Le regard à l'oeuvre

Photographe d’obédience orientaliste, Jean-Baptiste Huynh réalise de nombreux portraits et paysages de contrées telles que le Mali, l’Egypte, l’Ethiopie ou encore l’Inde et le Japon. Entre les regards perdus, méditatifs ou perçants et les végétaux figés dans leurs divers états, Jean- Baptiste Huynh livre son répertoire ethnographique, sans misérabilisme ni artifices, dans l’illustre cadre de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris.

Le regard à l’œuvre, ainsi s’annonce l’exposition de ce photographe métissé d’Orient et d’Occident, expliquant peut être la direction de son oeuvre quasi-anthropologique et identitaire. Présentant plus de quarante tirages noir et blanc, Jean-Baptiste Huynh ne déroge pas à la règle ancestrale de l’art photographique, en continuant à préférer les sels de chlorobromure d’argent, aux technologies numériques. Cette fidélité technique se réaffirme aussi dans l’œuvre même de l’artiste, qui donne priorité au portrait. Ainsi hommes et femmes, juvéniles comme patriarches se laissent aller à l’expérience photographique. Portées par une constante finesse de l’image et une variété subtile de nuances entre le noir et le blanc, les textures de peau se révèlent, donnant au spectateur l’impression étrange de pouvoir les caresser. Dans les photographies de Huynh, il en va du regard absent, égaré à celui inquisiteur et digne. Les éléments organiques et minéraux semblent eux aussi avoir séduits le photographe, se transformant sous son œil en de douces formes courbes proches de l’abstraction (Japon, mer I, 2002). La fleur que choisit Huynh n’est pas celle que l’on attend de voir, la sienne est meurtrie, fanée, vieillie, mais toujours incroyablement gracieuse, comme dans Lys (1998). Cette quête de beauté là où elle n’est généralement plus espérée voire admise semble véritablement habiter ce photographe, qui n’hésite pas à poser son regard sur celui, aveugle, d’un vieillard malien (Mali, portrait XXVI, 2003), en pied de nez à Paul Strand, lorsqu’il imprime sur le négatif la trace de cette femme elle aussi aveugle (Blind, 1916). A côté de lui, la paupière close et sereine d’un visage adolescent : Huyen – Cil, 2003. Une correspondance naît dans la déambulation du spectateur, celle de lui-même envers lui-même, mais aussi celle des portraits entre eux.
« Photographier, pour Jean-Baptiste Huynh,c’est capturer l’autre, pour y montrer le semblable dans la différence » justifie Henry-Claude Cousseau, directeur de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris. L’exposition de Jean-Baptiste Huynh est une sorte de dialogue silencieux, où le noir feutré des fonds domine toutes les identités pour mieux les dévoiler. Les références de cet artiste ne semblent néanmoins pas se limiter à ses prédécesseurs, ainsi est-il est aisé de constater des analogies formelles et esthétiques, à d’autres formes artistiques dans les portraits qu’il génère. En effet, la sculpture gréco-romaine n’est vraisemblablement pas loin, lorsque la marche muséale du visiteur se voit figée devant le buste candide et irréel d’un angelot éthiopien aux cheveux tendrement ondulés, catalysant l’énergie de la photographie au centre de la composition : dans les yeux laqués de cet enfant (Ethiopie – portrait III, 2005).
A la différence des portraits enveloppés dans l’arrière-plan de Desiree Dolron, ceux de Huynh naissent dans une incroyable clarté des contours, tout en laissant vivre le modelé des visages. Le temps n’existe pas dans les travaux de cet artiste, dont les identités restent anonymes mais où la culture continue à apparaître. La présence japonaise que restitue l’artiste pourra rappeler au visiteur celle qu’évoque Masao Yamamoto, à la vue de Japon – chatons (2002). Reste qu’un léger goût amer peut être ressenti devant ces œuvres, dont la théâtralisation est parfois un peu trop systématique, donnant l’impression qu’elles pourraient tout à fait être utilisées dans le cadre d’une campagne humanitaire.
Mais l’onirisme atténuant le tout, on ne peut que repartir de cette exposition, légèrement dépaysé mais surtout porté par la force du caractère émanant de chaque modèle, qui, ne l’oublions pas, repartent sitôt la photographie saisie, dans leurs vies respectives.

Agathe Hoffmann - 12/2006
Jusqu'au 14 janvier 2007.
Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts,
Salles d'exposition, 13, Quai Malaquais, Paris 6ème.
Tous les jours, sauf le lundi, de 13h à 19h.