Moebius Transe Forme

Enfin une grande rétrospective de l’œuvre et des recherches de Jean Giraud alias Gir alias Moebius.

Artiste autant qu’illustrateur, prolifique et polymorphe, alternant dessin réaliste sous la signature de Gir pour Blueberry et dessin plus épuré avec couleurs pastel pour les œuvres oniriques de Moebius, Jean Giraud impose son génie au monde de la BD depuis bientôt 50 ans.
Né en 1938 à Nogent-sur-Marne, il passe deux années aux Arts Appliqués à Paris de 1954 à 1956. Il quitte ensuite la France pour rejoindre sa mère au Mexique où il séjourne huit mois. Il s’imprègne des paysages du désert à l’instar de son maîtreJijé (Joseph Gillain) dont il deviendra l’assistant. Il participe alors à la création d’un épisode de la série Jerry Spring, La Route de Coronado (1960). Après une collaboration de quelques mois à la revue Hara-Kiri, il crée en 1963 avec Jean-Michel Charlier – à l’époque directeur de la revue Pilote – la série Blueberry, qu’il poursuit après sa disparition et qui compte aujourd’hui une trentaine de titres. Au cours de son deuxième voyage au Mexique en 1965, il découvre certains rituels chamaniques qui lui permettent d’accéder à d’autres visions du monde qui vont nourrir tout un aspect de son travail.

 Cofondateur en 1975 de la revue Métal Hurlant et de la maison d’édition Les Humanoïdes Associés, Jean Giraud y développe un style unique sous la signature de Moebius, en hommage au mathématicien ayant découvert l’anneau double du même nom : « En passant de Giraud à Moebius, j’ai tordu le ruban, changé de dimension. J’étais le  même et j’étais un autre. Moebius est la résultante de ma dualité. » . Dans Métal Hurlant, Moebius publie des oeuvres révolutionnant l’aspect créatif de la bande dessinée tels que Arzach (1976) ou Le Garage hermétique (1979). Sur un scénario d’Alejandro Jodorowsky, il entame ensuite le récit des aventures de John Difool dans L’Incal (1980), série dont le succès le place parmi les créateurs les plus innovants en matière de science-fi ction. Par la suite, il participe à de nombreux projets cinématographiques, collaborant avec de grands réalisateurs sur plusieurs  long-métrages. Au milieu des années 1980, Jean Giraud part vivre aux États-Unis. Il y entame Le Monde d’Edena, une nouvelle série de fiction qui se déploie dans un univers onirique. La Planète encore (1990) qui en est issue, a donné lieu à la réalisation en 2010 d’un film d’animation 3D, présenté au public pour la première fois à l’occasion de l’exposition MOEBIUS-TRANSE-FORME. De retour en France, il refonde en 1997, avec sa femme Isabelle, sa propre maison d’édition Moebius Productions – Stardom où ils publient ensemble une série de carnets, portfolios, images   diverses et livres dont récemment le tome 6 de la série Inside Moebius ainsi que L’Arpenteur, dernier album des aventures d’Arzach.

Les (principaux) héros et univers de Jean Giraud/Gir/Moebius
Blueberry, lieutenant de l’armée américaine du Far West, est un mélange de mélancolie et de soif de justice, ce qui lui vaut pas mal d’aventures. Le dessin très réaliste et les gros plans cinématographiques font parfois penser aux westerns de Sergio Leone. Cette série d’albums, déclinée en plusieurs sous-séries (la jeunesse de Blueberry, marshal Blueberry), signe le premier grand succès de Jean Giraud sous le pseudo de Gir.
Arzach, extraterrestre voyageant sur un drôle d’oiseau, est plus une recherche esthétique qu’un récit, ses albums ne comportant pas de dialogue et ne respectant pas les conventions d’un vrai récit.
Le Major Grubert est le gardien du Garage Interstitiel, un monde fermé à trois niveaux. Le niveau intermédiaire, le désert B, inspiré du désert mexicain, est particulièrement important dans la vision de Jean Giraud et sera même repris dans d’autres œuvres, Inside  Moebius, où l’auteur se met en scène lui-même : « B comme bis…  c’est le deuxième monde… Là où mon double a tous les pouvoirs. ». Encore un univers où la narration est loin d’être linéaire et les personnages changent volontiers d’aspect…
Né de la rencontre de Moebius et Alejandro Jodorowsky, John Difool est le personnage central de la série L’Incal qui se déroule dans un futur éloigné et sombre. Six tomes de 1981 à 1986 feront la renommée mondiale de Jean Giraud alias Moebius.
Stel et Atan sont deux voyageurs de l’espace, réparateurs des machines et des esprits. Leur arrivée sur la planète Edena va les métamorphoser en homme et femme. A noter qu’une des histoires courtes, La Planète encore, parue en 2001, a été transposée en court métrage d’animation 3D en 2010 par Moebius et Geoffroy Niquet,  un des dirigeants du studio parisien Buf. La Planète encore est diffusé en avant-première dans le cadre de cette exposition.

L’exposition à la fondation Cartier à Paris
Sous le thème de la métamorphose, cher à Jean Giraud, la fondation Cartier expose cinquante ans de création d’illustration et parfois d’animation  en deux parties. La première partie est consacrée aux héros et BDs de Jean Giraud. La deuxième partie met en vedette les interrogations métaphysiques de Moebius. Ses peintures abstraites – magma chaotique, matière informe – expriment le potentiel de toute transformation, l’univers et la vie étant en mutation continue. Les créatures hybrides de Moebius  témoignent de son intérêt pour la génétique, pour les cellules  modifiées, pour l’ambiguïté sexuelle ou  ourla coexistence des deux sexes dans un même être. Formes abstraites et hybrides expriment sa fascination pour l’infiniment petit et l’infiniment grand, voués à se perdre dans le mystère cosmique. Entretiens, extraits de films et documentaires prolongent l’œuvre dessinée pour mieux illustrer le propos.

Au total, une somme de plus de 250 œuvres offertes à notre contemplation à la fondation Cartier à Paris jusqu’au 13 mars 2011 : le mot  incontournable prend tout son sens.

Clémentine Gaspard, octobre 2010