Les mondes de Gotlib

Hommage à un maître humoriste et un des pères du renouveau de la BD dans les années 60-70 qui vient de nous quitter ce début décembre 2016.

Gotlib, athée et pourfendeur de religions, honoré au musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris? Archives et plus de 150 planches, murs dessinés inclus, y accueillaient les visiteurs jusqu’au 20 juillet 2014. Un signe que le trait grinçant de Gotlib est devenu consensuel. Au contraire des années 60-70 où son humour ravageur, mêlant dérisoire et parodie engagée, était au premier rang de la vague soixante-huitarde jugée subversive par beaucoup.

Né à Paris en 1934 au sein d’une famille de juifs hongrois fraichement immigrés, le jeune Marcel Gotlieb échappe aux rafles nazies (son père n’aura pas la même chance) pendant la guerre. Ayant suivi les cours du soir du dessinateur Georges Pichard, il débute dans les années 50 comme dessinateur publicitaire puis lettreur-titreur chez Edimonde (Journal de Mickey, etc.). Il passe au journal Vaillant (le futur Pif Gadget des années 80) en 1962 et y dessine sous le nom d’artiste « Gotlib » ses premiers héros : Nanar, Jujube et Piette, ainsi que le chien qui ne rit jamais, Gai-Luron, décalque français du célèbre Droopy de Tex Avery.

L’aventure de Gotlib commence vraiment en 1965, année où il intègre le journal Pilote fondé par Goscinny et Uderzo. Il y crée avec Goscinny les Dingodossiers, histoires documentaires absurdes et librement inspirées du journal satirique américain MAD. Suit en 1967 dans la même veine la Rubrique-à-brac, où Gotlib développe aussi une approche plus personnelle, opposant la vanité du monde des adultes à l’innocence du monde de l’enfance. Marque de fabrique de cette époque : les personnages « électron libre », tels Isaac Newton et la Coccinelle qui déambulent à travers les cases de la BD sans lien apparent avec l’histoire.

Nouvelle étape en 1972 : il s’associe avec Brétécher et Mandryka (Le concombre masqué) pour fonder L’Echo des Savanes, magazine qui repousse les limites du bon goût. Dans la même veine lui succède en 1975 Fluide Glacial où cohabitent dessinateurs confirmés (y compris Franquin) et une nouvelle génération d’auteurs de BD comme Pétillon, Binet, Blutch, etc. Gotlib lui-même y développe de nouveaux « héros » scabreux comme l’obsédé Hamster Jovial ou le franchouillard Superdupont. Il arrête néanmoins de dessiner vers 1986 et cède Fluide Glacial aux Editions Flammarion en 1996, tout en continuant des collaborations ponctuelles au cinéma ou à la télévision.

L’art de Gotlib est celui du contrepied, à l’opposé de la « ligne claire » de la BD franco-belge. Une case contredit l’autre, un dessin absurde rebondit sur le précédent faussement sérieux. Il réinvente sans cesse l’espace en cassant les perspectives, en repoussant les limites traditionnelles de la case, en rompant avec la narration linéaire. Et Gotlib est aussi un lettreur, héritier en cela de la tradition juive, qui en anime, déplie et délie les formes au travers des cases pour rivaliser avec le dessin et mieux faire sens.

Clémentine Gaspard, mars 2014, mise à jour décembre 2016