s’appelle Tiffany the Whale, et que je pense bientôt mettre en route (j’en ferai ensuite un long-métrage quand la série, qui durera trois heures, sera terminée). J’ai fait un vidéo-clip pour Kanye West et un autre pour Weird Al Yankovic, trois scènes d’introduction pour Les Simpsons. Et quelques courts-métrages qui ont eu beaucoup de succès, le dernier en date étant Drunker Than a Skunk. J’ai également travaillé sur The Prophet, un film d’animation adapté du livre de Khalil Gibran (ndlr : produit par Pathé, Le prophète sort en salles le 2 décembre 2015) , pour lequel je réalise une séquence de trois minutes.»

Et Bill Plympton a  eu recours à Kickstarter pour lever plus de 100 000$, le budget initial des Amants électriques ayant été dépassé… Pas de grand studio au générique, rien d’étonnant à l’écouter : « Ce qui me gêne avec les films de Pixar ou de Dreamworks, c’est que tout est parfait. Les lignes sont parfaitement droites, les cercles parfaitement ronds. Tout est net, alors que chez moi il y a beaucoup de désordre, de saleté. Mais ces choses qui clochent contribuent à rendre tout ça plus réel, plus chaleureux. Et je veux faire rire les gens, qu’ils aiment les personnages et l’animation. Et pour que l’humour soit réussi, il faut de la folie, de l’anarchie»

Une anarchie qu’on retrouve dans son trait, vibrant et cartoonesque à la fois. L’animateur le plus indépendant du métier vous convie à partager un échantillon de son savoir-faire, dessins et celluloids en exposition à la galerie Arludik jusqu’au 31 octobre 2015.

Paul Schmitt, septembre 2015