Berlin des années folles de Robert Nippoldt
Le Berlin des années 20, capitale « qui danse sur un volcan », revisité par l’illustrateur et auteur Robert Nippoldt.
Après des décennies d’éclipse, Berlin est redevenu une destination à la mode, un pôle d’attraction pour jeunes et artistes de toute l’Europe : Berlin, c’est cool ! Mais Berlin était déjà cool dans les années 20. La défaite de 1918 avait ruiné l’Allemagne, et l’empire autoritaire avait laissé place à la très libérale République de Weimar : Berlin s’était mué en capitale de tous les plaisirs. Allemands, Russes blancs et autres nationalités accouraient pour oublier les difficultés du temps présent. L’arrivée au pouvoir des Nazis en 1933 signera la fin de cette époque légendaire et sulfureuse.
Le superbe livre Berlin des années folles (éditeur : Taschen) fait revivre en quelque 220 pages cette époque fiévreuse, où spectacles, sexe et cocaïne ont forgé la (mauvaise) réputation de la ville. Illustrations aussi variées que fouillées et textes explicatifs font découvrir la capitale alors la plus moderne d’Europe et en restituent l'ambiance : le jazz a remplacé la valse dans les cabarets, le cinéma allemand produit des chefs d’œuvre expressionnistes (Nosferatu, Metropolis), gays et minorités sexuelles bénéficient d’une tolérance inconnue ailleurs. Le revers de la médaille : le plaisir des uns repose sur l’exploitation voire la prostitution des autres.
Conçu et illustré par Robert Nippoldt, avec des textes de Boris Pofalla, Quand la nuit tombe sur le BERLIN des années folles (titre complet du livre !) explore son sujet en consacrant doubles ou quadruples pages à chaque thème ou personnalité. Artistes et organisateurs de spectacles s’y taillent la part du lion, de la diva Marlène Dietrich au « roi de la revue » James Klein, en passant par l’androgyne danseuse et chanteuse Anita Berber ou l’écrivain et auteur dramatique Bertolt Brecht. Le petit plus : un CD avec un choix d’enregistrements musicaux de l’époque pour vous en faire goûter l’ambiance. Le contexte général n’est pas oublié, avec des thèmes comme « Les chanceliers allemands de gauche à droite », « La mode » et « Les personnages d’horreur dans le film expressionniste muet » (notre préféré, à ne pas manquer) ! яндекс

Illustrateur et graphiste reconnu, Robert Nippoldt n’en est pas à son coup d’essai. Gangster. Les boss de Chicago, son livre-projet de diplôme à l’Ecole supérieure de graphisme et illustration de Münster, a dans la foulée été édité par Gerstenberg en 2005 puis en version francophone par l’éditeur suisse Joie de lire en 2007. Tout en développant une carrière commerciale d’illustrateur et de dessinateur pour la presse (New Yorker, Le Monde, Time, etc.), Robert Nippoldt a conçu deux autres livres illustrés consacrés à l’Amérique des années 20-30 : Jazz dans le New York des années 20 (2007) et Hollywood dans les années 30 (2010). Et publié en 2017 chez Taschen ce Berlin des années folles qui paraît en édition francophone fin 2018 et a entretemps accumulé les prix un peu partout : Red Dot Design, Art Directors Club (Berlin et New York), Best Book Award à Los Angeles et on en passe… Robert Nippoldt nous détaille lui-même son travail sur ce livre qu’il a prolongé d’un spectacle musical Ein rätselhaftes Schimmer (« Une lueur mystérieuse ») en tournée à travers l’Allemagne depuis 2017 :
Pixel : Quand le projet a-t-il vu le jour et quelles idées vouliez-vous mettre en œuvre?
Robert Nippoldt : Je me suis assis avec l'éditeur Benedikt Taschen à l'été 2012 et nous avons décidé de faire un nouveau livre ensemble. Et puis il s'est avéré relativement vite qu'il s'agissait du Berlin des années 20. Après trois livres sur l'Amérique des années 20, j'avais maintenant un énorme désir de faire un sujet de mon pays natal, l'Allemagne. Et le Berlin des années 1920 est un sujet incroyable.
Pixel : Quels ont été vos choix artistiques ?
Robert Nippoldt : L'accent devrait être mis sur la nuit. Je préfère dessiner en noir et blanc, avec de forts contrastes et des ambiances lumineuses claires. Et c'est aussi symbolique du Berlin de la République de Weimar. Un temps de contrastes : splendeur et misère.
Le dessin, le design et la typographie sont presque toujours créés en parallèle. Je voulais présenter le Berlin des années 20 avec des portraits et des scènes dessinés, dans un style noir et blanc réduit. Pour les titres comme le texte, j'ai choisi des polices d'affiches anciennes des années 20.
L'une des tâches les plus difficiles dans la création du livre a été de choisir les protagonistes. Nous voulions capturer le Berlin des années 20 à travers des personnages et des lieux. Il ne pouvait y avoir qu'une trentaine de personnages. Il y a tellement de personnages passionnants qu’il a fallu faire des choix draconiens. Nous voulions avoir avec nous des artistes célèbres, comme Marlene Dietrich ou les Comedian Harmonists. Mais nous voulions aussi trouver des personnages nouveaux, même pour les connaisseurs. Qui ont peut-être été oubliés aujourd'hui. Un exemple est Thea Alba. C’était une artiste « simultanée » très populaire à l'époque. Elle se produisait au Wintergarten Variete devant 3 000 personnes. Sur scène, elle écrivait une lettre en anglais de la main gauche, une lettre en espagnol de la main droite et pouvait dicter en français en même temps. C'est incroyablement fascinant.
Pixel : Comment créez-vous vos illustrations ? Quelles sont vos inspirations ? Vos outils ?
Robert Nippoldt : Mes dessins sont créés de différentes manières. J'ai travaillé sur le livre pendant plus de 5 ans et j'ai regardé d'innombrables livres, affiches, photos et films. Parfois, c'est une photo qui m'inspire et que j'essaie de traduire dans ma langue des signes. Parfois, il y a des infographies ou des affiches passionnantes qui m'inspirent. Parfois, des idées surgissent pendant la recherche. Je réfléchis à ce que je veux dire, puis je cherche une mise en œuvre picturale.
Je dessinais tout à l'encre et au stylo. Aujourd'hui, je fais beaucoup de choses numériquement avec une tablette à dessin. Le principe est le même. Tu dessines avec un crayon à la main.
Pixel : Quelle est votre vision de ce métier, vos motivations et passions ?
Robert Nippoldt : En tant que dessinateur, je suis une personne très visuelle. Quand j'aborde un sujet, c'est surtout à travers mes yeux : je regarde des photos, des vieux films, des affiches de théâtre, des couvertures de livres. Et là, les années 1920 sont un trésor infini. En principe, je préfère regarder un millier de couvertures de livres plutôt que d'en lire un. Quand je fais des livres, je pense souvent cinéma. Je planifie le concept, la structure optique et la dramaturgie sur la base d'esquisses de storyboard.
J'aime travailler de manière interdisciplinaire, c'est-à-dire sur plusieurs fronts à la fois. Parallèlement au livre, une édition berlinoise avec de nombreuses estampes d'art et l'exposition scénique "Ein Rätselhafter Schimmer" (Un miroitement mystérieux) ont été créées en cinq ans. Là, je m'assois sur scène et dessine des scènes en direct sur le Berlin des années 20, qui devient visible pour tous grâce à la caméra et à la grande projection. Le trio Größenwahn joue la bande sonore parfaitement accordée.
C'est très amusant et c'est un changement bienvenu par rapport à la routine quotidienne du dessin en studio.
Paul Schmitt, décembre 2018

Quand la nuit tombe sur le Berlin des Années folles
Robert Nippoldt, textes de Boris Pofalla, choix musicaux Stephan Wuthe
Relié, avec CD, 23,5 x 37 cm, 224 pages
€ 50
Taschen éditeur