Louis I. Kahn & Shop America

Deux livres d'architectures à savourer.

«Vivre l’architecture !» a martelé Louis I. Kahn tout au long de sa prestigieuse carrière, qu’il se soit attardé sur la nature des matériaux ou bien sur leurs influences sur les usagers. L'ouvrage de Robert Mc Carter, Louis I. Kahn, se  propose de raviver l'héritage de cet architecte peu connu en France mais qui mérite sa place dans le panthéon des hommes d'édifices.

Du bâtiment à la vitrine de magasin, toute la question est de susciter l'envie d'y séjourner. Shop America retrace l’histoire des façades vitrées des rues américaines. De la simple boutique serviable, aux temples démesurés dédiés aux caprices féminins, Steven Heller, spécialiste du design, décrypte les prémices des stratégies publicitaires architecturales de l’Amérique d’après-guerre.

Deux ouvrages complets et généreux en images.

Louis I. Kahn
par Robert Mc Carter

Né au début du XXe siècle en Estonie, émigré aux Etats-Unis alors qu'il n'avait que 4 ans, Louis Isadore Kahn ne coupe pas à l'apprentissage de l'architecture classique lors de sa formation à l'université de Pennsylvanie. Peu à peu, ses convictions architecturales se détachent de la pensée du Style International des années 1950 comme du Bauhaus, qualifiée de froide, sévère et dogmatique, pour se consacrer à l'utilisation des matériaux proprement dits et l'impact de ceux-ci sur les habitants. Laissant présumer le courant postmoderniste, il « considère, cependant, les édifices du passé comme [ses] amis. » souligne Robert Mc Carter, auteur de l'ouvrage, architecte et professeur d'architecture.

 

Des réalisations à taille humaine

Parce que l'architecture a pour vocation d'abriter, de protéger et d'accueillir un nombre conséquent de personnes, les travaux de Kahn restent à l'écoute des besoins et des conceptions pratiques, étonnemment proches des problématiques de l'architecture actuelle. Ses réalisations sont certes massives et imposantes, mais c'est parce qu'elles sont spécifiquement dédiées à la vie interne et au vécu dans celles-ci. La Yale University Art Gallery , achevée en 1953, dispose ainsi d'une structure en verre ajouré et d'espaces à la vue très dégagée, dans un esprit proche des réalisations de Le Corbusier. Conçue dans un style ultra contemporain, The First Unitarian Church s'impose d'une seule pièce, constituée de blocs distincts en briques rouges. Travaillant essentiellement à partir de matériaux bruts, boudés par l'architecture classique (métal, béton...) Louis I. Kahn s'inspire aussi des structures antiques et réinterprète les plans orthonormés, révolutionnant ainsi les systèmes de division des espaces.

 

Un ouvrage nécessaire

Souvent réduite à l'oeuvre de notre cher Le Corbusier, l'architecture postmoderne a aussi été la démarche maitresse de bons nombres d'architectes, parmi lesquels Louis I. Kahn constitue un exemple significatif. Robert Mc Carter propose ainsi à travers les écrits de l'architecte - six chapitres à thématiques précises nourries de croquis, de photographies successives et chronologiques (naissance d'une philosophie de l'architecture, masse et structure, ombre et lumière, esthétique de l'action et de la construction...) - de mieux cerner son oeuvre, majeure dans l'histoire de nos villes.

Shop America
par Steven Heller

Si le consommateur américain du XIXe siècle achetait par nécessité, celui du siècle suivant s’avère plus frivole. Séduire pour susciter l’achat devient le maître mot en matière de stratégie commerciale, dans une Amérique sortie quasi indemne de la Seconde Guerre mondiale. Véritables baromètres sociologiques, les devantures de l’époque traduisent les modifications économiques et comportementales. Le marketing architectural constate ainsi qu’une vitrine dépouillée donne curieusement envie d’acheter et permettrait même d’accroître le chiffre d’affaire… La façade de magasin va même jusqu’à donner naissance à un catalogue qui lui est exclusivement consacré : Visual Fronts.

Le piège architectural tendu à la femme

Adieu petites boutiques, place aux vitres hautes de plusieurs mètres, aux enseignes graphiques dignes du Bauhaus. La façade présentée par Shop America, démontre l’impact de l’architecture sur l’achat. En cette période d’opulence, les magasins sont moins le lieu de la solution pratique que celui du caprice de la midinette à la taille haute cintrée… La vitrine type s’oriente vers les formes courbes et le verre anti-reflets pour faciliter la visibilité, mais aussi pour éviter tout élément qui pourrait perturber la consommatrice. Cet élan économique est aussi l’occasion pour les architectes et décorateurs de développer une nouvelle branche de leurs compétences.

Les français à l’origine des Visual Fonts ?

On tend à penser que ce phénomène de séduction est une spécificité américaine, or les commerçants wasp, imprégnés des méthodes de vente et du design victoriens, n’auraient sans doute pas pu appliquer ces stratégies sans l’exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925, à Paris… Les innovations commerciales et la naissance des présentoirs y figurant sont sans doute à l’origine des sols sournoisement inclinés des supermarchés français actuels…

Shop America permet de mieux comprendre les enjeux du shopping américain et européen, à travers une large sélection de dessins et photographies, dont le style rétro et aérodynamique semble revenir au goût du jour.

Agathe Hoffmann - 05/2007

 

 

Shop America. Midcentury Storefront Design 1938-1950 de Steven Heller, publié aux éditions Taschen. 26,5 x 34 cm - 246 pages – 39,99 euros.
 
Louis I. Kahn de Robert McCarter, publié aux éditions Phaidon. 21,0 x 2,45 cm - 512 pages – relié – 178 illustrations en couleur, 130 en noir et blanc et 240 dessins au trait – 75 euros.