Spirou

Spirou, le héros aux neuf vies.

Neuf vies, voire plus, surtout que la carrière de Spirou n’est de loin pas finie : depuis le milieu des années 2000, les aventures de Spirou paraissent selon deux modalités. D’une part Yoann et le scénariste Fabien Vehlmann assurent la continuité de la série en la pimentant de nouvelles technologies et d’une pointe de fantastique. D’autre part, des auteurs invités donnent chacun, le temps d’un album « Spirou vu par… », leur propre vision du héros en costume rouge.

 Notons aussi que dans le Journal de Spirou lui-même, toujours édité par les Editions Dupuis, des « pointures » actuelles de la bande dessinée francophone, tels Binet ou Mézières, parlent de la naissance de leur vocation d’artiste du neuvième art dans une rubrique intitulée « La Galerie des illustres ». En  illustrant leur propos au moyen d’une page de bande dessinée spécialement créée pour l’occasion, façon là-encore de rendre hommage à un héros qui a bercé leur jeunesse. Rarement héros ne se sera autant affranchi de ses créateurs…

Spirou le personnage est né le 21 avril 1938, dans les pages du… Journal de Spirou. Il est la mascotte de l’hebdomadaire, tout en exerçant le métier de groom, d’où son calot et son costume rouge. Son nom, tiré du wallon parlé en Belgique francophone, signifie à la fois « écureuil » et « espiègle ». Conformément aux usages de l’époque, c’est un héros droit et loyal, qui doit servir de modèle à ses jeunes lecteurs. Mais il est également débrouillard,  courageux, intrépide… dynamique, en un mot. L’idée de Spirou vient de l’éditeur Jean Dupuis, qui passe commande au dessinateur français Robert Velter, dit Rob-Vel. Celui-ci conçoit  graphiquement le personnage et son univers, lui adjoignant dès 1939 l’écureuil Spip come inséparable compagnon.  En 1943, le dessinateur Joseph Gillain, alias Jijé, pilier des éditions Dupuis, prend la relève, et adjoint à Spirou un personnage fantasque, faire-valoir comique du sérieux Spirou : Fantasio.

 Et dès 1946, Jijé passe la main (et donc le crayon) à André Franquin, un surdoué bruxellois d’à peine 22 ans. Pendant 20 ans, Franquin va fonder la mythologie de la série : le village et le comte de Champignac, le vil cousin Zantafio, le Marsupilami, le scientifique mégalomane Zorglub...  Avec Franquin, l’innovation technologique est au premier plan, tout comme l’humour et l’exaltation de l’amitié, de la loyauté et du courage. Spirou reste un héros positif !

En 1968, après 19 albums, Franquin décide de se consacrer à Gaston Lagaffe et au Marsupilami. Pour une transition en douceur, Franquin accompagne son successeur, le breton Jean-Claude Fournier, le temps d’un album, Le Faiseur d’Or. Fournier va poursuivre la série dans son esprit d’aventure caractéristique et faire découvrir à Spirou et Fantasio des territoires encore inconnus comme le Japon d’Itoh Kata (un nouveau personnage de prestidigitateur) ou les mystères et la magie des landes bretonnes dans L’Ankou (un album écologiste avant l’heure).

En 1980, Fournier passe la main. Plusieurs équipes travaillent en parallèle pour reprendre le flambeau. Nic Broca et Raoul Cauvin réalisent 3 albums en se concentrant sur le trio de base Spirou, Fantasio et Spip. Yves Chaland imagine un Spirou rétro, dans la veine de Radar le Robot.

Tome et Janry se montreront les plus convaincants avec Virus en 1984. Les temps ont changé, à l’heure de la science-fiction, du cinéma d’aventure, les héros sont un peu moins naïfs. Virus apparaît comme une vision désenchantée et un peu paranoïaque des progrès de la science. Ce Spirou où l’action et l’humour s’entremêlent remporte un vif succès. Du coup, Tome et Janry vont enchaîner 13 albums qui modernisent complètement la série. En plus de réinterpréter les anciens personnages avec un humour irrévérencieux, Tome et Janry imposent une kyrielle de nouveaux personnages comme Aurélien de Champignac, la cyborg Cyanure ou le chef de la mafia new-yorkaise Don Vito Cortizone. 
En 1987, ils imaginent La Jeunesse de Spirou, un album de famille qui donnera naissance  à la série Le Petit Spirou, toujours publiée et actuellement déclinée en série d’animation. Un Petit Spirou malicieux et qui lorgne en permanence les dessous de sa maîtresse à la façon d’un Titeuf: on est loin du héros positif !
 En 1998,  ils bouclent la boucle entamée avec Virus en terminant leur contribution à Spirou  et Fantasio par Machine qui rêve. C’est une révolution : un album semi-réaliste de science-fiction ouvertement inspiré par l’écrivain Philip K. Dick!

Le duo franco-espagnol composé de Jean-David Morvan et José-Luis Munuera succède à Tome & Janry, et réalise 4 albums modernes et remplis de gadgets.
Depuis 2010, c’est au tour de Yoann et Vehlmann d’animer les célèbres personnages et de perpétuer le mythe. Avec en bonus le prochain retour du Marsupilami dans l’histoire, les Editions Dupuis ayant ce printemps 2013 racheté les droits du personnage.

Parallèlement, en janvier 2006, les éditions Dupuis lancent une série intitulée « Une aventure de  Spirou par… ». Comme son nom l’indique, il s’agit pour des auteurs de s’emparer des personnages le temps d’une aventure et d’en livrer une vision très personnelle. En dehors des sentiers battus, Frank Le Gall, Emile Bravo, Fabrice Tarrin, Yann, Olivier Schwartz, Fabrice Parme ou Lewis Trondheim s’amusent à réinventer Spirou.

Au milieu, de toutes ces tribulations, le trait reste globalement inchangé, fidèle à la « ligne claire » et donc à la tradition du personnage. Lequel perdure depuis 75 ans, soit trois générations de lecteurs : la longévité de Spirou est étonnante, digne d’un Mickey ou d’un Donald!

Après l’exposition Franquin à Paris en début d’année, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême prend la relève et fête Spirou jusqu’au 6 octobre 2013 : documents d’époque, numéros du Journal de Spirou consultables sur table numérique, films documentaires, etc.
Le tout scénographié par l’agence Nawak & Ventilo autour de trois principes. La forme spirale, symbole du mouvement et déclinée sous de multiples facettes (supports de vitrines, jeux d’hélices, graphisme…) traduit le dynamisme de Spirou, l’énergie avec laquelle il conduit ses aventures.
Le code vestimentaire de Spirou comme les objets associés à sa fonction de groom jouent quant à eux un rôle de ponctuations, de traits d’union entre les espaces et les oeuvres. Boutons dorés, galons noirs, célèbre calot, valises… autant de marques pour aller d’un lieu à l’autre.
Enfin, des éléments d’architecture, lieux mythiques tels que le Château de Champignac, le Moustic Hôtel ou la salle de rédaction du journal, offrent au public la possibilité de se repérer entre les différents temps de l’exposition.

Un grand moment de nostalgie pour les plus anciens, de découverte pour les plus jeunes : le personnage de Spirou s’adapte à tous les imaginaires.

Paul Schmitt, juillet 2013


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