René Dosne : graphiste pompier
C'est l'histoire d'un petit Parisien, René Dosne, qui habite à la Bastille et qui découvre que certains engins se distinguent incroyablement du commun des véhicules...
...ils sont énormes, d'un rouge impeccablement flamboyant, foncent toute sirènes hurlantes à travers les rues en toute impunité et sont même l'objet de la plus haute considération.
Bien sûr, dans la ville, il y a d'autres engins à sirène : les ambulances et la police, mais question couleur, rien à voir, et puis, qui aurait l'idée de comparer un panier à salade avec un camion de pompier ?
Donc, le petit garçon regarde, fasciné, les rutilants bolides sillonnant les rues de son quartier. Et à l'époque, dans les années 50, sur les camions, il y a encore les bancs de bois sur lesquels sont martialement assis, impeccablement alignés comme à la parade, deux rangées de pompiers bottés, casqués, sanglés dans leur blouson de cuir : des images fortes... si fortes que le petit garçon cherche à les retrouver.
Dès qu'il sait tenir un crayon, René dessine des camions et les pompiers qui vont avec et, cinquante ans plus tard, il continue.
Une vocation
Revenons aux jeunes années. René Dosne aime le dessin, prend des cours et désire en faire son métier. Chaque élève de sa classe affectionne un thème d'inspiration. Pour certains rien n'est plus beau qu'une moto, d'autres dessinent avec amour des bateaux, quand un autre se passionne pour les corbillards... Et devinez ce que dessine René ? Or il se trouve qu'un camarade d'atelier loge en face d'une caserne de pompiers et qu'il assiste chaque semaine au lavage à grande eau de l'armada roulante. La tentation est trop forte pour René qui se laisse convaincre de demander aux autorités compétentes l'autorisation de se rendre dans ladite caserne pour y croquer engins et uniformes.
Plusieurs semaines passent sans réponse. Et puis, un soir, un pompier motard se présente au domicile paternel. On imagine l'effet quand il remet au jeune homme sans voix la missive du colonel invitant l'intéressé -- le mot est faible-- à se présenter à la caserne susmentionnée. Le grand frère accompagne le dessinateur aussi impressionné qu'un jeune chevalier le jour de son adoubement. René est donc dans le saint des saints et il y accomplit son office : il dessine hommes, engins et matériels avec passion et talent.
La sincérité de sa démarche ne peut tromper : on l'accepte, puis on l'adopte.
Une mission
La chance va lui sourire à nouveau. Un jeune officier plein d'idées et d'allant s'occupe de la communication de la brigade. Il a remarqué les talents de René et entend bien le mettre à contribution. Il lui propose un poste, créé sur mesure, avec dotation d'un uniforme, d'un laisser-passer et d'une... assurance.
René s'est trouvé une famille qu'il ne quittera plus.
Sa mission ? dessiner les incendies pour mieux les combattre. Explications.
René part donc en mission sur les gros sinistres, en moyenne 30 par an. Il y est appelé en urgence au début de l'alerte. Aussitôt arrivé sur les lieux, le plus rapidement possible (c'est-à-dire en 10 minutes environ), il évalue la situation et synthétise ses observations dans un schéma qu'il envoie immédiatement -- au moyen d'un fax embarqué dans son véhicule--, à l'Etat-major. Ce dernier dispose donc d'un plan du sinistre et l'utilise pour communiquer avec les officiers présents sur le terrain qui eux aussi ont reçu le même plan.
Les esprits forts, -- il en est parmi vous, je n'en doute pas-- se disent : "mais pourquoi donc dessiner, là où il suffirait de prendre une photo ?" Eh bien honte à vous ! Amateurs ou professionnels de peu de foi.
Ne savez-vous donc pas, comme l'a si bien formulé l'ingénieur Da Vinci, que le dessin, cette chose mentale, possède des vertus dont l'image issue des chambres obscures n'est point dotée. A fortiori le schéma.
Quand la photo sera au mieux le témoin émouvant d'une situation qu'elle se contente d'enregistrer d'un seul point de vue, le schéma, lui, résume, synthétise, explique en quelques traits, discerne l'important du détail, le prioritaire de l'anecdotique.
Toutes ces qualités font de ce rapport graphique une aide que les officiers, peu enclins dans l'exercice de leur mission au futile et à l'inefficace, ont adopté en connaissance de cause.
Pédagogie
A part ce travail -- probablement unique au monde--, de graphiste pompier, René Dosne a d'autres activités graphiques. Pour une revue professionnelle, il écrit un article par mois sur un sinistre particulièrement exemplaire, qu'il illustre par des dessins montrant le dispositif mis en place et les différentes phases de la lutte contre l'incendie. Pour les professionnels concernés, ces dessins permettent de mieux comprendre la tactique employée pour lutter contre le sinistre en question.
Illustration et BD
Cette connaissance de l'univers des pompiers est également mise à contribution pour l'illustration. "Dans ce domaine, les pompiers sont mes meilleurs ambassadeurs !" déclare René qui avoue que 80% des commandes sont liées aux combattants du feu et à leurs engins. Camions, fourgons-pompes et autres Canadairs sont amoureusement détaillés dans de magnifiques écorchés (voir plus bas, la galerie).
D'autres fois, pour la délectation de quelques passionnés abonnés à des revues spécialisées, les engins des années 50 ou 60 reprennent vie dans des illustrations en situation.
Réné est également bédéiste. Pour la revue de la Brigade de Paris, il réalise une planche mensuelle. "Ce sont des petits gags qui parlent de leur quotidien. Il y a un personnage d'officier et un sapeur de base qui est un peu son souffre-douleur" (voir plus bas, la galerie).
Technique
Précisons tout de suite que René Dosne travaille principalement à l'aérographe et donc très accessoirement à l'ordinateur. Et la 3D ?
René modélise parfois des engins en utilisant les logiciels Zoom, Artlantis et Photoshop, pour ajouter des effets de halo autour des phares (voir plus bas la galerie).
"Quand on a fait des maquettes, on est mieux préparé à la 3D qui, pour moi, se rappoche plus de la construction que du graphisme proprement dit."
Pour lui, ce n'est pas la même démarche, ni la même satisfaction, en tant que graphiste : "Cela demande 5 jours de travail alors qu'à la main il me faut 3 jours. Et puis, cela reste sans style, très froid, sans le coup de patte du dessinateur."
Cela dit, la possibilité de manipuler un engin dans l'espace et de le voir sous toutes les coutures est évidemment un argument très fort : "Ce type de dessin peut s'avérer très utile pour la formation."
Ajoutons que René réalise également en 3D, des plans de bâtiments sensibles spécifiquement adaptés aux besoins des pompiers.
Conclusion
Que retenir ? Qu'il faut savoir analyser la situation, prendre la bonne décision, être en même temps rapide et efficace, et d'un trait parvenir au but, -- tout cela au service d'une cause. Telle est l'éthique des pompiers, mais à y bien songer, n'y a-t-il pas là aussi - l'héroïsme mis à part-, une belle ambition pour les graphistes ?