L'art de Cinq Légendes

Dreamworks Animation frappe fort avec Cinq Légendes : six univers, aussi riches que différents les uns des autres. Revue de détail avec Patrick Hanenberger, Production designer.

Plus dans la lignée de Dragons que dans celle de Shrek ou Madagascar, Les Cinq Légendes se distingue par une histoire plus émotionnelle, moins dans l’ironie, et visuellement par l’attention donnée aux décors. Car chaque Légende (le Père Noël, le Marchand de Sable, etc.) ainsi que le méchant Pitch règne ici sur son propre univers, en  plus de l’univers commun, celui des humains. Avec une richesse visuelle et une attention aux détails hors du commun qui font de ce film un régal pour les yeux !

C’est ce que montre l’exposition d’aquarelles et dessins préparatoires tirés du film à la galerie Arludik jusqu’au 8 décembre 2012. Patrick Hanenberger, Production designer/Chef décorateur des Cinq Légendes (voir son parcours en légende de sa photo en galerie), avait fait le voyage pour le vernissage de l’expo et nous en a fait faire le tour.

Pixelcreation : Comment s’est déroulé ce projet, et à quel moment y avez-vous contribué ?
Patrick Hanenberger : William Joyce, auteur des livres Guardians of Childhood (ndlr : 5 volumes publiés depuis 2010) avait commencé à développer ce projet filmique autour de ses livres, puis l’a apporté à Dreamworks. Je suis venu à ce moment-là, et nous avons travaillé trois ans et demi : un an de préparation, deux ans et demi de fabrication du film.
J’ai dirigé l’Art Department, une équipe de 5 à 10 personnes dont le directeur artistique Max Boas. Et nous avons bien sûr travaillé étroitement avec les storyboarders (eux aussi une équipe de 5 à 10 personnes) et les modeleurs des personnages (une dizaine d’artistes). C’est ce noyau qui, avec les producteurs, définit ce que va être le film. Mais à son maximum, la production de Les Cinq Légendes a mobilisé 450 personnes.

Pixelcreation : Comment avez-vous défini et travaillé les différents univers des Cinq Légendes ?
Patrick Hanenberger : L’idée de base est que Les Cinq Légendes soit un véritable opéra pour les enfants, visuellement impressionnant. Pour cela, il a fallu développer l’univers de chacun des personnages bien au-delà des livres, les distinguer graphiquement, et bien sûr dans un style stylisé et non photoréaliste.

D’abord, chaque personnage est représenté par une forme géométrique simple. Le Père Noël est carré, le Marchand de Sable rond, le Lapin de Pâques (ndlr : équivalent germanique de nos Cloches de Pâques) est triangulaire, la Fée des Dents (ndlr : qui remplace notre Petite Souris ramasseuse de dents de lait) en forme de losange, comme un diamant, et Jack Frost, sorte de génie du froid et principal héros du film, est plutôt hexagonal comme un flocon de neige. Seul Pitch, le Croquemitaine qui cherche à faire régner la peur sur le monde, n’a pas de forme fixe, il en change tout le temps.

Ensuite nous avons ancré leurs univers respectifs dans différentes parties du monde. Pitch est européen, sophistiqué. Son monde fait penser à Versailles et Venise, d’une beauté un peu décadente (ndlr : voilà une vision de l’Europe bien optimiste !). La Fée des Dents fait penser à l’Asie du Sud, un mélange de Thaïlande et d’Inde. Et le palais du Père Noël, ancien cosaque, est de style très russe. Jack Frost n’a pas d’univers à lui, il erre dans le monde des hommes, mais revient sans cesse au même endroit : Burgess, une petite ville de Pennsylvanie. Nous avons écrit une page entière pour expliquer l’histoire de cette ville : comment cette ville coloniale est devenue industrielle, puis a perdu son industrie à cause de la récession, et maintenant une nouvelle génération s’efforce de faire renaître Burgess... Ces références historiques sont présentes dans les détails des décors, et même si ce n’est pas directement perceptible par le spectateur, elles créent de la richesse visuelle.

Pixelcreation : Les dessins exposés montrent que le style a beaucoup évolué en cours de développement.
Patrick Hanenberger : Oui, et même après, pendant la fabrication de Les Cinq Légendes. Le design ne cesse jamais, c’est un processus itératif avec l’animation. Pour le Lapin de Pâques, on lui a enlevé des vêtements pour le rendre plus dynamique. Pour la Fée des Dents, cela  a été le contraire, on lui a rajouté des plumes, etc. pour étoffer le personnage.

Ces changements ne sont pas faits au hasard, il y a des concepts et lignes directrices qui restent constants. Le concept clé des univers des Légendes est qu’ils préservent les vieilles traditions. Alors que le monde humain est ici neuf, mais en voie de dégradation. Et le raisonnement artistique sur les Légendes procède par addition : palette de couleurs, formes, etc. Pour Pitch c’est le contraire : il bouge et change sans cesse, enlève forme et couleur du monde.

Pixelcreation : Le sable joue un rôle visuel important dans le film, doré et léger quand il entoure le Marchand de Sable, noir et visqueux quand Pitch le détourne…
Patrick Hanenberger : Exactement. Le sable des rêves a une couleur chaude et formes des boucles dans l’air. Le sable des cauchemars est d’un violet irisé (la couleur inverse du jaune doré) et formes des angles en se déplaçant. On a l’impression qu’il recule plutôt qu’avance, son mouvement  a l’air imprévisible. En fait, le modèle ne change pas d’un sable à l’autre, c’est l’animation et le rendu qui font la différence. Et nous avons travaillé avec le département VFX pour affiner cela.

Pixelcreation : Le titre anglais du film, Rise of the Guardians, indique une idée de suite si le public est au rendez-vous de ce premier film. Vous confirmez ?
Patrick Hanenberger : Oui. Et j’adorerais faire une saga avec cet univers. Et il y a tellement de personnages secondaires, c’est un univers aussi riche que Star Wars !

Propos recueillis par Paul Schmitt, novembre 2012
Photo Patrick Hanenberger: Paul Schmitt